Tumblr, webcams et archives pixellisées : l’artiste Molly Soda plonge dans nos désirs numériques

Publié le par Pauline Allione,

© Molly Soda

En vidéos et performances, l’artiste new-yorkaise puise dans la culture numérique pour explorer nos identités en ligne.

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La vidéo last 5 years commence par des décomptes de Photo Booth à la chaîne avant que plusieurs Molly Soda n’entonnent le même air, à l’unisson cette fois. Les vidéos de l’artiste, chantant face à sa webcam dans sa chambre, s’imbriquent façon poupées russes pour former un ensemble harmonieux. C’est cette œuvre, toujours en cours, que Molly Soda, basée à New York, montrera à “Primavera, Primavera” du Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, une exposition visible du 16 novembre 2024 au 25 mai 2025 à Bordeaux. L’occasion de revenir sur l’œuvre digitale de l’artiste visuelle et enfant du Web.

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Début 2009. Amalia Soto, étudiante en arts, crée son Tumblr. Sur la plateforme qui fait la part belle à l’esthétique emo et aux citations d’un romantisme torturé, elle se renomme Molly Soda. Elle ne le sait pas encore, mais ce pseudo lui collera à la peau et collera surtout à sa carrière. Parce que c’est justement sur le Web et ses différents réseaux sociaux que passe l’art de Molly Soda. Dans ses vidéos et performances, l’artiste se met en scène et explore des questions liées à l’identité en ligne, à l’archivage, à la culture internet et au concept d’extimité.

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De Xanga aux youtubeur·se·s surexposé·e·s

Née à Porto Rico en 1989, Molly Soda grandit dans l’Indiana avant d’étudier la photographie à New York. Les débuts d’Internet sont un terreau fertile pour l’enfant des années 2000 qu’elle est : elle commence à bloguer sur Xanga et LiveJournal avant de migrer sur Tumblr. “Dans les années 2000, j’avais des blogs, je prenais des selfies, j’interagissais avec des gens que je ne connaissais que via Internet… En tant qu’utilisateur·rice·s et consommateur·rice·s d’Internet, on migrait naturellement vers de nouvelles plateformes. Ce que j’aimais sur Tumblr à l’époque, c’est que ça ressemblait moins à une plateforme de blogging. Il y avait quelque chose de plus esthétique”, nous confie-t-elle lors d’un entretien.

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À l’époque, Molly Soda, au début de la vingtaine, poste des images qu’elle aime, son travail d’étudiante, ses expérimentations artistiques… Déjà, elle aime l’idée de voir son travail diffusé sur la Toile et s’insérer dans un environnement numérique : en ligne, ses œuvres évoluent avec le temps, les commentaires, les propositions de contenus soumises par les algorithmes. Surtout, elles restent accessibles à toute personne dotée d’un smartphone ou d’un ordinateur. “Rien n’est figé dans ces espaces, ils évoluent d’une façon qui m’échappe totalement. Par exemple avec last 5 years, chaque nouvelle itération de cette vidéo s’insère dans une playlist YouTube dont les différentes composantes se répondent entre elles. Plus largement, cette pièce s’insère dans une sorte d’écosystème en réseau, dont j’aime analyser les structures et les interactions”, développe Molly Soda.

Plongée dans la culture web féminine

Inspirée des usages en ligne, des contenus de youtubeur·se·s, des vidéos d’influenceur·se·s, mais aussi d’artistes contemporain·e·s ou du siècle passé, l’artiste visuelle se met régulièrement en scène. Elle s’empare des codes de langage propre aux internets pour s’intéresser, entre autres, à la présence des femmes sur le Web. Dans Linking the g(URL), elle écrit sur la façon dont les filles ont façonné leur propre culture internet – avec des trends qui explosent avant d’être rétrogradées puis parfois réhabilitées.

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Dans what’s in my bag, elle reprend le format du même nom qui consiste à voir une internaute déballer son sac à main face caméra. Mais de son sac rose estampillé Dior, plutôt que d’en extirper des objets en volume, elle sort des photographies des objets habituels. En référence aux vidéos d’influenceur·se·s ou youtubeur·se·s qui prennent la parole dans des vidéos au ton solennel pour présenter des excuses publiques, Molly Soda passe 23 minutes à s’excuser pour tout et n’importe quoi dans My Apology. Pour le bruit de fond de la vidéo, pour ses lèvres gercées, pour son intro interminable, pour sa chambre en bordel…

Vue sur l’intimité

L’intimité dévoilée au public – qu’on qualifie d’extimité – fait toujours partie de ses sujets de prédilection. C’est le cas lorsqu’elle vide son sac à main, lorsqu’elle se filme dans sa chambre ou dans son appartement, ou lorsque, pour son œuvre 6 times cameras caught Molly Soda off guard, elle se met en scène façon pop star sous le feu des paparazzis. Elle performe encore son intimité, cette fois sous le prisme des photos volées, et explore ce désir d’avoir vue sur le quotidien banal de célébrités.

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Dolls pixellisées, dessins à base de caractères spéciaux, gifs pailletés… Molly Soda intègre à ses œuvres des éléments d’une culture internet en constante évolution. Pour les ados des années 2000 et 2010, son travail fait appel à une histoire numérique commune, et tient presque lieu d’archives. “Mon travail peut évidemment rappeler des tendances ou des éléments de langage de l’époque internet dans laquelle j’ai grandi. Je sauvegarde constamment des choses parce que je sais que ces choses ne seront pas là éternellement. J’ai des tonnes et des tonnes de dossiers remplis de graphiques et d’éléments visuels… Juste au cas où”, sourit-elle.

“Primavera, Primavera” expose le travail de Molly Soda et bien d’autres artistes du 16 novembre 2024 au 25 mai 2025 au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, à Bordeaux.

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Konbini, partenaire du Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.