On a parlé avec Carlota Dudek et Mounir Amhiln, B-Girl et B-Boy passionnés et passionnants

Publié le par Ana Corderot,

© Red Bull

"Il n’y a pas véritablement de règles, ni de contraintes, chacun peut aller puiser là où il désire."

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À l’occasion du Red Bull BC One, la compétition de breakdance la plus prestigieuse et la plus reconnue au monde, qui s’est tenue ce week-end à Lyon, nous avons discuté avec deux de ses athlètes : Carlota Dudek et Mounir Amhiln. Âgés de 19 et 24 ans, les jeunes B-Girl et B-Boy nous ont accordé un peu de leur temps avant le début des hostilités, pour nous éclairer sur leur discipline, ses particularités et leur rapport à cette dernière.

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Gonflé·e·s à bloc, avec beaucoup d’entrain et d’énergie, ils nous ont révélé tout leur amour pour la danse et leurs envies. Au fil de la discussion, il est apparu très clair que cette dernière était telle un souffle de vie, et les mènerait sans nul doute vers un avenir radieux. À en croire leur manière d’appréhender les choses et leur talent respectif, Carlota et Mounir ont tout pour décrocher les étoiles de la victoire.

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Carlota : “Le breakdance est un milieu plutôt inclusif”

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Konbini Sports | Peux-tu te présenter ?

Carlota | Je m’appelle Carlota, j’ai 19 ans, je viens de Montpellier et je suis danseuse professionnelle de breakdance ou B-Girl.

Quel style de danse pratiques-tu exactement ?

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Le breakdance. C’est une danse qui est née à New York dans les années 1970, début 1980. Discipline culturelle, elle est assez unique puisqu’elle se pratique au sol. Il y a tout cet aspect technique et acrobatique qui vient s’y ajouter : le fait par exemple de tourner sur la tête, sur les mains.

C’est aussi une danse remplie de richesse puisqu’elle s’inspire de différentes disciplines. On peut retrouver des mouvements de salsa, capoeira, gym… Elle puise son inspiration de partout. Il n’y a pas véritablement de règles, ni de contraintes, chacun peut aller puiser là où il désire pour ressortir la danse la plus originale possible.

Comment tout a commencé pour toi et la danse ?

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J’ai découvert le breakdance au primaire, quand j’avais 6 ans. À la base, je ne connaissais absolument pas la discipline, j’étais juste venue pour des cours de judo, mais il n’y en avait pas là où je vivais. Pour me consoler, on m’a inscrite à des cours d’initiation de breakdance. Ce fut un véritable coup de cœur et depuis ce jour, je n’ai plus jamais raté aucun cours.

Ensuite, je me suis inscrite en club, j’ai évolué dans un groupe, “Break de Mars”, majoritairement composé de filles, chose assez surprenante pour une discipline que l’on voit masculine. Je pense sincèrement que c’est quelque chose qui a contribué à forger ma performance et personnalité d’aujourd’hui. J’ai ensuite continué avec des compétitions, jusqu’à arriver à participer par exemple aux Jeux olympiques de la jeunesse, et aujourd’hui avec l’arrivée du break aux JO 2024, je fais partie de l’équipe de France.

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En tant que femme, comment te sens-tu dans ce milieu ?

On pourrait croire que c’est assez perturbant, car la majorité des danseurs dans le break sont des garçons. Mais au contraire, c’est intéressant, il n’y a aucune exclusion, c’est un milieu plutôt inclusif. Chacun est libre de faire ce qu’il veut en compétition. Mes premières compétitions ont été face à des garçons, où l’on partait du principe que j’avais autant de légitimité d’être présente que n’importe qui d’autre. Également, je pense que le fait d’avoir été dans un groupe de filles m’a permis d’être à l’aise et d’affirmer mon style. Parce qu’il ne faut pas être piégée et se perdre dans cette masculinité, au contraire, il faut garder cette touche-là, on bat les garçons avec élégance, ça nous pousse à nous surpasser.

Qu’est-ce que le break représente pour toi aujourd’hui ?

Ça représente énormément de choses. Petite, c’était ma passion, ça m’a apporté tous les éléments bénéfiques qu’un sport peut apporter. De l’épanouissement, de la confiance en soi, autant dans la danse que dans ma vie personnelle. Aujourd’hui, ça représente davantage, c’est devenu un mode de vie et même mon métier. Le break représente véritablement la personne que je suis devenue.

Tu t’apprêtes à concourir pour l’une des compétitions les plus prestigieuses, tu n’appréhendes pas trop ?

Avant le Red Bull BC One, il y a toujours une petite part de stress, car je pense que c’est celle que tout breaker souhaite atteindre. Aujourd’hui, la situation fait que c’est la première compétition depuis la reprise des activités, donc c’est la première fois que l’on se réunit avec les danseurs. D’habitude, on se croisait quasiment tous les week-ends, il y avait une vraie dynamique. Le fait de pouvoir retrouver cette dynamique, ces gens, je pense que ça va ramener une belle énergie. Il va falloir utiliser cela à bon escient. Habituellement, j’appréhende énormément les compétitions, mais là, je n’ai qu’une hâte, c’est de pouvoir y être et donner le meilleur de moi-même.

