Hervé Renard est né en 1968. Pourtant, c’est en 2012 que l’entraîneur savoyard va se révéler au monde du football, en apportant à la Zambie son seul et unique titre de champion d’Afrique. Depuis, le natif d’Aix-les-Bains a alterné le bon (une nouvelle CAN gagnée avec la Côte d’Ivoire en 2015) et le moins bon (relégation de Sochaux et expérience ratée à Lille).
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À l’occasion de la sortie du documentaire Eighteam (Rakuten TV), retraçant les 18 années de reconstruction de la sélection zambienne après l’accident d’avion qui a décimé l’équipe en 1993 au Gabon, l’entraîneur double champion d’Afrique est revenu sur son exploit avec les Chipolopolos, et la portée symbolique de ce sacre. Il a aussi abordé sans détour ses expériences en Ligue 1. Entretien.
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Konbini | Cette année, cela fait 8 ans que vous avez remporté la CAN avec la Zambie. Avec le recul, quelle place occupe ce titre dans votre carrière d’entraîneur ?
Hervé Renard | C’est un titre qui est venu de façon un petit peu miraculeuse. C’était fantastique. Même dans mes plus beaux rêves, je ne l’aurais jamais imaginé.
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C’est une sélection avec une histoire particulière. Quand vous reprenez les rênes de l’équipe en 2011, est-ce que vous avez en tête la tragédie de 1993 et la possibilité de remporter 18 ans plus tard la CAN là où ça s’est passé ?
En toute honnêteté, légèrement, mais pas vraiment. Ça se passe dans le bureau du secrétaire général, M. George Kasengele, qui me dit que le seul moyen de retourner à Libreville, au Gabon, c’était de jouer la finale – parce qu’il y avait une coorganisation entre la Guinée équatoriale et le Gabon, et on avait tout notre tableau en Guinée équatoriale. Alors vous imaginez, quand il m’a dit ça, c’est resté dans ma tête après. Mais au fond de moi, je me suis dit : “Houla, ça ne va pas être simple !”
Et c’est quelque chose dont vous avez parlé avec les joueurs ?
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On avait un challenge important entre nous : en 2010, on avait fait un quart de finale contre le Nigeria, perdu aux tirs au but, en faisant une superbe prestation. Donc l’objectif initial en 2012 était de faire mieux et d’aller en demi-finale, ce qui paraissait pour beaucoup très prétentieux. Mais on est obligé de se donner des challenges, aux joueurs et à soi-même. Je pense que ce challenge était accessible. Après, la finale et la victoire finale, ça, c’est autre chose.
“Si on a la chance d’aller à Libreville, ça peut être une fantastique revanche sur le destin”
Comment on fait pour transformer une équipe que personne n’attend en un candidat sérieux au titre au fil de la compétition ?
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Pour nous, ce n’était pas vraiment une énorme surprise. On voulait, comme je l’ai dit, aller dans le dernier carré. Donc quand vous faites partie du dernier carré d’une grande compétition continentale, c’est quand même que vous avez des qualités. C’est vrai que les purs passionnés de football attendaient plutôt des grosses équipes comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun, l’Égypte ou le Maroc. La Zambie dénotait un petit peu, mais on s’est donné un challenge avec les joueurs, et au fil de la compétition on se dit pourquoi pas, c’est possible.
Quand vous arrivez en demi-finale, ce qui était l’objectif, qu’est-ce que vous dites aux joueurs pour les motiver à aller chercher ce titre ?
Je commence à parler de ce formidable challenge d’aller au Gabon, à partir des quarts de finale. On bat le Soudan, 3-0, donc on se qualifie pour la demi-finale contre le Ghana, équipe dont j’ai été l’adjoint lors de la CAN 2008. C’est une histoire assez incroyable, mais vous êtes obligé d’employer des formules qui peuvent redonner confiance à vos joueurs.
