Traverser les pays, les villes et les stades pour découvrir à chaque fois une nouvelle culture, de nouvelles tribunes. C’est ce que font chaque week-end certains passionnés. Pour en savoir plus, on a discuté avec Basile, youtubeur qui partage ses expériences dans les stades et Gustave, qui fait voyager son public grâce à la photographie. Ces deux groundhoppers nous expliquent leur passion.
Konbini Sports ⎜Comment peut-on décrire le groundhopping à ceux qui ne connaissent pas ce concept ?
Basile ⎜ Le groundhopping, je le définis comme une passion du football avant tout, une passion pour les stades. Le concept, c’est d’aller voir un maximum de matches, mais surtout des stades différents pour voir aussi d’autres ambiances. Accumuler, collectionner les stades comme on peut collectionner quoi que ce soit d’autre.
Gustave ⎜ Le groundhopping, contraction de “ground” (terrain) et “hopping” (sautant), est une pratique de supportérisme, qui consiste à assister à des matches de football dans des stades que l’on ne connaît pas, pour découvrir de nouvelles ambiances et de nouvelles atmosphères. Un concept qui aurait commencé à apparaître en Angleterre dans les années 1970 et qui s’est ensuite développé à la fin des années 1980 en Allemagne, aux Pays-Bas ou encore en Belgique. Avec l’arrivée des réseaux sociaux et surtout d’Instagram, la pratique s’est complètement démocratisée ces dernières années, jusqu’à devenir une raison de vivre pour certains.
Peut-on faire un lien entre la culture ultra et celle du groundhopping ?
Basile ⎜ Il y a l’amour du football. Mais après, un lien entre les deux ? Je ne pense pas forcément. On peut très bien être groundhopper sans être ultra, c’est mon cas. Il y a très peu d’ultras qui sont vraiment groundhoppers, puisque être ultra, c’est être attaché à son club, être en déplacement pour son club tous les week-ends, donc c’est très peu compatible avec le groundhopping.
Gustave ⎜ Sur le papier, il est clair que le groundhopper est aux antipodes de la culture ultra. Il ne supporte aucune équipe, se fiche du résultat, bref il est clairement un touriste… Pourtant, on trouve beaucoup d’ultras et d’anciens ultras qui se disent groundhoppers. Certains profitent des déplacements européens de leur équipe pour voyager et découvrir d’autres stades. D’autres le deviennent sur le tard, en arrêtant d’être ultras, lassés des restrictions et par souhait de profiter en toute liberté des villes qu’ils visitent. Il y a aussi ceux qui y goûtent sans jamais avoir été ultra, peut-être parce qu’ils sont originaires de petites villes et qu’ils n’ont pas eu plus jeunes d’attachement particulier au supportérisme. Mais au fond, ce qui lie ces deux cultures, c’est cette passion commune pour l’ambiance des stades et ce jusqu’au-boutisme qui nous pousse chaque week-end à battre le bitume des villes et des tribunes.
Le groundhopping se popularise de plus en plus, et il prend de plus en plus de place en France. Y a-t-il une explication ?
Gustave ⎜ On peut trouver toutes sortes d’explications. Il y a déjà, bien évidemment, l’émergence des réseaux sociaux qui a permis de mettre en lumière une pratique jusque-là de niche. Il y a aussi le transport qui est devenu de plus en plus accessible. L’arrivée des compagnies low cost ou encore des bus, meilleurs compagnons du groundhopper, ont rendu la pratique accessible à tous.
Basile ⎜C’est déjà super développé en Angleterre et en Allemagne. Après, ce phénomène a vraiment émergé grâce aux réseaux, Twitter notamment. Parce que le groundhopping, c’est avant tout un partage : partager ce que l’on fait, partager notre passion. Ça a créé une communauté, ça a fédéré pas mal de monde. À partir du moment où j’ai commencé à vraiment entrer dans le groundhopping et à en faire la promotion, j’ai vu beaucoup de monde intéressé commencer à me suivre. Ma chaîne YouTube a grandi, aussi parce que j’y partage toutes ces expériences.
En France, c’est arrivé un peu plus tard, parce que notre pays est très grand. En Allemagne, on a la chance d’avoir le foot concentré énormément à l’ouest [les régions rhénanes notamment, ndlr]. Moi-même, j’ai découvert le groundhopping en étant dans une région propice à ça. Avant j’étais à Troyes : le plus proche, c’est Auxerre qui est à 80 kilomètres ou Reims qui est à 110 kilomètres. Forcément, ça rebute. Maintenant je suis à Lille, dans un rayon de 50 kilomètres, je dois avoir cinq, six, sept clubs, et dans un rayon d’une heure, j’en ai une quinzaine.