Qu’est-ce qui t’anime le plus dans les battles ?

Il y a énormément de choses dans le battle à prendre en compte. D’abord, cet esprit de confrontation avec l’adversaire où l’on rentre dans un personnage et où l’on se bat à travers la danse. Il va y avoir une sorte de discussion, pour essayer notamment de capter ses mouvements ou le déstabiliser. Ensuite, vient la discussion avec les jurys, pour essayer de leur donner des éléments de compréhension.

Également avec le DJ, qui nous donne une musique sur laquelle on doit s’adapter. C’est un échange très important, car il nous donne une ambiance qu’il faut exploiter. Et enfin, le public. C’est primordial, il te donne une énergie énorme, tu lui donnes des mouvements et lui t’encouragera en retour, ça donne une force incroyable. C’est inestimable.

En parlant de public, comment as-tu géré le fait de ne pas pouvoir véritablement le retrouver ?

Ça a été très compliqué, j’avais l’impression qu’on me coupait les jambes, qu’on m’arrêtait net dans l’élan de partage. On n’a plus eu de salles, donc c’était devenu quasiment impossible de se retrouver entourés des personnes avec qui, d’ordinaire, on s’entraînait. C’est important d’être seul pour se recentrer, mais on a besoin des autres pour progresser. Cela permet d’échanger, de se surpasser. On se donne mutuellement des conseils et c’est nécessaire. Tout cela m’a vraiment manqué, c’est pour ça qu’on est tous impatients de se retrouver.

As-tu eu l’impression que ta créativité avait été muselée ?

La créativité vient de différentes manières. Certains ont besoin d’être seuls, de se poser de réfléchir. D’autres, à l’inverse, auront besoin d’être avec beaucoup de monde, de se laisser porter par l’ambiance pour que les mouvements surgissent. Donc oui, ma créativité est fébrile lorsqu’il n’y a plus beaucoup de monde pour partager.

Saurais-tu me dire ton plus beau souvenir de danse ?

C’était pendant une compétition en Allemagne. On était en période de pause, tous en cercle. Ça se fait beaucoup durant les compétitions, où chacun passe en dansant et l’autre répond. Je me souviens du moment, c’était quasiment suspendu. On était qu’entre filles, et du latino résonnait dans la salle. Tout le monde était à fond, et tout ce qui s’en dégageait était magique. C’était vraiment l’esprit du break en somme, avec ses mouvements, et son échange.

À présent, comment envisages-tu l’avenir ?

À côté de la danse, je fais aussi des études, donc je vais devoir terminer et passer mes partiels pour conclure. Puis au niveau de la danse, j’ai envie d’affirmer ma notoriété à l’internationale. Prendre de l’ampleur, évoluer. En ce moment, je suis plus dans ma phase d’accomplissement sportif, donc jusqu’à 2024, j’aimerais m’impliquer à fond, peu importe le résultat, pour profiter et progresser. Étant donné que le break regorge de possibilités, du fait que ce soit une discipline très riche, je vais également continuer à m’investir dans la branche culturelle, en donnant des workshops, des cours, des conférences.

Mounir : “Niveau créativité, je ne me suis jamais senti aussi bien”

Konbini Sports| Peux-tu te présenter ?

Mounir | Je m’appelle Mounir, j’ai 24 ans, je suis B-Boy, danseur et chorégraphe.

Quel(s) style(s) de danses pratiques-tu exactement ?

Je pratique le break et, au fil des années, j’ai élargi mon domaine de compétences en m’inspirant du contemporain, des danses électro et même du classique.

Que représente le break pour toi ?

Comme toute autre danse ou tout autre art, c’est un moyen de s’exprimer librement, d’affirmer sa personnalité à travers le mouvement. C’est aussi une danse très offensive, puisque dans les battles par exemple, on combat les autres avec sa danse, c’est une manière d’extérioriser. Aussi, ça parle à tout le monde puisque c’est le corps qui s’exprime, et donc il n’y a plus cette barrière de la langue.

Qui plus est, étant donné que c’est une danse issue de la culture hip-hop, je dirais que ça représente le partage, la débrouillardise. Quand on regarde 40 ans en arrière, et qu’on voit que le break a commencé dans le Bronx, sur des morceaux de carton, et qu’aujourd’hui on est une discipline officielle des JO 2024, ça prouve qu’on peut aller loin en se dépassant.  

Comment tout a commencé ?

C’était en 2006, j’avais 10 ans. Mon grand frère faisait déjà du break à l’époque. En l’observant, je répétais un peu ce qu’il faisait, sans trop savoir ce que cela signifiait. Et puis j’ai découvert qu’une personne, du nom de Didier Boko, avait une association “Fondament’All”, dans laquelle on pouvait prendre des cours. Alors j’en ai pris et j’ai vite progressé, en sachant au fond de moi que ça n’allait pas me quitter. Aujourd’hui, je suis toujours actif dans cette association, j’en suis même devenu le meneur.

