Ce témoignage a été écrit dans le cadre d’ateliers menés par les journalistes de la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média qui accompagne des jeunes à l’écriture pour qu’ils et elles racontent leurs réalités quotidiennes.
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J’ai travaillé en centre de loisirs pendant presque trois ans. J’aurais aimé garder ce travail plus longtemps, mais mes parents ont été contraints de déménager (la maison devait être revendue ou quelque chose comme ça). À ce moment-là, impossible d’envisager de me prendre un appartement, ou de passer mon permis. Pourtant, je touchais enfin mon propre salaire, j’aurais dû avoir les moyens de faire ça. Mais mes parents étaient au chômage. J’ai dû les aider financièrement et ça m’a bien compliqué la tâche.
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En 2016, j’ai passé mon BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur). Pour le valider, j’ai eu besoin de passer par un stage. Mon père était allé se renseigner à la mairie et avait réussi à m’en trouver un au centre de loisirs du village. Lorsque ma période de stage s’est terminée, on m’a proposé de m’embaucher. C’est comme ça que j’ai décroché mon premier travail.
J’avais du mal à m’intégrer, mais avec le recul, ça n’a pas beaucoup changé. C’était quand même très plaisant, le genre de travail parfait pour débuter. Avec ces enfants toujours prêts à tout pour te faire vivre des scénarios complètement improbables, il faut rester attentif à eux et à leur sécurité, apporter de nouvelles idées, penser à de nouvelles façons de les occuper et leur permettre de se forger des souvenirs et une éducation.
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Pourtant, il n’y avait pas moyen de m’y mettre à fond. Malgré mes tentatives pour me faire ma place, j’avais l’impression de ressentir tous les jours le stress de mon arrivée. Je n’en parlais pas beaucoup à mes parents à ce moment-là. Ils ont beaucoup de qualités, mais ne sont sûrement pas les meilleurs pour comprendre ce genre de choses. Ils m’auraient sûrement conseillé de “pas me prendre la tête”.
Eux au chômage, moi au travail
Parfois, ça m’arrivait quand même de leur raconter mes journées. Ils étaient contents que je puisse trouver quelque chose qui me plaise, même s’ils n’ont jamais eu une très bonne image du travail. Pour eux, c’est un peu comme si on leur enlevait leur liberté.
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À la place, ils ont toujours été dans la débrouille. Quand j’étais plus petit, ils s’étaient lancés dans la vente sur les marchés. Ils faisaient ça en bord de plage. Ça nous permettait de financer notre camping pour passer les vacances. Mon père, grand passionné de musique, s’est toujours concentré sur son rêve de monter sa sono. Il organise quelques soirées, parfois des festivals avec des amis à lui. Mais la majeure partie du temps, il ne se passe pas grand-chose, surtout quand on habite dans un petit village. Globalement, mes parents ont toujours été au chômage. Alors évidemment, le jour où j’ai trouvé ce travail, le salaire fut le bienvenu à la maison.
Ma carte bleue n’est plus la mienne
Ça a commencé dès ma première paie : déjà endettés du mois passé, des factures à régler et des courses à faire, mes parents ont demandé à m’emprunter ma carte. Je n’étais pas contre, on avait enfin un moyen de vivre un peu plus correctement. J’étais content d’avoir mes clopes et de quoi remplir le frigo. Quelques mois plus tard par contre, ma carte n’était déjà presque plus la mienne. Entre leur loyer, leurs factures et tout le reste, il y avait toujours quelque chose à régler.
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Ça s’est compliqué le jour où j’ai voulu me prendre un appartement. Je me disais que ce serait impossible de partir de chez eux sans nous mettre dans la galère. Si je ne réglais pas le loyer de mes parents, on serait peut-être dehors avant même que je trouve mon appartement. Finalement, j’ai laissé le temps filer.
Je n’ai pas eu le temps de les réaliser que mes rêves tombaient déjà à l’eau. Mes parents ont dû déménager et donc je n’avais plus de travail. C’était un retour dans la galère et je n’avais plus aucune solution pour prendre mon indépendance.
Le permis comme porte de sortie
Les années ont passé mais ma situation n’a pas beaucoup avancé. J’ai trouvé d’autres petits boulots entre-temps. Mais, au bout d’un moment, ça devenait trop compliqué de toujours devoir faire appel à mes parents pour me déplacer.
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Je me suis dit que le permis serait l’idéal pour m’en sortir tout seul. Alors j’ai décidé de commencer par le code. Mais comment est-ce que je vais me débrouiller pour le payer et pour me trouver une voiture si on a déjà du mal à manger correctement ? Bref, c’est une situation compliquée où les opportunités sont dures à trouver.
Erwan, 20 ans, en formation, Pays de la Loire