Il y a cinq ans, le 5 octobre 2017, le New York Times publie une enquête des journalistes Jodi Kantor et Megan Twohey sur des accusations de harcèlement sexuel contre le jusque-là intouchable producteur hollywoodien Harvey Weinstein. Le 15 octobre, un tweet de l’actrice Alyssa Milano finit d’allumer la mèche sur les réseaux sociaux. Les vannes du mouvement #MeToo viennent de s’ouvrir.
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Alors que l’on célèbre actuellement les cinq ans de la déflagration #MeToo, le Film français, journal de référence dans l’industrie du cinéma, a publié la semaine dernière son numéro 4040. En couverture, sept hommes blancs, avec en titre et en majuscules : “Objectif : Reconquête !” Aux côtés de Jérôme Seydoux, patron milliardaire de Pathé, les acteurs et réalisateurs français connus et reconnus Pio Marmaï, Vincent Cassel, François Civil, Pierre Niney et Dany Boon. Face au légitime tollé sur les réseaux sociaux, le journal a présenté ses excuses.
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Alors que Julia Ducournau, Audrey Diwan, Jane Campion et Carla Simón ont successivement remporté Palme d’or, Lion d’or, Oscar de la Meilleure réalisation et Ours d’or, soit les récompenses les plus prestigieuses du cinéma, comment une telle méprise est-elle encore possible ? Que ce soit par leurs œuvres originales ou par leur prestation, voici sept femmes qui nous ont conquis en 2022.
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Laure Calamy
Naviguant dans l’écosystème du cinéma français depuis plus de vingt ans, Laure Calamy a fait mouche dans de nombreux seconds rôles remarqués. Révélée en 2015 par son rôle d’assistante émotive et déterminée dans Dix pour cent, le cinéma français lui a enfin ouvert grand les bras. En 2021, elle a obtenu le prix Orizzonti de la Meilleure actrice à la Mostra de Venise 2021 pour le saisissant film d’Éric Gravel À plein temps et le César de la Meilleure actrice pour le beau succès public et critique Antoinette dans les Cévennes.
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En 2022, elle tiendra l’affiche d’Annie Colère, dans lequel elle livre un combat pour le droit à l’avortement en s’engageant sur le terrain, et du thriller L’Origine du mal, où elle n’a décidément pas sa pareille pour incarner de fausses candides qui flirtent avec la folie.
Alice Diop
Régulièrement récompensée, Alice Diop est un grand nom du cinéma français. En 2016, elle documentait la vie amoureuse de la jeunesse de banlieue dans Vers la tendresse, qui recevait le César du Meilleur court-métrage, et plus récemment, elle filmait les voyageurs du RER B dans Nous, un documentaire doublement primé à la Berlinale.
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Cette année, rebelote. Alors que la talentueuse cinéaste française s’essayait pour la première fois à la fiction avec Saint Omer, un film sur la maternité inspiré d’un fait divers, elle a remporté le doublé gagnant à la Mostra de Venise avec le Grand Prix du jury et le prix du premier film. Consécration, c’est également son film que le CNC a choisi d’envoyer pour concourir aux Oscars en mars prochain. Reste désormais à savoir si elle réussira à faire partie des cinq finalistes présents au Dolby Theatre.
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Virginie Efira
Celle qu’on ne présente plus ne cesse d’asseoir chaque année un peu plus son statut de meilleure actrice française. Maîtresse de cérémonie au Festival de Cannes en 2022, elle fut également à l’affiche de quatre films : En attendant Bojangles, Don Juan, Revoir Paris et Les Enfants des autres. Mais c’est dans ce dernier qu’elle s’est tout particulièrement illustrée.
Elle y est impériale dans le rôle de Rachel, une professeure de français de 40 ans sans enfant qui tombe amoureuse d’Ali, divorcé et papa d’une petite fille de 4 ans, dans une expérience universelle mais dont la représentation est filmée avec une subtilité et une émotion rares. Avec ce nouveau film et après deux collaborations fructueuses avec Justine Triet, Virginie Efira prouve qu’elle sait choisir avec soin les réalisatrices avec qui s’associer.
Charlotte Le Bon
Si Falcon Lake, son premier film en tant que réalisatrice, n’est pas encore sorti en salle, il a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et a remporté le prix d’Ornano-Valenti au Festival de Deauville. Et il est certain que Charlotte Le Bon va marquer l’année grâce à ce coup d’essai plus que réussi.
Pour ce galop d’essai, la réalisatrice québécoise n’a donc pas choisi la facilité et adapte la bande dessinée subversive et sensuelle Une sœur de Bastien Vivès pour raconter les vacances en famille d’Antoine (Bastien dans le film), 13 ans, et de son éveil sexuel par Hélène (Chloé dans le film), 16 ans, la fille du couple d’amis de ses parents. Mais grâce à la délicatesse et la pudeur avec lesquelles elle filme l’éveil sexuel adolescent, elle livre un teen movie pudique à la lisière du fantastique et, surtout, une très jolie histoire d’amour et de fantômes.
Léa Mysius
Si la réalisatrice de 33 ans a déjà apporté sa plume aux scénarios des plus grands (on pense ici notamment aux Olympiades de Jacques Audiard), cette année, à Cannes, elle a confirmé qu’elle est un talent du cinéma français à surveiller de près. Avec Les Cinq Diables, son second long-métrage, elle filme Vicky, une fillette dotée d’un odorat surdéveloppé que les odeurs transportent dans le passé de sa mère. La réalisatrice y mêle naturalisme et fantastique pour interroger le poids des secrets familiaux que l’on transmet aux générations suivantes.
Après Ava, Léa Mysius continue de déployer son univers bien à elle, un univers de contes fantastiques qui prend racine dans les cinq sens et les quatre éléments et peuplé d’enfants énigmatiques.
Anaïs Volpé
Avec Entre les vagues, un premier film incisif et rempli d’énergie, Anaïs Volpé s’est imposée comme une réalisatrice prometteuse pour dépoussiérer le cinéma français. Elle y filme deux actrices énergiques, Souheila Yacoub (puissante dans Climax ou Les Sauvages) et Déborah Lukumuena (l’étoile de Divines), qui interprètent deux amies en école de théâtre. Lorsque l’une est prise pour interpréter le rôle principal d’une pièce, l’autre est amenée à faire sa doublure.
Anaïs Volpé réalise ici un récit d’amitié puissant et habité par ses comédiennes, qui transpire d’ardeur. Une cinéaste à suivre de près.
Rebecca Zlotowski
En 2022, la réalisatrice française surdouée revient avec un cinquième long-métrage, le plus réussi et le plus sensible de tous. Et une nouvelle fois, elle y filme une trajectoire féminine qui sort des cadres avec une subtilité et une émotion rares. Sans cris et sans colère, en évitant les conflits inhérents aux histoires de séparations ou de familles recomposées, elle nous propose un film doux et nuancé.
En racontant au plus près les questionnements intimes de son héroïne quadragénaire et belle-mère en devenir, la réalisatrice interroge la notion de famille, le désir maternel et la cruauté du temps qui passe à deux vitesses pour les hommes et les femmes.