Camille Soulat a grandi à Montluçon, “une petite ville d’Auvergne”, nous indique-t-elle dès la première phrase de ses réponses à nos questions. La précision est d’importance puisqu’à l’occasion de sa première exposition solo, l’artiste présente des œuvres tournées autour de “la frustration de venir de la banlieue, de la province – en tout cas, loin d’où tout semble se passer”. Pour évoquer cette idée “d’envie et d’exclusion”, elle a imaginé le terme de “suburbcel”, titre de l’exposition. Son néologisme lie le terme d’incel à celui de “suburbs”, “banlieues” en anglais.
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Les réflexions visibles dans le travail de Camille Soulat puisent en grande partie leur origine dans son histoire personnelle, dans la puissance de ses émotions enfantines et adolescentes : “Ayant moi-même grandi dans une zone communément appelée ‘la diagonale du vide’, très tôt dans mon enfance, j’ai ressenti une certaine frustration et l’impression de passer à côté d’une forme de ‘vraie vie’.”
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Aujourd’hui trentenaire, l’artiste a eu le temps de réfléchir à ce qu’était la “vraie vie” et a compris que “l’herbe n’était finalement pas plus verte dans les villes qui ont un Starbucks et une Fnac”. De plus, elle souligne que grandir dans ces endroits qui paraissent si isolés “pousse à enrichir son monde intérieur et à faire preuve de créativité”. Elle ajoute que cela l’a forcée à “gérer une forme de complexe d’infériorité très tôt dans la vie”.
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En notant qu’elle continue de voir le fait de vivre de sa propre pratique artistique comme “une forme d’aberration”, Camille Soulat insiste sur son intérêt pour “la notion de transfuge de classe”, ce qui explique sans doute son amour pour “les livres d’Annie Ernaux”, mais aussi “le népotisme et tous ces sujets sur notre place dans la société, comment le pouvoir se prend et se perd…”.
Camille Soulat retranscrit ses interrogations, liées “aux sentiments de vivre ailleurs, à la ruralité, à l’enfance, aux avatars, à l’évasion et à la fantaisie”, précise la galerie Ballon Rouge qui les expose, à travers des œuvres variées. Elles vont de l’installation à la vidéo, en passant par l’écriture et la peinture numérique, et ont pour point commun de représenter “des moments instantanés” et de laisser “au regardeur la liberté d’interprétation”.
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Une ode aux années 2000
En plus de son histoire, Camille Soulat s’inspire de souvenirs générationnels, notamment des codes des années 1990 et du début des années 2000. Celle qui indique ne “pas avoir fait d’études artistiques à proprement parler, mais un BTS Développement Web qui [lui] a permis d’acquérir une certaine aisance avec un ordinateur” travaille autour “des sous-cultures Internet, des avatars, de TikTok, Reddit, l’idée de communautés, de se raconter”.
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Comme tout enfant des années 2000, elle a évidemment eu un blog. Non, elle nous corrige : elle en a “eu 50”, qu’elle finissait inlassablement par supprimer les uns après les autres, comme une façon de se réinventer, avec la “conscience qu’ils allaient finir par [lui] faire honte”. Si Camille Soulat affirme être “fascinée par le storytelling autour des mégalopoles”, c’est parce qu’elle s’intéresse à la narration comme une forme de pouvoir, comme une façon de créer des mythes, de porter aux nues certaines trajectoires tout en en vouant d’autres à l’exclusion.
“Je trouve ça très drôle qu’en marchant dans la rue, il suffise de faire deux pas pour voir quelqu’un porter un T-shirt ‘New York’ ou voir un poster de taxi jaune avec des gratte-ciel dans une boulangerie, une housse de couette Tokyo”, rit-elle. Avec humilité, et précisant que cela lui paraît “un peu nul à dire”, l’artiste vise l’objectif le plus noble qu’il soit : “J’aimerais juste transmettre à certaines personnes la sensation d’être comprises.”
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L’exposition “Suburbcel” est visible à Bruxelles, dans la galerie nomade Ballon Rouge, jusqu’au 29 avril 2023. Vous pouvez retrouver le travail de Camille Soulat sur son site et sur son compte Instagram.