Après cinq ans passés dans les limbes, Lil Wayne s’offre avec Tha Carter V un second souffle remarquable. Une renaissance humaine et musicale.
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Les journalistes spécialisés pensaient ne jamais faire de chronique de Tha Carter V, cet album étant l’une des plus belles arlésiennes de l’histoire du hip-hop. Mais le vent du changement a soufflé et Dwayne Carter Jr. a finalement gagné la bataille contre Cash Money Records et Birdman. Résultat : l’inespéré douzième album studio de Lil Wayne est enfin disponible à l’écoute, sept ans après la sortie de Tha Carter IV et trois ans après son dernier album, Free Weezy.
Wayne a beau lutter pour sa liberté artistique depuis des années, cela ne l’a pas empêché d’entretenir la flamme en dévoilant moult projets en totale indépendance. Seulement voilà, malgré ses tentatives, Wayne n’est jamais réellement parvenu à renouer avec son succès passé. Le challenge est donc de taille pour le rappeur de la Nouvelle-Orléans : avec cet album, aussi symbolique soit-il, il a dû faire face à un dilemme.
Il lui a fallu choisir entre, d’une part, proposer quelque chose dans l’air du temps, quitte à bafouer l’héritage de ses opus précédents et, d’autre part, opter pour la stratégie inverse, à savoir s’engluer dans le personnage du vétéran nostalgique. Au risque de vouloir trop convaincre un public qui ne l’attendait plus.
Car depuis la sortie de Tha Carter IV, le rap a évolué et ça, Lil Wayne le sait mieux que personne. D’ailleurs, pour rappel, c’est lui qui a grandement inspiré toute cette jeune génération de mumble rappers. Mais que chaque fan se rassure, l’artiste a visiblement trouvé le bon compromis en mélangeant habilement des morceaux enregistrés il y a quatre ans avec d’autres plus récents.
De l’ombre à la lumière
Still the best rapper alive ?
Cet album grouille également de grosses performances rapologiques. Avec une utilisation toujours aussi assumée de l’autotune, Weezy, avec son flow de Martien si singulier, prouve qu’il est toujours excellent techniquement en proposant des couplets comme il n’en avait pas livré depuis longtemps. Et si l’époque où il s’autoproclamait le “best rapper alive” n’était pas si loin ?
Le meilleur exemple de cette forme olympique reste incontestablement le titre “Mona Lisa”, en duo avec Kendrick Lamar. Déjà culte du fait qu’il rassemble deux icônes du rap actuel, le titre tient toutes ses promesses grâce à la fougue et au storytelling splendide des deux MC’s. Le sulfureux Martin Shkreli, qui affirmait posséder le projet, avait d’ailleurs teasé pour la première fois ce morceau en 2014 en affirmant qu’il était le meilleur de l’opus. Difficile de ne pas lui donner raison.
Au niveau des productions, on trouve un équilibre oscillant entre ambiances sombres, mélodieuses et détonantes. Un cocktail musical qui rappelle le Wayne des années 2010, bien qu’on déplore l’absence de gros bangers efficaces hormis “Let It Fly” avec Travis Scott. Aux manettes de cet ensemble, des noms d’antan tels que DJ Mustard, Cool and Dre, Swizz Beatz, Mannie Fresh ou encore Zaytoven, mais aussi la crème de la nouvelle génération du beatmaking, dont Metro Boomin.
Si Lil Wayne a bien conscience qu’il a inspiré la grande majorité des mumbles rappers, il n’oublie pas que lui a été bercé par de nombreux artistes des années 1990. Est-ce pour leur rendre hommage qu’il s’est associé à Snoop Dogg sur “Hot Niggaz” ? Avec l’utilisation audacieuse d’un sample du classique “Xplosive” de Dr. Dre, Lil Tunechi semble vouloir rappeler à tous ses fils spirituels, tous ces “Lil rappers”, de respecter l’héritage musical passé.
Désormais en paix avec lui-même, il est temps pour Lil Wayne de dire au revoir à ses anciens démons. En plus de vingt ans de carrière, Weezy F a de nombreuses fois montré sa vulnérabilité et ses faiblesses, mais c’est peut-être la première fois qu’il s’y attelle en donnant autant de détails.
Dans “Let It All Work Out”, le morceau qui clôture le disque, il évoque sans équivoque sa tentative de suicide alors qu’il avait seulement douze ans. Glaçant, mais tellement efficace. Après tout, n’est-il pas coutume de dire que pour marquer les esprits, il faut réussir à la fois son entrée et sa sortie ? Pour Lil Wayne, c’est plutôt réussi.
Cependant, une chose que l’on peut indéniablement reprocher à Tha Carter cinquième du nom, c’est évidemment sa longueur. Car qui dit 23 titres pour un peu moins d’1 h 30 d’écoute dit forcément certains morceaux moins efficaces que d’autres (comme pour Scorpion de Drake ou Culture II de Migos d’ailleurs). Mais pour le coup, on lui pardonne.
Car après cinq ans de différends avec Birdman et Cash Money Records, et après avoir frôlé la mort, on peut comprendre qu’il ait des choses à dire. Le choix de la longueur lui permet par ailleurs de proposer des sons différents les uns des autres. Avec Tha Carter V, Lil Wayne prouve avec grâce et style que vieillir dans le rap quand on est une star des années 2000 n’est pas forcément une fatalité.
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