Vingt Dieux, le contre-pied du cinéma social

Publié le par Sophie Grech,

(© Pyramide Distribution)

Rencontre avec Louise Courvoisier dont Vingt Dieux est le premier long-métrage.

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Ce premier long-métrage lumineux sur fond social et fromager, Vingt Dieux, n’est pas passé inaperçu. En effet, sélectionné au Festival de Cannes en sélection Un certain regard, il y a reçu le Prix de la jeunesse, puis le Valois de diamant et le Valois des étudiants à Angoulême ainsi que le prix Jean-Vigo du meilleur film.

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Le jeune Totone, âgé de 18 ans, se voit confier la charge de sa petite sœur après le décès abrupt de leur père. Le jeune Jurassien, fêtard, doit trouver des ressources pour pallier ses besoins financiers allant de pair avec ses nouvelles responsabilités familiales. Son idée : remporter le prix du meilleur comté et la somme de 30 000 euros.

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C’est un regard tendre et bienveillant que pose Louise Courvoisier sur ses protagonistes imparfaits et parfois impulsifs.

“J’avais envie d’apporter un regard, peut-être plus intérieur et nuancé, sur cette jeunesse que je connais bien. Mon objectif était aussi de m’éloigner d’une vision trop misérabiliste de la campagne et de ses habitants. Je voulais insuffler un vent de fraîcheur, proposer une perspective plus jeune. Montrer cette jeunesse dans toute sa complexité : sa violence, sa vulnérabilité, et éviter de tomber dans des caricatures simplistes, comme celle des ‘gentils petits’ ou des ‘grands méchants’.

Bref, offrir une approche plus humaine.”

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Rendre la campagne sexy

Vingt Dieux s’autorise à capter la sensualité du quotidien rural. Louise Courvoisier va la chercher sur la peau de ses comédiens (tous non professionnels), dans la chaleur ou l’inconfort des décors. Le long-métrage déploie une mise en scène sensorielle au profit d’un récit d’éveil sexuel touchant. Elle s’exprime sur cette volonté :

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“J’avais envie de m’autoriser une esthétique plus marquée, peut-être plus américaine, pour mettre en lumière ces personnages et leur univers. Je trouve qu’il est possible de rendre sexy les aspérités, de sublimer ce qui est cassé ou abîmé, que ce soit dans les visages, les corps ou les décors. Cela peut vraiment devenir quelque chose d’esthétique et captivant.

Le film repose sur une base dramatique, mais cela n’empêche pas d’y intégrer de la comédie, de l’humanité et de la lumière.”

Totone porte le récit social de l’œuvre. Sa précarité est due à sa tragédie familiale mais aussi à la situation plus globale des agriculteurs et ouvriers français. Même si Louise Courvoisier cite en référence le réalisateur britannique Ken Loach, elle se détache des poncifs de mise en scène et de photographie que l’on peut retrouver dans le cinéma dit social. La jeune réalisatrice aime le cinéma de grand divertissement américain, et nomme au cours de l’interview Magic Mike et Fast and Furious.

Sa volonté de montrer le beau l’a amenée à piocher dans des identités visuelles plus chaudes, venant directement d’autres genres cinématographiques. Et son but est également de rendre le film accessible et agréable. Elle développe :

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“Mes références visuelles viennent du western. C’est ce que je voulais utiliser pour parler de cette ruralité. Cette chaleur pour montrer les paysages, les peaux, c’est ma manière de faire un film social solaire et accessible. Je trouvais ça bizarre de faire un film sur la ruralité mais qu’il ne soit pas accessible aux personnes concernées. Je voulais réaliser un film que j’aurais envie d’aller voir : c’est-à-dire un film généreux. Pas juste pour un milieu très pointu du cinéma d’auteur plus citadin. C’était important de réfléchir à comment trouver cet équilibre.”

Avec son scénario riche, sur fond de deuil, de fromage et de quête personnelle, Vingt Dieux offre une réflexion fine et délicate sur le féminin et le masculin. Au travers de ce jeune homme, Totone, Louise Courvoisier parvient à soulever de nombreuses questions sur les injonctions masculines. La réalisatrice opte pour une histoire d’amour et ses séquences d’intimité pour nous offrir son point de vue sur la pression sociétale faite aux hommes comme aux femmes. Elle explique :

“C’est important de se questionner sur ce qu’on raconte. Est-ce qu’on s’inscrit dans la logique habituelle, où l’on présente une histoire d’amour avec une sexualisation du corps de la femme, réduite à un objet de désir ? Ou bien, est-ce qu’on interroge aussi la pression exercée sur les hommes, cette injonction à assurer, à performer, qui peut devenir écrasante ?”

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(© Pyramide Distribution)

Ici, on explore un personnage masculin totalement enfermé dans ce manque de confiance, qui affecte même son intimité. Face à lui, le personnage féminin, sûr de lui, sachant exactement ce qu’il veut, devient un guide. Il accompagne Totone, non pas uniquement dans la sensualité, mais surtout dans la reconquête de sa confiance en lui-même.

Ce féminin fort, Louise Courvoisier le peint évidemment avec le personnage de Marie-Lise, jeune agricultrice et crush de Totone, mais elle le développe également avec des personnages plus secondaires. Il était important pour la réalisatrice de mettre en avant des corps et des visages de femmes presque absents des représentations du corps agricole. Elle développe :

“J’avais envie de mettre en lumière une femme exerçant un métier très physique, car elles sont nombreuses, mais restent presque invisibles au cinéma. On ne voit presque toujours que des hommes dans les rôles d’agriculteurs, comme si les femmes n’existaient pas dans cet univers. Pourtant, elles sont là, et elles sont pleinement compétentes.

Ce que Maïwène (Maïwène Barthélémy, l’actrice interprétant Marie-Lise) exprime à travers son corps, sa façon de se mouvoir, est incroyablement précieux. Cela apporte une dimension essentielle à la représentation des femmes au cinéma.”

Sur une note plus humoristique, la réalisation d’un premier long-métrage n’est pas si différente d’une production artisanale de comté. D’une certaine manière, il y a une forte pression pour que les bonnes personnes se retrouvent autour d’une passion commune, et qu’une prière unique s’élève pour que les bonnes étoiles s’alignent. À cette réflexion, Louise Courvoisier commente :

“J’y avais pas pensé mais c’est un peu pareil ! C’est fou et difficile de réaliser un premier long, c’est une épreuve et à chaque étape on se demande si on va réussir à passer à la suivante. Et le film a été fait de manière aussi artisanale que Totone avec son chaudron et sa meule. J’ai fabriqué le film avec autant de bric et de broc.”

(© Pyramide Distribution)

Ce premier long-métrage est avant tout un film qui a été réalisé avec beaucoup d’ambition et de cœur.

Vingt Dieux est actuellement en salle.