Qu’est-ce que la danse t’apporte au quotidien ?

Une façon de voir les choses autrement. Typiquement, lorsque je regarde par la fenêtre ou que je marche dans la rue, je m’imagine souvent des chorégraphies avec des passants, des routes… J’ai vraiment le rapport au visuel qui évolue. Je m’enrichis de plus en plus, puis il y a également la musique qui m’accompagne au quotidien et qui m’aide à puiser des énergies différentes. Puis, c’est également un mode de vie.

À la veille du Red Bull BC One, comment te sens-tu ?

Avec cette année, beaucoup d’événements ont été annulés. Mon dernier battle remonte à il y a un an, au théâtre du Châtelet, que j’ai gagné, et depuis plein de choses se sont passées, avec parfois des coups de mou. Et là, tout revient progressivement. J’ai tout de même une petite pression de me retrouver en battle, car je me demande ce que je vaux après presque un an d’absence. Mais je suis impatient de voir ce que ça va donner, j’essaie de me concentrer, de canaliser mon énergie et puis de me reposer au maximum. Je vais essayer de m’amuser.

Qu’est-ce qui t’anime le plus dans les battles ?

Ce qui m’anime le plus, c’est la musique. C’est mon point fort, la musicalité. Aussi, c’est l’affrontement, quand il y a du répondant, ça me stimule. Danser et affronter, ce sont les deux choses les plus importantes pour moi. Sachant qu’un passage d’un battle dure entre 30 et 45 secondes et maximum une minute, tu dois aller vite, c’est super intense. Même si j’ai des touches personnelles qui reviennent souvent, j’aime beaucoup me laisser porter au feeling, et notamment par l’énergie du lieu.

Avec cette année particulière, dirais-tu que ta créativité a été atteinte ?

Ma motivation a pris un coup c’est certain, mais a contrario, ma créativité n’a fait qu’augmenter. Vu qu’il n’y avait plus de battles, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes et j’en ai profité pour découvrir de nouvelles choses. J’ai pu améliorer ma danse à travers d’autres disciplines. Je me suis inspiré de vidéos, de compagnies… Niveau créativité, je ne me suis jamais senti aussi bien en termes de maîtrise du corps. J’ai vu que je pouvais pousser encore plus loin.

Je suis vraiment rentré dans la philosophie de la danse, j’ai effectué quelque chose de très introspectif. En échangeant avec un ami, je lui disais que sans le Covid, je pense que je n’aurais pas eu de déclic. Et ce déclic en question m’a ouvert énormément de portes.

Ton plus beau souvenir de danse ?

C’était en 2009, j’avais 13 ans et j’avais participé au battle pro, en catégorie kids. À cette époque, c’était l’un, voire le plus gros événement et regroupement de breakers au monde. L’année d’avant, j’avais perdu, mais cette année-là il y a eu quelque chose qui a fait que je me sentais bien et confiant. Mon père est venu me voir pour la première fois, avec mon frère et ma mère, et j’ai gagné ce battle. C’était la première et la dernière fois qu’il est venu. Il avait fait l’effort de venir me voir, car son travail de restaurateur l’en empêchait, et ce geste a tellement compté pour moi. En plus de ça, j’avais gagné la PlayStation 3 qui venait de sortir, alors j’étais aux anges [rires].

As-tu des projets en particulier ?

Oui, déjà en termes de danse, j’espère évoluer et surtout avec les JO 2024, j’aimerais pouvoir me qualifier et puis pourquoi pas ramener la médaille d’or. À côté de ça, je travaille également dans une compagnie de danse parisienne qui s’appelle “Outsider”, dans laquelle je vais pouvoir mettre à profit toute ma créativité.

En parallèle, je suis investi dans la vie associative puisque je viens de monter ma propre association qui s’appelle “Initiall”. Le but, c’est de donner l’occasion à des personnes qui n’ont pas accès à la danse d’y accéder. Le public visé ne se réduit pas aux quartiers défavorisés, mais plus à des personnes en situation de handicap mental ou moteur. J’espère pouvoir également élargir sur un public de personnes âgées.

Ça me tient énormément à cœur. En effet, depuis deux ans je donne des cours, à hauteur d’une fois par semaine, à des jeunes atteints d’autisme sévère dans un IME (institut médico-éducatif). En voyant le résultat auprès de ces enfants, ne serait-ce que minime, je me suis rendu compte que c’était réellement valorisant pour eux et pour moi. Que ça pouvait les aider à prendre davantage confiance en eux, ou bien améliorer quelques fois leur motricité. Mon association s’inscrit dans ce besoin d’apporter mon aide et de faire quelque chose qui a du sens.

Comment envisages-tu l’avenir ?

Radieux, prospère. Avec la pandémie, on a tous revu nos priorités. Je pense que tant que l’on est bien, heureux avec soi-même et les autres, c’est le plus important. On peut vivre très bien sans avoir trop de choses.

Retrouvez les lives de la compétition Red Bull Bc One sur le compte Twitch Red Bull France.