Ce témoignage a été écrit dans le cadre d’ateliers menés par les journalistes de la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média qui accompagne des jeunes à l’écriture pour qu’ils et elles racontent leurs réalités quotidiennes.
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Je suis assise sur la route devant l’Assemblée nationale. Avec un tube de glu, je me colle la main sur l’asphalte froid pour que le blocage dure plus longtemps. La police est censée nous décoller avec un produit spécial. Nous sommes une centaine de citoyens et citoyennes mobilisés soutenant Dernière Rénovation. En fait, je n’ai pas d’autre choix que la résistance civile.
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Assis par terre, encerclés par la police, soutenus par des députés et interrogés par des journalistes, nous prenons la parole pour expliquer notre présence ici, nos revendications. Là, sur la route, nous ne devrions pas y être. Nous préférerions ne pas avoir à y être. En fait, je n’ai pas d’autre choix que la résistance civile…
Je m’appelle Rachel, j’ai 21 ans, et je suis engagée auprès de Dernière Rénovation, une campagne de résistance civile avec une revendication : la rénovation thermique des bâtiments d’ici 2040. En France, on estime que 12 millions de personnes ont trop chaud l’été et trop froid l’hiver chez elles. J’ai beaucoup pensé à elles ces dernières semaines. Car on est en hiver, mais aussi parce que la Nupes a proposé un amendement avec un budget de 12 milliards d’euros pour la rénovation thermique des bâtiments. Avec Dernière Rénovation, c’est pour soutenir cet amendement que nous avons organisé cette action.
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De la résistance civile à la garde à vue
Nous sommes neuf à avoir été arrêtés ce jour-là. La police est venue nous empêcher de communiquer avec les journalistes et députés restés jusqu’à la fin. Elle nous attrape les uns après les autres pour nous traîner jusqu’au fourgon. Je suis la dernière à être arrêtée. Direction la préfecture de police du 13e, que je connais à cause d’autres actions. En cellule, je suis avec l’autre fille qui était mobilisée devant l’Assemblée. On entend les gars des cellules voisines. On essaie de s’occuper, on discute, on invente des jeux, on dort, on mange la nourriture que nous apportent les policiers. Pour moi, c’est riz méditerranéen.
Le lendemain, après 24 heures de garde à vue, une policière entre dans ma cellule pour me dire deux choses. La première, c’est que je vais être déférée, donc emmenée au tribunal dans les heures qui suivent. La deuxième, c’est que le gouvernement a balayé d’un revers de manche l’amendement de la Nupes en utilisant le 49.3. Vous n’avez pas idée du sentiment d’injustice que l’on peut ressentir à ce moment-là. Nous votons pour des députés, et quand ils essaient de sauver notre avenir en proposant des amendements, le gouvernement s’en débarrasse à coups de 49.3. Et ils osent nous demander de rester dans la légalité, alors que de toute évidence, ça ne suffit plus.
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Nos droits pas respectés
Au tribunal, ça ne s’est pas super bien passé… Nous sommes cinq à avoir été déférés. En arrivant, on ne nous explique pas nos droits. Dans la soirée, nous sommes présentés à une substitute du procureur sans avoir le droit à un avocat, alors que nous l’avions demandé… Je l’informe que nos droits n’ont pas été respectés, elle me dit que je n’ai qu’à écrire un courrier au juge et que si je veux un avocat, il va falloir que je passe une nuit de plus en garde à vue.
Puis elle commence à s’énerver, car en l’absence de l’avocat, je préfère refuser tout ce qu’elle me propose. Elle finit par me hurler dessus dans les couloirs du tribunal, à crier que je fais chier tout le monde, que je ne suis pas au-dessus des lois, que ce n’est pas moi qui les fais. Je me souviens avoir été très choquée de voir ce que peut être la justice… Ce jour-là, on m’a laissé croire que je partais en prison.
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Ce que je ne savais pas encore, c’est qu’au dépôt (les cellules du tribunal), j’y retournerai deux semaines plus tard pour une autre action. Je passerai cette fois-ci devant un juge qui fera le choix de ne pas m’envoyer en détention provisoire mais de me placer sous contrôle judiciaire. Depuis, je dois aller pointer au commissariat de chez moi ou ne plus me rendre à Paris.
