Article publié en 2019.
Mais pourquoi les Algériens reprennent-ils, à chaque grande compétition, ce chant qui fait désormais totalement partie du folklore footballistique ? Pour mener cette enquête, je décide de poser la question par mail à une dizaine d’enseignants-chercheurs de Paris 8, spécialistes de la langue arabe. En attendant leur réponse (aucun ne me répondra), je décide de taper “One Two Three Viva l’Algérie” sur mon navigateur.
Je tombe alors sur la vidéo datant de 2017 d’un philosophe des temps modernes : Momo Henni. Je lance ce qu’il promet être un “décryptage”. Et j’écoute donc avec attention ses explications :
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“Quand on regarde bien cette chanson, ça commence par ‘one two three’, déjà c’est de l’anglais wallah, expliquez-moi le lien entre entre l’Angleterre et l’Algérie, wallah, il y a jamais eu de guerre, jamais eu de colonie anglaise, je comprends pas votre délire ! (…) Après y a quoi les amis ? Viva ! De l’espagnol ! Je comprends pas, wallah. (…) Et ça finit par quoi ? L’Algérie ! Un mot français ! C’est qui ce putain de clando qui a inventé ça, wallah ?”
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Et l’analyse de Momo Henni est sans appel : “Je suis sûr que c’est à cause de ce slogan qu’on perd”.
Plus loin, Momo Henni essaye tout de même de décrypter quel personnage a pu inventer un tel slogan : “Ça n’a aucun sens comme l’Algérie wallah, il y avait qu’un Algérien pour inventer ça, je sais pas s’il était khabat ou en cours d’anglais.” Ceci étant, il termine son analyse avec une référence à un article de l’Obs, expliquant un lien évident avec un slogan de la guerre d’indépendance “We want to be free”. Cette explication ne convainc cependant pas le Youtubeur marseillais :
“Vos grands-mères les to be free, qui veulent être free. Il faut m’expliquer le lien, sur la vie de ma mère. Ça n’a aucun sens, y avait qu’un Algérien pour inventer ça, on peut pas faire des chants comme tout le monde, vos grands-mères les profs de claquette (…) Bon voilà, vous attendiez peut-être une explication claire, en fait nan wallah, même moi je sais pas. Personne sait d’où ça vient, c’est une putain de légende !”
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Pas beaucoup plus avancée, je me promets donc de continuer mon enquête le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil. Arrivée au bureau, je fais part à mes chers collègues du sujet de mon enquête, leur demandant des idées de contacts, les enseignants-chercheurs ne m’ayant toujours pas répondu. Robin, rédacteur pour l’excellent site Club Sandwich, me donne alors le contact de l’auteur du Dico de la Zone, Abdelkarim Tengour, qu’il avait lui-même déjà interviewé dans le cadre de l’enquête : Mais pourquoi appelle-t-on le chef de kebab, “chef” ? Abdelkarim me répond rapidement par texto mais m’indique qu’il n’a pas d’avis sur cette expression, “hormis le fait qu’elle mélange trois langues européennes”.
C’est alors que Donnia (qui a d’ailleurs du mal à se remettre de la victoire de l’Algérie), rédactrice-en-chef du superbe site Cheese, qui n’est pas comme son nom l’indique sur le fromage mais sur la photo, m’encourage à me pencher sur la thèse de Mohamed Benrabah,“Langue et pouvoir en Algérie : Histoire d’un traumatisme linguistique”. Selon Donnia, la thèse contiendrait une page consacrée à ce fameux “One, Two, Three”. Pas facile cependant de mettre la main sur cet ouvrage qui n’est qu’en partie dispo sur Amazon, en anglais.
Mais je m’aperçois rapidement que Mohamed Benrabah est très sérieusement cité comme source de la page Wikipédia consacrée à… “One, two, three, viva l’Algérie !” Je décide donc finalement de me fier à Wiki, merveilleux site collaboratif. J’y apprends enfin que cet hymne “vient du slogan scandé par les Algériens pendant la guerre de libération nationale : ‘We want to be free!’, devenu ‘Want to be free, Viva l’Algérie’ et ensuite en 1974 ‘One, two, three, viva l’Algérie!’ après le match gagné 3-1 contre Sheffield United Football Club”.
Voici donc mon enquête terminée. Et Momo Henni aurait donc dû se méfier : cette théorie sur la guerre d’indépendance était la bonne…