Est-ce que le groundhopping, c’est aussi retourner aux sources ? Au “football vrai”, par exemple ?
Basile ⎜Je ne sais pas si c’est directement un retour aux sources, parce que quand on est groundhopper, en général, on ne rejette pas les gros stades. Dans la tête d’un supporter ou d’un fan de football lambda, un énorme stade va faire l’objet d’un rêve, d’un fantasme. Alors que pour un groundhopper, un stade immense de 60 000 places va avoir la même valeur qu’un petit stade. C’est plus l’ambiance qui se dégage autour qui va être recherchée par le groundhopper, plus que la structure du stade.
Je ne pense pas que cela soit un rejet, mais c’est un équilibrage entre le football moderne et le football populaire. J’ai notamment vu ça avec la Championship, que j’adore et que je ne connaissais pas vraiment. Ma première expérience en Angleterre, c’était en Championship et j’ai vraiment adoré. J’ai fait de la Premier League, c’est différent. J’ai beaucoup, beaucoup plus accroché avec l’esprit de la première que la seconde.
Gustave ⎜ C’est clair qu’il y a aussi de ça, en tout cas c’est clairement ma façon de voir les choses. Je dirais même que ce qui m’anime personnellement, c’est de retrouver cet incroyable sentiment que j’avais pu avoir en découvrant pour la première fois l’ambiance d’un stade. Mais le groundhopping ne s’arrête pas là et c’est aussi un prétexte au voyage et à l’aventure, au tourisme local. Il n’y a rien de plus beau que de découvrir de nouvelles villes et de nouveaux pays, de goûter à des spécialités locales le temps d’un week-end football seul ou entre amis. Bref, comme j’aime souvent le dire, le groundhopping, c’est vivre le foot à fond les ballons.
Quel stade a été le plus marquant dans ton expérience et lequel as-tu le plus envie de découvrir ?
Gustave ⎜ Je vais être honnête avec vous, j’attaque seulement ma deuxième année de groundhopping. Je me demande d’ailleurs comment j’ai pu ne pas faire ça avant. Pour le moment, je place Liège et son stade de Sclessin comme ma meilleure expérience. L’atmosphère autour du stade est exceptionnelle et à l’intérieur, on est complètement pris d’émotion par les tribunes. En ce qui concerne l’atmosphère, le Graal est pour moi l’Argentine.
Basile ⎜Oui, j’ai deux stades. Il y a le stade de Mönchengladbach, le Borussia-Park. J’y ai vécu l’expérience de groundhopping la plus complète selon moi. J’avais organisé le voyage avec huit autres Français pour voir le match entre Gladbach et Francfort. On était à côté des supporters de Francfort, immense parcage. On a vu un 4-2 pour Gladbach qui prenait la tête du championnat, donc il y avait vraiment tout qui allait dans ce match. On a vécu une expérience de groundhopping parfaite, aussi bien l’avant-match avec des supporters dans des bars à côté du stade, dans les fanzones qui sont mises en place qu’ensuite, dans le stade, la proximité avec les gens… C’est l’expérience de groundhopping ultime que j’ai vécue. Tout était parfait.
Un stade que j’ai vraiment aimé et que j’ai fait récemment, c’est Anoeta, à la Sociedad, pour le derby entre la Sociedad et l’Athletic Bilbao. C’était incroyable, parce que ce stade vient d’être rénové, c’était le premier derby dedans et des choses ont été conservées de l’ancien stade. J’ai adoré l’ambiance entre les supporters, parce que c’est le derby le plus amical d’Europe, il n’y a aucune animosité, il y a une vraie fraternité autour du même drapeau.
Quand on fait du groundhopping, qu’est-ce qui nous intéresse d’abord ? Le jeu ? L’ambiance ? Ou simplement le désir de découvrir de nouvelles tribunes, un nouveau public ?
Gustave ⎜ Ce qui est intéressant dans cette pratique est que chacun arrive à y trouver son compte. Personnellement, je n’en ai complètement rien à cirer du jeu. Lors du derby della Mole (Torino-Juventus) de la saison dernière, il y avait beau y avoir quelques stars sur le terrain, j’étais scotché tout le match sur la Curva Maratona. Plus récemment à Brentford, où l’ambiance est plutôt bonne à l’extérieur du stade, je me suis clairement ennuyé à l’intérieur, parce que comme dans la plupart des stades anglais, l’ambiance et la culture sont bien différentes.