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Je me rappelle, durant la causerie, je leur ai dit : “Le Ghana est une équipe très forte mais ils sont parfois un peu trop sûrs d’eux.” Ça fait partie du management, il ne faut pas y voir de vexation. J’ai connu la maison d’en face, je sais que ce sont des gagneurs. Et sincèrement, quand on est le Ghana et qu’on joue la Zambie en demi-finale, on se dit qu’on va aller en finale. Donc, pour nous, il fallait absolument que je joue là-dessus et, en plus, il y a un facteur plus important, si on a la chance d’aller à Libreville, ça peut être une fantastique revanche sur le destin.
Entre la CAN remportée en 2012 avec la Zambie et celle gagnée en 2015 avec la Côte d’Ivoire, laquelle est la plus belle à vos yeux ?
Il n’y en a pas de plus belle, sincèrement. En 2012, on bat la Côte d’Ivoire, et trois ans plus tard, j’ai la chance d’être à la tête de cette énorme sélection, qui attendait depuis 23 ans un sacre continental, avec des joueurs hors norme comme Didier Drogba, Yaya Touré, Kolo Touré, Gervinho… Il n’y a pas de plus beau sacre, tous sont beaux et j’espère qu’il y en aura un autre.
“Mon rêve était d’entraîner en Ligue 1”
Vous découvrez le football africain par l’intermédiaire de Claude Le Roy, qui vous prend comme adjoint. Comment est-ce qu’il vous convainc de le rejoindre ?
J’avais déjà travaillé avec Claude Le Roy en 2002, en Chine, où j’étais son adjoint à Shanghai Cosco. Sur le plan sportif, il m’a beaucoup apporté, j’ai bu tout ce que je pouvais boire de ses pratiques au niveau du management, des entraînements, du relationnel avec la fédération, avec un club. Mais il m’a tellement parlé de l’Afrique, du Cameroun notamment, avec qui il avait gagné la CAN [en 1988, ndlr], qu’au moment où il m’appelle, après la Coupe du monde du monde 2006 du Ghana, c’était l’opportunité de rejoindre le haut niveau en étant adjoint, qui plus est pour une compétition, la CAN 2008, qui a lieu dans le pays. J’ai vu toutes ces couleurs africaines, ça m’a transformé en tant qu’homme et en tant qu’entraîneur.
Qu’est-ce qui fait qu’après cette découverte vous décidez de faire la majeure partie de votre carrière en Afrique ?
Comme je l’ai souvent dit, je ne l’ai pas choisi. Si vous m’aviez demandé quand je commençais ma carrière en 2000 à Draguignan, en CFA 2, c’est-à-dire National 3 aujourd’hui en France, je vous aurais répondu que mon rêve était d’entraîner en Ligue 1, en France. C’était mon rêve, mais je partais de National 3. Je peux vous dire que les marches paraissent faciles à monter comme ça, mais c’est très difficile. Combien d’entraîneurs, pourtant pleins de qualités, ne réussiront pas à aller au bout de leurs rêves ? J’ai réussi, et en plus je suis parti sur une voie, un destin auquel je n’aurais jamais pensé. Comme je le dis toujours, j’ai certainement une bonne étoile. Et puis Claude Le Roy et Kalusha Bwalya [président de la Fédération zambienne de football, ndlr] sont des personnes qui auront toujours une énorme importance pour moi.
Vous avez finalement réalisé votre rêve d’entraîner en Ligue 1, à Sochaux puis à Lille. Mais on a quand même l’impression, en pensant à vous ou à Philippe Troussier par exemple, que c’est la transition entre le football africain, notamment de sélection, et le football de club, notamment en Europe, est compliquée. Comment vous l’expliquez ?