Calmer cette rage en moi
Avant Dernière Rénovation, j’avais déjà essayé de lutter de façon légale, en m’engageant dans un parti, en me présentant à des élections, mais ça s’est avéré insuffisant… Je me suis rendu compte que le gouvernement ne nous écoutait pas.
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Alors j’ai décidé de m’engager dans la résistance civile. Ça n’a pas été forcément évident : au début, j’étais assez critique de ce genre de mouvements. Mais quand j’ai découvert Dernière Rénovation, sa force de frappe et ses actions répétées pour une revendication claire, je me suis dit qu’en fait, il ne nous restait plus que ce mode d’action. Alors j’ai fait une réunion publique puis une journée de formation à l’action.
Le 2 juillet, je faisais ma première action de blocage, et quelque temps plus tard, j’aspergeais une statue de peinture. Il y a quelques mois, je n’aurais pas imaginé un jour m’asseoir et me gluer la main sur la route. Je n’aurais jamais imaginé jeter de la peinture orange sur une œuvre d’art… Pourtant, c’est là que je me sens utile. Je n’ai jamais fait ça par plaisir, mais c’est comme ça que j’arrive à calmer cette rage en moi quand je vois ce qui nous attend.
Le danger de la répression, on le ressent
Quand on parle de résistance civile, on imagine sûrement que les gens qui font des actions, qui acceptent d’aller en garde à vue, d’aller en procès – parce que oui, on sait très bien à quoi on s’expose –, sont des gens marginaux, qui ne ressentent peut-être même plus la peur ou le danger. Le danger, on le ressent à fond, la peur aussi d’ailleurs. Et c’est justement là, la raison de mon engagement.
J’ai plus peur de ce qui nous attend dans dix ans avec le réchauffement climatique que d’aller en action. En plus de la peur, il y a la rage. La rage face à ce monde qui court à sa perte… Face à ces gens qui décident pour nous, qui ont fait le choix, et qui continuent de le faire chaque jour, de nous condamner à une vie à +1,5 °C. Autrement dit, une vie où ce qui nous attend si nous ne faisons rien, ce sont des millions de personnes sur les routes, des gens forcés de quitter le lieu qui les a vus grandir car il n’est plus vivable pour l’être humain. Ce sera aussi une vie faite de pénuries et de guerres.
Quand les enfants auront mon âge, il sera trop tard
Des gens, il en meurt déjà à cause du réchauffement climatique. Eh oui, ici même, en France. Combien de personnes sont mortes pendant la sécheresse, cet été ? J’étais animatrice en colonie de vacances. J’ai vu des enfants à qui j’ai dû dire que non, on ne fera pas de jeux d’eau malgré les fortes chaleurs car nous n’en avons pas assez et nous devons la garder pour boire, et que non, on ne fera pas de feux de camp car c’est trop dangereux.
Ce qui me révolte encore plus là-dedans, c’est que ces jeunes enfants n’auront même pas la chance de pouvoir se battre pour leur avenir. Quand ils auront mon âge, il sera déjà trop tard… C’est ma responsabilité en tant qu’adulte de me battre pour ces générations qui n’auront pas la possibilité de le faire elles-mêmes.
Si je fais ça, c’est par amour pour tout le vivant sur cette terre, et aussi par optimisme, car il n’est pas trop tard pour éviter le pire. J’estime que c’est ma responsabilité à ce moment de l’histoire, moi qui sais ce qui nous attend, de rentrer en résistance. Je suis déterminée à obtenir la rénovation thermique des bâtiments et toutes les mesures qui seront nécessaires pour éviter le pire, quitte à aller en prison.
Ceux qui font les lois, ceux qui nous gouvernent, ne vivront pas le drame qu’ils ont eux-mêmes créé. Alors, face à tout ça et pour lutter pour un futur viable, je suis entrée en résistance civile. Et vous ?
Rachel, 21 ans, volontaire en service civique, Rouen