Une même famille a été photographiée sur 25 ans afin d’interroger les mécanismes de la pauvreté

Publié le par Lise Lanot,

© Craig Easton

En retrouvant une famille qu’il avait photographiée en 1992, Craig Easton met en lumière les vices du système.

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En 1992, Craig Easton est commissionné par Libération et The Independent dans le but “d’explorer les problèmes de pauvreté en Grande-Bretagne”. La commande survient après 13 années de Parti conservateur au pouvoir et 11 années de thatchérisme ayant mené à un cercle vicieux où “les gens finissaient dans des auberges pour sans-abri, dans l’incapacité de trouver du travail et une maison parce qu’ils n’avaient pas de travail”, nous rappelle le photographe. “Les inégalités sociales n’ont fait qu’augmenter au cours des années 1980, enfermant les gens dans ce piège.”

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Difficile de montrer les effets d’années d’inégalités sociales en images. Pour refléter “le piège” subi par nombre de citoyen·ne·s britanniques, le photographe et son collègue, le journaliste français Fabrice Rousselot, décident de se concentrer sur l’exemple d’une famille, rencontrée grâce aux services sociaux de Blackpool, ville côtière de l’ouest anglais. Le duo rencontre la famille et passe plusieurs jours avec ses membres afin d’apprendre à se connaître, recueillir des témoignages et prendre des images.

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Thatcher’s Children. (© Craig Easton)

Une fois sa commande photographique rendue, Craig Easton n’oublie pas Mandy et ses six enfants : “Je me demandais souvent ce qui était arrivé à ces enfants, c’était leur futur qui était en jeu, donc j’y suis retourné en 2016.” La rencontre est assez brutale. Les enfants, devenus parents, ne se reconnaissent pas dans les images. Ouvrir une fenêtre sur leur passé leur permet de se rendre compte qu’effectivement, rien n’a changé. “Ce travail permet d’explorer la nature chronique de la pauvreté et les effets, sur plusieurs générations, d’un système où les dés sont pipés dès le départ”, note Craig Easton, qui partage cette étude photographique dans son ouvrage Thatcher’s Children.

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Entre les photos, en noir et blanc puis en couleur, le livre est parsemé de citations de la famille mais aussi de morceaux de discours prononcés par des politiques britanniques au fil des années. On y lit les résolutions de Tony Blair d’“éradiquer la pauvreté infantile pour toujours” sur “une mission de 20 ans” en 1999, ainsi que les assertions de David Cameron en 2015 : “Nous devons nous attaquer aux racines du problème. Les maisons où personne ne travaille, les enfants qui grandissent dans le chaos, les addictions, les problèmes de santé mentale, la maltraitance, les familles brisées. C’est simple : il faut que les adultes travaillent. Parce qu’on sait, dans ce parti [conservateur, ndlr], que le chemin qui fait sortir de la pauvreté, c’est le travail”.

Thatcher’s Children. (© Craig Easton)

“Ils disent que si on travaille, on peut s’en sortir. C’est un mensonge”

Les témoignages de Mandy et ses enfants, recueillis entre 1992 et 2016, entrent en confrontation directe avec ces grands discours : [Les enfants] ont fait tout ce qu’on leur a dit. Ils sont allés à l’université. Ils ont reçu des qualifications. Ils ont respecté leur part du marché, mais pas le gouvernement. On les a laissés tomber. Le système ne fonctionne pas pour les gens comme nous. On leur a promis que, s’ils allaient à l’école, s’ils obtenaient des diplômes, ils auraient un futur meilleur. Mais ce n’était pas vrai. Que peuvent-ils faire ? Ils disent que si on travaille, on peut s’en sortir. Mais c’est un mensonge.”

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Le photographe crée ainsi un dialogue entre des personnes qui n’ont jamais pu (et, vraisemblablement, ne pourront jamais) se rencontrer : “Il est clair qu’on parle beaucoup de ces familles mais qu’on ne les écoute que très rarement. […] On présente leur pauvreté comme découlant de défauts de leur personnalité, de fainéantise, comme s’ils étaient la cause de leur infortune. On pointe rarement du doigt l’autre côté, vers les législateurs, donc je voulais équilibrer les deux côtés”, souligne-t-il.

Thatcher’s Children. (© Craig Easton)

Devenus grands, les enfants de Mandy rapportent la même situation que leur mère, 25 ans plus tôt. Ils s’inquiètent pour l’avenir de leur progéniture, espèrent un avenir meilleur pour eux, sans grand espoir, ni attentes envers le gouvernement. “Les enfants de Mark, les enfants de Kirsti. Quel futur ils ont ? Aucun. Kirsti pourrait aller au travail, Kyle aussi, Leo pourrait entrer dans l’armée. Imaginons qu’il se blesse – bang, dans le caniveau, sans-abri. Tu vois ce que je veux dire ? C’est un cercle vicieux. Étant donné notre situation, notre système actuel ose me dire que l’avenir a l’air prometteur. Tu ne peux pas. Je regarde mes petits-enfants et je me demande : qu’est-ce qu’ils ont ? Rien. Dans 25 ans, je serai là, en train de te raconter que mes arrière-petits-enfants n’ont aucun espoir”, confie Mandy au photographe.

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Sur la même période, Margaret Mitchell photographiait sa propre famille sur deux décennies afin d’étudier les effets du déterminisme social et parvenait aux mêmes conclusions. Ces travaux, retentissants grâce à leur longue durée, “nourrissent un débat plus large et remettent en question un système qui fonctionne peut-être pour certaines personnes mais qui est très néfaste pour d’autres et pour la société entière”, appuie Craig Easton.

Thatcher’s Children. (© Craig Easton)
Thatcher’s Children. (© Craig Easton)

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Thatcher’s Children. (© Craig Easton)
Thatcher’s Children. (© Craig Easton)
Thatcher’s Children. (© Craig Easton)
Thatcher’s Children. (© Craig Easton)
Thatcher’s Children. (© Craig Easton)

Thatcher’s Children, le livre de Craig Easton, est disponible chez Gost Books. Le projet du photographe est exposé à Manchester jusqu’au 27 octobre 2023.