Le 8 septembre 1985, Ana Mendieta, l’une des plus grandes performeuses de sa génération, mourrait défenestrée, à l’âge de 36 ans. Elle aura consacré son art et à ses combats féministes et antiracistes durant toute sa courte vie. Jusqu’à aujourd’hui, sa mort reste mystérieuse et irrésolue : Ana Mendieta vivait avec son mari, l’artiste minimaliste Carl Andre, lorsqu’elle est tombée du 34e étage de leur appartement new-yorkais.
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Huit mois avant ce drame, l’artiste cubaine avait épousé, à Rome, Carl Andre, de 13 ans son aîné. Ce dernier était présent dans l’appartement au moment de sa chute : il est entré dans la chambre, a vu la fenêtre ouverte, a passé sa tête dehors pour découvrir cette vision d’horreur : le corps de sa femme écrasé contre le toit d’un magasin. “Ma femme est une artiste, et je suis aussi un artiste, nous nous sommes disputés sur le fait que j’étais plus exposé à son public”, a-t-il raconté aux urgences sur cette nuit.
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L’enregistrement de son appel aux secours a été reconstitué à l’identique, par un acteur, dans le superbe podcast Death of an Artist, d’Helen Molesworth, une conservatrice états-unienne qui a opéré au Museum of Contemporary Art de Los Angeles, de 2014 à 2018. Ce programme revient sur tous les mystères qui entourent la mort d’Ana Mendieta et tente de les dénouer un à un. D’emblée, le sujet dérange les professionnel·le·s du monde de l’art que la créatrice du podcast approche pour enrichir son enquête.
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D’embûche en embûche, Molesworth assemble le “puzzle Ana Mendieta”, explorant toutes les pistes : est-ce un suicide, un accident probable, comme l’enquête de l’époque l’a décrété… ou un féminicide ? Pourquoi Ana Mendieta se serait-elle suicidée alors qu’elle était très heureuse durant ces années-là ? Est-ce que Carl Andre, accusé de meurtre, est si innocent, sachant que leur couple battait de l’aile et qu’il était violent et alcoolique ? Que faisait le couple ce soir-là ? Qu’est-ce que le voisinage a entendu ? Pourquoi le monde de l’art de l’époque s’est immédiatement rangé du côté de Carl Andre ? Peut-on vraiment lire à travers les œuvres d’Ana Mendieta et sont-elles le reflet de sa santé mentale, comme le procès l’a attesté ?
Le site d’enchères Barnebys rapporte que durant le procès, qui a acquitté Carl Andre, un mouvement entier a surgi ; WHEREISANAMENDIETA militait pour la justice et la vérité pour Ana Mendieta : “C’est un collectif international de personnes qui luttent contre l’indifférence des institutions culturelles envers les femmes, les femmes racisées, les minorités ethniques, les trans, les groupes opprimés et marginalisés.” Cette campagne mondiale organisait également des expositions afin de célébrer les artistes qui étaient proches de la performeuse cubaine.
“Nous dénonçons un monde de l’art raciste et patriarcal qui est allé à son encontre en soutenant son meurtrier. Andre n’est qu’un autre nom sur une liste interminable d’hommes dont le passé violent est systématiquement éclipsé par leur statut et leurs privilèges et qui continuent d’être célébrés, tandis que les voix et le patrimoine de leurs victimes sont systématiquement réduits au silence”, revendiquait le collectif, auprès du site BerlinArtLink.
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Après le procès, Carl Andre a tranquillement continué sa carrière d’artiste et, depuis, les relations entre les deux, leur rencontre, leurs personnalités opposées ou encore l’adultère de Carl Andre ont été décortiqués. On ne va pas vous en dire plus, car Helen Molesworth le fait mieux que nous et on vous invite vivement à écouter (en langue anglaise) son podcast Death of an Artist.