Depuis quinze ans, on reçoit des artistes et personnalités mondialement connu·e·s de la pop culture, mais on a aussi à cœur de spotter les talents émergents dont les médias ne parlent pas encore.
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En 2024, après une première édition des Talents of tomorrow, on repart en quête de la relève. La rédaction de Konbini vous propose une série de portraits sur les étoiles de demain, qui vont exploser cette année. Des personnalités jeunes et francophones qu’on vous invite à suivre et soutenir dès maintenant.
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Portrait. Il y a quelques mois, lorsqu’il a fallu trouver le chef à mettre en avant pour notre nouvelle édition des Talents of tomorrow by Konbini, j’ai tout de suite su vers qui me tourner : Valentin Raffali, le chef que l’on avait sacré l’an dernier. Alors qu’il lisait et parcourait attentivement la liste de cuisiniers que j’avais dans le viseur, il s’est arrêté net au nom de Zac Gannat, 30 ans, chef à la tête de Lolo Bistrot, jeune table turbulente et impertinente prisée des puristes et des curieux de la capitale. C’était une évidence pour Valentin Raffali, autant que ça l’était pour moi, alors pas besoin de davantage, j’ai vite arrêté ma décision.
J’étais déjà venu dîner chez Lolo, mais cette fois, le rendez-vous était plus sérieux. Pour notre rencontre, une place m’attend, seul au comptoir qui surplombe la cuisine, pour un voyage à travers ses créations folles, mesurées, azimutées et tourmentées – ce soir-là, un bouillon/sashimi d’agneau/crevettes bouquet, un pot-au-feu de lotte/moelle, une glace au caramel enrobée de bleu Stilton ou, plus en arrière encore, une mémorable huître pochée/sauce poivre au bouillon de tête de thon.
Il en faut, du cran, pour imposer de tels partis pris à une carte de restaurant. Il en faut aussi, du cran, pour assumer ses idées et les confronter au grand public. Mais là où des chefs y trouveraient un moyen de soigner leur orgueil, Zac Gannat, lui, va à l’exact opposé. Les cuisines ouvertes qui plaisent tant aux foodies ? Il s’en passerait bien. Les interviews et les articles ? “Il faut passer par là, mais c’est pas trop mon truc”, sourit-il. “Évidemment, c’est flatteur d’être salué et mis en avant pour mon travail, mais je ne suis pas à l’aise avec ça.”
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“Quand j’ai dit à mon père que je voulais faire de la cuisine, il a d’abord rigolé, puis quand il s’est rendu compte que j’étais sérieux, il m’a foutu à la porte”
Si l’on peut y voir de l’humilité et de la modestie, on peut aussi y voir le début d’un chemin de vie complexe et fragile qu’il accepte de dévoiler : une scolarité classique, des études à la dure, une voie toute tracée pour devenir ingénieur et, finalement, un virage à 180° qui surprend tout le monde. “Quand j’ai dit à mon père que je voulais faire de la cuisine, il a d’abord rigolé, puis quand il s’est rendu compte que j’étais sérieux, il m’a foutu à la porte. On ne s’est pas parlé pendant huit mois”, confie-t-il.
Il faut dire que la cuisine n’avait rien d’une évidence au départ. Hormis une grand-mère juive polonaise qui cuisinait beaucoup et des week-ends à bricoler avec des casseroles avec sa copine de l’époque, rien à signaler, ou presque. Et puis son père savait très bien où il mettait les pieds. “Il vendait des fonds de commerce de restaurants, il connaissait très bien le monde de la restauration. Il ne voulait pas que je me lance dedans au détriment d’une carrière plus sûre et plus tranquille.”
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Alors, à 21 ans, il envoie des CV un peu partout. Beaucoup lui ferment la porte. “J’avais envie d’essayer, mais je n’avais pas d’expérience ni la certitude de vouloir en faire mon métier.” Finalement, ça mordra dans un restaurant d’hôtel, tenu par un chef tout juste sorti de Top Chef, Jean-Baptiste Ascione. Là-bas, Zac Gannat commence par les omelettes et les levers à 5 heures du matin, puis les double shifts, le soir, pour parfaire ses techniques et rattraper le temps perdu. Après ça, il papillonne, enchaîne les restaurants. Des expériences bonnes et moins bonnes, et le sentiment que les choses s’accélèrent. Un peu trop vite, parfois.