Je l’explique un peu différemment de tous les observateurs. Quand je suis arrivé à Sochaux, après huit journées, le club était déjà dans une situation difficile. Il a fallu le temps de recruter selon nos moyens, parce qu’avec l’équipe de début de saison, c’était très difficile de se maintenir. On finit 5e de la phase retour. Malheureusement, vous allez me dire : “Oui, mais il y a échec au bout puisqu’il n’y a pas maintien.” Mais je pense que tous les Sochaliens s’en souviennent. On a vécu une aventure exceptionnelle qui s’est mal terminée, comme quand vous perdez une finale de CAN, mais ça ne veut pas dire que tout a été mauvais. Il y a de nombreux entraîneurs en Ligue 1 qui n’ont pas marqué autant de points que j’en ai marqués avec Sochaux, mais de nombreux commentaires vont souligner qu’eux ont réussi. Oui, mais on leur a laissé plus de temps et moi j’arrivais dans une opération sauvetage.
“Mon souhait le plus cher, c’est que Sochaux revienne en Ligue 1.”
Et puis je vais à Lille… Le plus mauvais moment de ma carrière certainement, mais ça en fait partie, c’est comme ça. Au fond de moi, je suis persuadé que je peux réussir en Ligue 1, bien sûr. Quand je suis parti de Lille, on était 16e, on n’était pas 20e et largués. C’est la décision d’un président qui a pensé à un moment donné que je n’étais plus l’homme de la situation pour diverses raisons. Il a les siennes, j’ai mes arguments. Je pourrais en donner plein, mais bon, ce n’est ni le jour ni le moment. Je suis parti de Lille, on avait fait 13 matchs, je crois qu’on avait 13 points : 7 nuls, 2 victoires et 4 défaites. Il y a plus catastrophique en ce moment en Ligue 1. Mais peut-être, et je leur souhaite, que ces entraîneurs auront la chance d’avoir un président qui leur fasse confiance et qu’ils pourront faire changer les choses.
Votre expérience à Sochaux, où vous échouez de peu à maintenir le club, n’est-ce pas le plus grand regret de votre carrière ? Est-ce que vous ne vous dites pas que si vous étiez arrivé plus tôt, vous auriez pu maintenir le club et continuer en Ligue 1 ?
J’aurais pu continuer en Ligue 1 de suite après Sochaux puisque j’ai été contacté et que je me suis déplacé. Le président qui m’a contacté m’a dit que j’étais son homme si je le décidais…
C’était où ?
Ce n’est pas la peine d’en parler. On ne s’est pas entendus financièrement. Mais le plus important et le plus grand regret ce n’est pas pour moi, c’est pour le FC Sochaux, parce que sincèrement, et cela va peut-être surprendre beaucoup de monde, j’ai vécu quelque chose d’aussi fort qu’une victoire à la CAN pendant ces 8 mois tant on partait d’une situation difficile. Mon souhait le plus cher, c’est que Sochaux revienne en Ligue 1. Et j’ai promis que si je le pouvais, je ferais tout pour être dans le stade ce jour-là pour fêter ça avec eux, parce que quelque part je m’en veux. Ce dernier match [contre Évian-Thonon-Gaillard, défaite 3-0, ndlr], il était pour moi et je ne devais pas le rater, c’est moi qui l’ai raté.
Claude Le Roy, on le sait, a remporté la CAN avec le Cameroun et aujourd’hui, Leroy Sané porte son nom en hommage à l’entraîneur français. Est-ce que vous savez si aujourd’hui, en Zambie ou en Côte d’Ivoire, des enfants portent le vôtre ?
[Rires.] Au Sénégal, une des personnes qui s’occupent des maisons que l’on a avec ma compagne a appelé son fils Hervé, alors peut-être qu’un jour ce sera un grand joueur sénégalais. Mais non, je ne pense que des enfants portent mon nom, ou alors je ne suis pas au courant. Sincèrement, pour en revenir à lui, Claude, c’est un personnage, il ne peut pas y avoir de message plus fort que ça et c’est un joueur d’exception qui porte son nom. Claude Le Roy a quelque chose de spécial.