3 raisons d’aller voir Tehachapi, le docu de JR qui revient sur sa fresque créée dans une prison sous haute sécurité

Publié le par Donnia Ghezlane-Lala,

© JR/MK2/YouTube

Dans Tehachapi, JR signe une œuvre d’une rare humanité.

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Le 12 juin est sorti Tehachapi, le documentaire de JR, sur un projet qu’il a mené dans une prison placée sous haute sécurité, perdue au milieu du désert californien, et entourée d’imposantes éoliennes. Il faut savoir que les États-Unis possèdent 20 % de la population incarcérée dans le monde, alors qu’ils ne représentent que 4,2 % de la population mondiale. C’est énorme et les failles dans le système judiciaire états-unien ne sont plus à démontrer. 

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En 2019, le street artiste JR décide d’intervenir dans une des prisons les plus violentes de Californie. Cette prison donne son nom au titre du film : Tehachapi. La plupart des détenus qu’il rencontrera y purgent de lourdes peines, et sont parfois incarcérés depuis l’adolescence. Parce que “l’art est vecteur d’espoir”, le but de JR est de fédérer une partie de ces hommes autour d’un projet artistique : réaliser une fresque sur le sol de leur cour et les amener à se confier sur leur passé, sur qui ils sont, sur ce qu’ils veulent devenir. Voici trois bonnes raisons d’aller voir Tehachapi, avant qu’il ne disparaisse des salles obscures.

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Parce qu’il montre le pouvoir de l’art

Au début, on pensait tomber sur un film un peu démago, un peu sensationnaliste, un peu naïf et un peu narcissique. Mais il n’en est rien. JR répond ici à la question : “L’art peut-il changer les choses ?” La réponse est oui, souvent, et Tehachapi le prouve bien. Le passage de JR dans cette prison placée sous haute sécurité, la participation de ces détenus à ce projet artistique et le partage de leurs histoires ont eu un impact sur la vie de chacun de ces hommes. La parole libère et l’art soigne.

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“La rencontre avec les détenus m’a profondément marqué. Dans chacun de mes projets, que ce soit dans les favelas, dans des pays en révolution, en zones de guerre, ou dans des communautés isolées, j’essaie toujours de créer des ponts entre les gens. Je me suis donc demandé comment créer un lien entre ces hommes incarcérés et le monde extérieur. L’idée de faire un film m’est apparue comme une évidence pour pouvoir partager leur résilience au plus grand nombre, et souligner l’importance des programmes de réhabilitation en milieu carcéral”, explique JR dans un communiqué de presse.

Le documentaire montre à quel point l’art a changé la perception de ces hommes et les a ouverts à la vulnérabilité. Il montre à quel point l’art est un liant social et à quel point il peut être libérateur. Certains ont pu passer du niveau 4 au niveau 3 pour bonne conduite, obtenir, littéralement, une libération, ou encore reprendre contact avec une amie du lycée grâce à la visibilité que JR leur a donnée sur ses réseaux sociaux. Ayant gardé contact par correspondance et téléphone avec une majorité des détenus, JR a suivi l’un d’entre eux, Kevin, une fois sorti.

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Le réalisateur filme ses retrouvailles avec sa famille, mais aussi le retrait de cette croix gammée qu’il a tatouée sur son visage alors qu’il voulait entrer dans un gang en prison pour gagner sa protection face aux guerres raciales qui agitent les espaces communs. L’ironie du sort ? La dermatologue qui lui retire au laser son svastika est juive. Tehachapi est un manifeste du pouvoir de l’art. Comment peut-on imaginer avoir de la compassion pour un homme avec une croix gammée tatouée sur le visage ? Pourtant, Kevin est aujourd’hui un homme libre, qui a prouvé à tous qu’il avait changé et méritait sa seconde chance. Si la plupart des détenus avaient déjà entamé leur chemin vers la rédemption avant que nous les rencontrions, rien dans le système ne permettait de le valoriser.”

