“Il y a quoi à voir en ce moment ?”, “Vous avez une expo à me conseiller ?”, “Vous avez vu quelles expos récemment ?”… Chaque mois, nous tâcherons de répondre à ces questions existentielles qu’on nous pose tout le temps et qui vous font vivre les pires insomnies. Ces recommandations auront le mérite, on l’espère, d’adoucir vos week-ends, de remplir vos cerveaux de belles images et de projets touchants.
Publicité
Qui, quoi, où, quand…
L’artiste Sophie Calle, celle qui a amené une quarantaine de chanteur·se·s à composer un album en hommage à son défunt chat Souris, celle qui a séjourné parmi les rats morts et les chats momifiés dans une “chambre à l’abandon” du musée d’Orsay, celle qui a invité des inconnu·e·s à lui rendre visite dans son lit pour que les draps ne refroidissent pas, oui, cette Sophie Calle là investit le musée Picasso, à Paris, jusqu’au 7 janvier 2024. Pour “À toi de faire, ma mignonne”, elle a foutu les œuvres du peintre espagnol controversé au sous-sol, et on trouve que c’est un geste déjà très fort.
Publicité
Ce qu’on a le plus aimé…
Dans cette exposition, l’artiste française parle de disparition, de ses projets inachevés, des personnes malvoyant·e·s, rend un hommage à Guernica par-ci et révèle son tout premier dessin par-là. Mais c’est au deuxième étage du musée qu’il faut accrocher son cœur car elle y expose des œuvres autour de la mort de ses parents et de sa propre peur de mourir.
Publicité
Les œuvres qui nous ont le plus touchées…
Évidemment, c’est le deuxième étage qui nous a bouleversées, avec une salle dédiée à la mort de ses parents et sa propre angoisse de la fin. Elle expose par exemple le dernier mot que sa mère a dit avant de mourir, “souci”, des pages de son journal, ainsi que les textos qu’elle a envoyés à l’ancien numéro de son feu père, aujourd’hui réattribué. Cette personne lui a répondu un merveilleux : “C ki”. C’est devant un des textes intimes que Sophie Calle a écrits après la disparition de ses parents que nous avons tout bonnement pleuré : elle y décrit les derniers échanges qu’elle a eus avec son papa, les derniers mots qu’il lui disait chaque soir avant qu’elle ne quitte sa chambre d’hôpital pour y revenir le lendemain.
Publicité
Quel serait le dernier mot de son père, se demande-t-elle, espérant un mot noble et digne. “Jeudi : Toilettes. Pas terrible. Il serait en vie demain, c’est certain. Vendredi : Tableaux. […] Un beau mot de la fin. Un mot risqué. J’hésitais entre le désir de ce mot impeccable, et celui du mauvais mot, celui qui ne peut pas être le dernier et qui donne l’assurance de retrouver mon père demain. Samedi, il a dit : Mourir. Dimanche, il a dit : Matin. Il est mort le lundi […]“. Plus loin au même étage, elle présente tous ses biens expertisés (comme si elle était déjà morte). La mise en scène imite à la perfection les expositions de ventes à Drouot.
Il y a aussi ces lettres, exposées au rez-de-chaussée, qu’elle a échangées avec un homme incarcéré pour vol d’œuvres, et dans lesquelles elle lui demande de lui décrire, de mémoire, les tableaux qu’il a dérobés ; il n’appréciait guère le Picasso. Et il y a également au premier étage Parce que, ces cadres qui dissimulent sous leurs rideaux textuels “des images” et qui “disent les raisons qui président à chaque prise avant de déclencher l’acte photographique”. Sous le rideau annonçant “parce que j’ai trouvé sur le Net une définition me concernant qui tient en sept mots : ‘Sophie Calle, artiste sans enfant par choix.’ Par malice, parce que j’en ai un sous la main”, se révèle une photo d’elle donnant le sein à un bambin (qui n’est pas le sien). Au même étage, le tête-à-tête qu’elle offre au public avec La Célestine de Picasso nous a aussi fait rire. Cette Salle de consolation, présentant une chaise posée face au tableau, est là pour “les visiteur·se·s venu·e·s de loin pour voir des Picasso” : “Je veux dire que je suis seule fautive de leur absence. Prise de remords, je vous offre un tête-à-tête avec La Célestine“.
Publicité
Ce qu’on a moins aimé…
Le temps de visite de l’exposition qui n’est pas assez rappelé et affiché (ou alors, on est passées à côté). Il faut compter trois heures pour avoir le temps de tout voir (ça, le site du musée le dit), donc prévoyez d’y rester longtemps si vous voulez tout lire. Sophie Calle est une artiste qui travaille autour de la textualité et qu’il faut prendre le temps de lire. De nombreux travaux exposés ne sont compréhensibles qu’en les lisant en intégralité. Il nous a fallu y retourner une seconde fois pour finir le passionnant quatrième étage sur ses projets abandonnés, et voir en entier le film de 20 minutes du troisième étage, dans lequel elle fait expertiser les objets de son domicile par une maison d’enchères, faisant comme si elle était déjà morte.
Pour aller plus loin…
Si vous avez aimé cette exposition, on vous conseille de lire certains projets écrits de Sophie Calle, publiés aux éditions Actes Sud. On vous recommande ceux-ci :
Publicité
- Le Rituel d’anniversaire, où elle documente sa peur d’être oubliée pour son anniversaire en invitant chaque année des convives qui correspondent à son nouvel âge fêté ;
- Que faites-vous de vos morts ?, dans lequel elle interroge des visiteur·se·s sur leur relation avec leurs défunt·e·s ;
- Douleur exquise, qui parle de la rupture amoureuse la plus douloureuse qu’elle ait vécue ;
- À suivre, sur tou·te·s ces inconnu·e·s qu’elle a suivi·e·s dans la rue ;
- Prenez soin de vous, où elle a demandé à 107 femmes de réécrire une lettre de rupture qu’elle a reçue (et qui se terminait par “prenez soin de vous”) dans un registre professionnel propre à leur métier ;
- L’Hôtel, qui relate son expérience en tant que femme de chambre dans un hôtel vénitien, durant laquelle elle en a profité pour nourrir son obsession pour les objets des autres.
En voilà de la lecture pour occuper vos vacances de Noël.
L’exposition “À toi de faire, ma mignonne” est à voir jusqu’au 7 janvier 2024, au musée Picasso, à Paris.