Comme une personne menstruée sur 10, je suis atteinte d’endométriose. Au-delà des multiples examens médicaux, des tonnes de médicaments, des heures de douleur et de la peur de l’avenir, il y a l’impact psychologique de la maladie qu’on oublie trop peu.
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Il y a un mois tout pile, j’ai été diagnostiquée avec de l’endométriose profonde et de l’adénomyose, sa version intra-utérine. Une pathologie assez banale, vu qu’elle touche une personne menstruée sur 10 (oui, les personnes trans et non binaires peuvent aussi avoir leurs règles), soit 190 millions de personnes à travers le monde. Concrètement, l’endométriose, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est “le développement de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus”. Des cellules qui migrent sur les ovaires, les trompes de Fallope, le muscle utérin, la cavité utérine ou même dans l’intestin, le rectum ou la vessie. Une fois que ces cellules ont migré, elles saignent et s’enflamment, parfois pendant les règles, ou l’ovulation, ou même, quasiment tout le temps, ce qui provoque des douleurs aiguës, des troubles digestifs ou urinaires, de la fatigue chronique, et une multitude d’autres symptômes qui diffèrent d’un·e malade à l’autre.
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On connaît surtout l’endométriose comme étant la maladie des règles douloureuses : une simplification qui empêche beaucoup de personnes de se faire diagnostiquer. En effet, dans mon cas, l’endométriose a commencé par un mal de ventre. Il y a quelques mois, après un voyage, je me suis retrouvée pliée en deux de douleur. Des nausées quotidiennes, des douleurs au dos, je ne digérais plus rien. Pendant quatre mois, j’enchaîne les rendez-vous médicaux, des généralistes aux gastro-entérologues, on me prescrit des médicaments sans trop savoir ce que j’ai. J’enchaîne les arrêts de travail, j’ai du mal à sortir de chez moi sans me blinder de médicaments. Toutes mes analyses de sang et examens sont “normaux”. C’est finalement ma sage-femme (cœur sur elle) qui me parle d’endométriose et qui fait le lien entre mes crises et mon cycle. En deux semaines, le diagnostic est posé. Dans le cabinet de l’échographiste qui m’explique que j’ai une endométriose et une adénomyose, j’explose en sanglots. Je sais que j’ai eu de la chance : la moyenne d’un diagnostic d’endométriose, c’est six à sept ans. Je pensais que le plus dur était derrière moi, j’avais tort.
“Tu n’es pas ta maladie”
On ne sait pas ce qui cause l’endométriose. On ne sait pas comment la soigner non plus. Au-delà d’un traitement hormonal (pilule en continu, stérilet hormonal ou ménopause artificielle) et éventuellement de la chirurgie dans les cas les plus sévères (et pour certain·e·s, une hystérectomie, c’est-à-dire une ablation de l’utérus), chaque patient·e fait avec les moyens du bord. En tant que patiente atteinte d’endométriose, on m’a conseillé de surveiller mon hygiène de vie, parce que certains aliments et le stress peuvent empirer les douleurs. Adieu alcool, viande rouge, sucre raffiné et café. On m’a aussi conseillé de me faire suivre par un·e ostéopathe, un·e kiné, un·e algologue (des spécialistes de la douleur), de faire de la méditation, de l’acupuncture, de la naturopathie, de boire du jus de curcuma le matin ou encore de fumer un max de CBD. Du jour au lendemain, ma vie est devenue ponctuée de rendez-vous médicaux et paramédicaux, de recherches sur des blogs spécialisés, de tests de médicaments. Et c’est devenu un enfer.
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L’endométriose a un impact sur toutes les sphères de la vie : le travail, la vie sociale, la vie amoureuse et sexuelle, l’estime de soi. Quand sa vie est rythmée par la maladie, difficile de sortir la tête de l’eau. Un jour, ma mère m’a dit : “Tu n’es pas ta maladie”. Et pourtant : selon une enquête d’EndoFrance en partenariat avec le laboratoire Gedeon Richter et Ipsos publiée en 2020, “les patientes témoignent de nombreux impacts de la maladie sur différents aspects de la vie au quotidien : [vie] sexuelle (55 %), psychologique (54 %), ou encore physique (50 %). 65 % des femmes actives atteintes d’endométriose déclarent que la maladie a un impact important sur leur bien-être au travail”. Quand les journées sont rythmées par les douleurs, quand manger un aliment fait prendre le risque d’une crise, quand on est obligé d’annuler des soirées entre potes ou de décaler des rendez-vous par peur d’être dans le mal… La maladie fait partie intégrante de notre vie.
Non, ce n’est pas “que” dans ma tête
Ce qui m’a le plus énervée dans mes longues heures de recherches sur ma maladie, c’est de constater qu’il n’y a pas vraiment de solution miracle. Pas de médicament ni de traitement qui marche à 100 % pour tous·tes. Beaucoup d’errance médicale. Énormément de colère et de frustration. Sur les pages et forums, des dizaines de messages pseudo-spirituels, appelant à se réconcilier avec son utérus et son féminin sacré : “L’endométriose est une maladie d’auto-sabotage”, “l’endométriose vous parle de vos barrières, de vos rêves que vous n’osez pas vivre au grand jour” ou encore “c’est la sensation de ne pas être à sa place qui est en rapport avec l’endométriose. […] L’important est de retrouver sa place, de revenir chez vous, en vous”. Au-delà du non-sens scientifique de toutes ces affirmations, il y a la douleur de se voir renvoyé·e à ses organes génitaux et à sa fonction procréative. Comme quand l’échographiste m’a demandé, alors que j’étais en train de pleurer sur sa table : “Vous voulez des enfants ? Bientôt ? Parce qu’avec l’endométriose, ça va être difficile”. À même pas 30 ans, je dois réfléchir à une possible congélation d’ovocytes, à une PMA, ou même à la possibilité que je ne pourrai pas avoir d’enfants.
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En fait, l’impact psychologique de l’endométriose, au-delà des douleurs du quotidien, c’est de faire son deuil de sa vie d’avant. Une vie d’insouciance, où je pouvais partir en voyage sans emporter toute une pharmacie avec moi, où j’allais au cinéma ou à des concerts sans me préoccuper de la présence de toilettes à proximité, où je pouvais rester debout pendant des heures. De nombreuses études ont montré les liens étroits entre endométriose, symptômes dépressifs et troubles anxieux. J’ai lu quelque part que l’endométriose, c’est “un cancer dont on ne meurt pas” : par certains aspects, savoir que quelque chose nous grignote de l’intérieur y ressemble. Être malade potentiellement à vie (car certaines douleurs d’endométriose sont présentes même après la ménopause ou une ablation de l’utérus) a un impact psychologique important, et nécessite une prise en charge globale. Je pense que tout l’enjeu est d’apprendre à vivre avec la maladie, selon ses douleurs et ses capacités, tout en demandant une meilleure prise en charge de la part du corps médical. Alors non, l’endométriose ce n’est pas “dans la tête”. Mais elle peut détruire la santé mentale.