Basile ⎜Oui, nouveau stade, nouvelle tribune, nouvelle façon de voir le football aussi. Ce que j’aime dans le groundhopping, c’est le côté socioculturel. Comment le football est abordé et comment il prend place dans la vie des gens ? Comment les gens vont au stade ? Est-ce qu’ils y vont entre potes, en famille, seuls ? Comment on le ressent autour des stades ? J’aime aussi beaucoup voir du beau football. J’ai beaucoup plus de mal à regarder du foot à la télé maintenant, je trouve que l’on ressent les choses différemment. On va avoir un coup de cœur pour un joueur que l’on verra sur le terrain, alors qu’à la télé, on n’y aura pas fait attention.
Comment les groundhoppers sont-ils perçus dans les stades ? La pratique se démocratisant, n’y a-t-il pas une peur de voir de plus en plus de monde en visite plutôt que pour supporter ?
Basile ⎜Bien sûr. Il y a cette notion de tourisme des stades qui pose des questions. Après, entre une personne qui va faire le touriste et le groundhopper qui va être un vrai passionné, qui va avoir du vécu, qui va pouvoir justifier son statut, il y a une différence. Elle est difficile à faire au premier coup d’œil, mais c’est vrai que ça peut être mal vu. Avec ma caméra, ça peut être dérangeant alors j’ai tendance à parler, que ce soit à l’étranger ou en France, pour faire comprendre et expliquer ce que je fais. Pour montrer aussi qu’en faisant ça, je donne à pas mal de monde l’envie de revenir au stade.
Le groundhopper, quand il est au stade, il n’est pas tout de suite reconnu. Mais il ne faut pas qu’il aille se mélanger avec les ultras, il ne faut pas qu’il aille à des endroits où il n’a pas le droit d’aller. Il y a des codes. Lors de l’une de mes premières expériences à l’étranger, au Danemark, pour le derby entre le FC Copenhague et Brøndby IF avec trois potes, on a fait les deux cortèges, avec le FCK et avec Brøndby qui a un côté plus ultra. Et on s’est retrouvé en plein milieu de leur cortège. Moi, je me suis tenu à l’écart pour pouvoir filmer, mais mes potes étaient dans le cortège. L’un d’eux avait une veste de Saint-Étienne et en arrivant on lui a de suite dit de l’enlever. Il y a une personne qui est venue nous voir et qui nous a dit “on n’aime pas les groundhoppers au Danemark, donc faites-vous discrets”. Il s’est avéré que cette personne-là était le capo de la Sydsiden. Au début, on ne le savait pas, car c’est une personne très chétive, toute petite, puis on l’a vu sur le perchoir à la fin, et on s’est dit : “C’est lui qui est venu nous voir directement en personne.”
Je considère les kops comme des endroits où l’on n’a pas à aller. Ce sont des choses qu’il faut savoir. Même si ça peut rendre les choses différentes à la caméra, ce n’est pas à l’ordre du jour et ce n’est pas ce qu’il faut faire pour être accepté et être bien perçu.
Gustave ⎜ Je crois qu’être groundhopper, c’est aussi savoir respecter certains codes. Quand tu débarques en plein milieu d’un kop et que tu filmes l’ambiance pendant les trois quarts du match, tu risques de te faire pincer très fort. En revanche, si tu essayes de vivre l’ambiance au mieux, il n’y a pas de raison que ça se passe mal. Personnellement, j’essaye d’avoir toujours des contacts sur place pour être le bienvenu et pouvoir réaliser mes reportages photos en toute tranquillité. Si on ne connaît pas ces codes, il est préférable de vivre l’ambiance en latérale. Après, tout dépend, bien sûr, d’où l’on se rend. En tout cas, le groundhopping, à sa manière, encourage ceux qui auraient oublié, que l’on vit de bien plus belles expériences au stade que devant son poste de télévision.
Finalement le groundhopper, c’est un collectionneur ? On collectionne des expériences, des souvenirs, des photos, des tickets aussi.
Gustave ⎜ Le groundhopper est un grand collectionneur, c’est clair. Une sorte d’aventurier, un bon vivant du foot qui a fait le choix, même s’il peut rester fidèle à son équipe de cœur, de bourlinguer et vivre le foot dès que l’occasion se présente pour des équipes qu’il ne porte pas forcément dans son cœur.
Basile ⎜Je suis collectionneur de tickets depuis bien, bien longtemps, depuis que j’ai 10-12 ans. J’en ai 1 500, pas forcément que des matches que j’ai vus, mais avant, je m’amusais à les récolter auprès de gens, via Facebook. J’ai cette âme de collectionneur qui était liée au foot, avant même que le groundhopping n’émerge. Du coup je pense que oui, on est vraiment des collectionneurs.