Un jour, il s’envole au Royaume-Uni. Un poste de sous-chef l’y attend, une “occasion en or”. À Londres, il découvre une scène culinaire en pleine effervescence, libre et affranchie de tout complexe. Des chefs qui assument, ne s’excusent pas, et tant pis si ça ne plaît pas à tout le monde. Assez vite, il comprend qu’il fait du surplace. “Tu as beau beaucoup cuisiner, lire beaucoup de livres, en restant seul, tu restes limité.” Alors il rejoint les équipes du chef étoilé Greg Marchand. D’abord dans son antenne londonienne, Frenchie Covent Garden, puis à Paris, à Pigalle. “Je découvre un monde à part, l’exigence de la cuisine gastronomique, le travail sur les couleurs, sur l’acidité. Dans la vie d’un chef, il y a un avant et un après. Là, je comprends enfin des choses élémentaires de la cuisine, pourquoi on fait ça comme ça et pas autrement…”
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“Tu as beau beaucoup cuisiner, lire beaucoup de livres, en restant seul, tu restes limité”
Lorsqu’il décide de rentrer à Paris, c’est pour rejoindre le projet fou de Loïc Minel et Christophe Juville : Lolo. Une cave, et bientôt un bistrot dont ils lui fileront rapidement les commandes. Zac Gannat se lance, avec une pression qu’il peine à entrevoir, et propose de premières assiettes brutes, “peut-être un peu trop anglaises pour les gens”, bien que révolutionnaires à Paris. Mais en cuisine, le tonnerre dans sa tête commence à gronder. Trop de stress, trop de fatigue, trop de bruit, trop de mots. Trop de tout. “Je fais un burn out et je suis interné en hôpital psychiatrique sous contrainte.” Et là, tout s’arrête net. “Assez vite, le diagnostic tombe, je souffre de troubles émotionnels et d’hypersensibilité liés à la bipolarité. On ne peut pas tout traiter avec des médicaments, mais on peut au moins calmer les épisodes de colère qui me submergent.”
Quelques mois, un voyage en Asie et une longue discussion avec les patrons plus tard, Zac Gannat est de retour dans les cuisines de Lolo Bistrot pour une “deuxième ouverture”, presque aussi symbolique que la première mais plus calme et plus apaisée, malgré les blessures. À la carte, en revanche, les mêmes choix intrépides et une créativité encore plus explosive. “Je n’ai jamais pris de cours de cuisine, donc je cuisine comme je mange : à l’instinct. Et parfois, ça donne des associations qui peuvent surprendre”, sourit-il, avant de citer les deux goûters préférés de son enfance : des pâtes alphabet mouillées au sucre et du chocolat dévoré avec du comté. “Si on mettait trois chefs dans ma cuisine pendant que je prépare un bouillon, en versant tous les vinaigres et les sauces qui me passent par la main, ils hallucineraient.”
Zac Gannat voit la cuisine comme une thérapie et une béquille à ses sensibilités multiples. “Certains ont besoin de se retrouver au calme, d’aller courir, de prendre l’air… Moi, c’est de rester dix heures dans une cuisine, c’est ça qui me sauve.” Et lorsqu’on s’amuse à lui demander s’il tente de faire passer des messages dans ses assiettes, il se braque, mais voit désormais bien comment la cuisine peut agir sur sa personne. “Je ne fais pas passer de message précis, mais beaucoup de gens perçoivent des choses dans ce que je fais. Je ne cuisine pas pareil quand je suis de bonne humeur et lorsque ça va un peu moins bien. L’assiette ne sera pas la même, et c’est épuisant de le subir chaque jour.” Un jour, une journaliste est venue lui dire, à la fin du service, qu’il devait être quelqu’un de très sensible. “J’étais un peu pris de court, mais je pense qu’elle avait tout compris.”
Allergique à de nombreux ingrédients mais surdoué des associations terre-mer, Zac Gannat articule sa cuisine autour de la confiance en ses idées, de la grande liberté créative qu’on lui offre et de l’avis de ceux qui l’entourent. Des gens de confiance du quotidien qu’il citera des dizaines de fois pendant notre interview : d’abord Loïc Minel, le patron, puis le très doué Paul-Alexis Veyret-Logerias, son second à l’époque de Lolo Cave, et désormais Alec Van Branteghem. “On change la carte du resto toutes les semaines, on expérimente, on ajuste…” Ce qui revient à près de 600 nouveaux plats créés et cuisinés chaque année.
Oui, 600.
Un point commun avec le chef Valentin Raffali, qui nous avait recommandé Zac Gannat pour ce portrait et en crée quasiment autant chaque année à Livingston, à Marseille. Un point commun aussi avec la créativité de ce dernier qui était là, pendant son hospitalisation, dans les moments difficiles de la vie… et même dans sa cuisine ce soir-là, devant nous, chez Lolo Bistrot, presque par hasard, pour cuisiner quelques bricoles. Entre amis, artisans, poètes de la cuisine de demain et, surtout, entre âmes libres et sensibles.
Les recos de Zac Gannat
- Un album : Southernplayalisticadillacmuzik d’OutKast. “Je ne l’avais jamais entendu en entier avant que Loïc ‘Lolo’ Minel ne le mette au restaurant. Depuis, il y a une chance sur deux qu’on le passe au resto chaque soir. C’est devenu une routine, et quand je l’entends, c’est comme si j’entrais sur le ring, en mode : ‘Let’s cook!'”
- Un artiste : Anderson .Paak. “Je ne comprends pas grand-chose à ses paroles, mais j’adore son énergie, son flow et son sourire. J’ai un truc avec le sourire des gens, ça peut être insignifiant pour certains, mais moi, ça me fait beaucoup de bien.”
- Un plat : le Filet-O-Fish. “Désolé, mais avec les potatoes et toutes les sauces que tu peux acheter au McDo, c’est imbattable. Je ne sais pas, il y a un côté hyper régressif, avec le pain qui se colle au palais.”
- Un film : Le Lauréat (1967) de Mike Nichols. “Je l’ai vu très jeune, vers mes 14 ans. Il y avait tout dedans : la BO, l’interdit… Ça m’a tellement marqué que je le regarde au moins une fois par an. Ça me ramène en enfance et c’est un repère pour moi.”
Vous pouvez suivre le chef Zac Gannat sur Instagram.