Parce que les histoires de ces détenus sont importantes

Tehachapi est construit comme l’œuvre qu’il dépeint : en deux parties. La première est la mise en images. La seconde est le témoignage. Le film commence par la création de la fresque, et se termine sur les vies intimes des détenus. Comme cette fresque qui présente deux pans : le collage d’un côté, et les témoignages audio des détenus, accessibles sur un site dédié, de l’autre. La deuxième partie du documentaire aborde la question de la seconde chance et nous met face à nos propres préjugés.

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Une humanisation s’opère, une empathie se libère quand on voit les conditions d’incarcération de ces hommes, quand on voit qu’ils pensent tous les jours au crime qu’ils ont commis. JR a touché leur existence et se distancie progressivement, au fil du film : ce n’est plus son projet artistique qui est le sujet du documentaire mais ces hommes et leur quête de rédemption, de réinsertion.

Une longue scène est consacrée à l’écoute des témoignages de Barrett, Josh, Kevin et d’autres. JR zoome sur chaque portrait, au sein de la photo de groupe reconstituée ; nous entendons ces visages figés sur papier glacé se livrer sur l’enfant qui les attend dehors et qu’ils aimeraient serrer dans leurs bras, sur leurs addictions, sur leurs remords, sur leur expérience de l’isolement, sur le chemin de vie qui les a menés ici.

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Durant le tournage de Tehachapi, JR n’a cessé de s’inspirer de sa rencontre marquante avec la réalisatrice Agnès Varda, avec qui il a cosigné le film Visages Villages. “Évidemment, rien ne peut remplacer la relation que nous avions pendant la création de notre film, mais j’ai toujours gardé à l’esprit son approche, et j’ai porté une attention particulière à un point essentiel pour elle : l’écoute de l’autre.” C’est la règle qu’a appliquée l’artiste pour ce film, en hommage à la vision de la réalisatrice française.

“Au cours des trois années passées à travailler sur le projet, j’ai été témoin de l’impact qu’il avait eu sur les participants, et j’ai vu les barrières tomber peu à peu entre les détenus et le personnel de la prison, mais aussi entre les détenus eux-mêmes, issus de gangs ou d’origines ethniques différents. Ça m’a donné beaucoup d’espoir. […] Grâce aux réseaux sociaux, le projet a permis à des personnes du monde entier d’en être les témoins privilégiés. Ainsi, sur les 28 détenus ayant participé au premier collage, seuls trois restent aujourd’hui incarcérés au niveau de sécurité maximal. Parmi les autres, la moitié a été transférée dans des niveaux inférieurs, et l’autre moitié a été libérée, alors même que certains d’entre eux avaient été condamnés à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. L’art ne peut peut-être pas changer le monde, mais j’ai compris que l’art pouvait changer des vies”, raconte JR.

Parce que tout est politique

En réalisant ce film, JR pointe du doigt l’inhumanité du système carcéral états-unien, mais il ne tient qu’à nous de prolonger cette analyse et de regarder du côté de la France. Loin de lui l’envie de démanteler et d’ausculter ce système dans ses moindres injustices, mais il plante des réflexions. Les conditions de détention, comme ces cages dans lesquelles les détenus peuvent passer des mois, au niveau 4, comme des animaux, sont épinglées. Ces nano-cellules partagées à deux, le racisme ou encore l’absence de contact physique avec leurs proches choquent également.

Au début du film, JR mentionne le fait qu’aux États-Unis, contrairement à la France, un·e mineur·e peut prendre une peine à perpétuité pour un crime commis. L’artiste pose sa caméra pour décrire la réalité de la détention, sans se positionner en politicien, polémiste ou visionnaire. C’est à chacun·e de juger si oui ou non ces conditions lui semblent faciliter la réinsertion, endiguer efficacement la violence, être un terrain propice à l’humanité, et de revoir ses propres jugements.