Comment tombe-t-on dans cette passion ? Il est sans doute nécessaire d’être un habitué des tribunes avant de se lancer, non ?
Gustave ⎜ On y tombe un peu naturellement. Quand on est lassé des restrictions de déplacements, quand on commence à avoir envie de profiter de la ville que l’on visite, quand on en a marre du triptyque bus-parcage-bus. Bref, chacun peut avoir une façon à lui de voir le groundhopping, chacun peut être le groundhopper qu’il a envie d’être et c’est ce qui fait la beauté de cette pratique. Certains aiment découvrir les meilleures ambiances de stade, d’autres se lancent à la conquête des stades les plus insolites de la terre, certains aiment prendre le temps de découvrir les villes, d’autres sont dans la performance. Il y a même une application [ndlr : Futbology], une sorte de Strava du groundhopper, qui te permet d’enregistrer les stades visités.
Basile ⎜J’y suis tombé quand je suis arrivé dans la région lilloise et quand j’ai eu un moyen de locomotion. J’ai commencé par aller voir un match à 20 kilomètres par pur hasard et puis après 30 kilomètres, 50 kilomètres, etc. Avant de dire que c’était du groundhopping, je ne savais pas ce que je faisais. Pour moi, j’allais juste voir des matches, j’allais voir des stades.
Peut-on dire que le groundhopping garde une certaine authenticité dans un monde du football toujours plus commercial ? Ou au contraire, est-ce que cela y contribue, car finalement le groundhopper est aussi un immense consommateur de football ?
Basile ⎜C’est une consommation du football qui est différente. On veut nous faire acheter des chaînes de plus en plus chères, c’est un peu un rejet. Au final, on paye plus cher de places, mais je vis des choses assez incroyables. J’ai développé 150 photos de mon année 2019 où j’ai fait 106 matches et ce sont des souvenirs incroyables. Chaque match, chaque seconde dans un stade, je m’en souviens. Je n’arrive plus à regarder un match à la télé pendant 90 minutes sans rien faire d’autre que regarder le match. On est forcément soit sur Twitter, soit en train de faire à manger ou autre chose. Par contre, je consomme des résumés de match, mais c’est tout. Alors que quand je suis au stade, je suis concentré sur le match et c’est plus enrichissant.
Gustave ⎜ Je crois qu’il est important de comprendre que ce qui fait la beauté du groundhopping, c’est le côté bourlingue. Le voyage foot existe depuis des lustres, beaucoup d’entreprises se sont lancées là-dedans, mais le groundhopping, c’est quelque chose à part. À l’image du globe-trotting, du backpacking ou encore du bikepacking, il y a dans cette pratique cette envie de voyager de façon autonome et à peu de frais. Comme chez les routards, on recherche sans doute ce même sentiment de liberté, d’authenticité et de mise à l’épreuve de soi. On cherche le contact avec les supporters locaux, les histoires alléchantes, on voyage dans des bus et des avions low cost, on dort dans des hôtels bon marché ou on essaye de se faire loger par des locaux. Bref, on est bien loin du consommateur de football qui aurait acheté son pack complet transport-hôtel-billet sur un site de voyage spécialisé.
Quels conseils donneriez-vous à ceux qui ont envie de se lancer, mais qui n’osent pas forcément ?
Gustave ⎜ Le meilleur conseil à donner est qu’il ne sert à rien de partir à l’autre bout de l’Europe pour se lancer. Il y a tellement de choses à découvrir en France. Puis, petit à petit on commence à partir un peu plus loin et encore un peu plus loin, on commence à faire des tableaux Excel parce qu’on n’est plus capable de suivre ses dépenses, à faire 12 heures de FlixBus pour découvrir un stade, à faire plusieurs matches en deux jours à peine, à avoir un carnet d’adresses digne d’un graffeur… Mais c’est ça la magie du groundhopping. Le problème, c’est que, quand on commence à y goûter, on a du mal à s’arrêter. Même avec le coronavirus, on est tous à chercher la petite perle, le voyage le plus burlesque, celui qui nous permettra d’assouvir notre soif d’aventures foot. Car si certains stades et certaines villes en font rêver plus d’un, les petits stades et les divisions inférieures sont souvent celles qui nous font vivre les plus belles expériences.
Basile ⎜Ce que je conseille déjà, c’est de ne pas voir les choses en termes de coûts financiers. On peut faire des choses bien pour pas cher. Ne pas forcément viser loin, voir déjà ce qu’il y a autour de chez soi, c’est intéressant.
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