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Quelques kilos en plus. Ce regard de clown triste, abritant probablement des failles et des fêlures. Dans Bienvenue à Marwen, Steve Carell, 56 ans, joue une nouvelle fois, avec un talent manifeste, sur une partition dramatique. Devant la caméra de Robert Zemeckis – le papa de Retour vers le futur, Forrest Gump ou Seul au monde, pour ne citer que ceux-là –, le comédien américain incarne en effet l’artiste Mark Hogancamp.
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Un homme au destin incroyable qui, au sortir d’une très violente agression aux abords d’un bar en 2000, a entrepris dans son jardin la reconstitution d’un village belge lors de la Seconde Guerre mondiale. Au cœur de ce monde miniaturisé, façonné avec une passion maladive, il met volontiers en situation, à travers des figurines, les habitants du coin, qu’il connaît et apprécie, ou ces lâches qui l’ont tabassé et laissé pour mort.
Sous les traits de ce héros attachant, qui s’est fait connaître mondialement à travers les photographies de ses travaux et de ses mises en scène, Carell trouve un rôle en or massif, que lui a d’ailleurs cédé Leonardo DiCaprio, qui avait été pressenti aux prémices du projet. Il fallait en tout cas le talent et le génie du natif de Concord, dans le Massachusetts, pour rendre hommage à cet homme fascinant, dont le courage spectaculaire constitue une véritable inspiration pour tous.
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On savait la star du grand écran drôle, depuis longtemps, mais les spectateurs n’ont clairement pas fini de découvrir l’incroyable amplitude de son jeu. Preuve en est avec cet entraînant Bienvenue à Marwen, honorable divertissement qui mélange images réelles et animées dans un geste d’une fluidité confondante.
Le tonton qui a tout changé
Steve Carell doit son précieux virage vers le spectre dramatique à Jonathan Dayton et Valerie Faris qui, en 2006, ont eu l’excellente idée de lui confier le personnage captivant du tonton dans la comédie culte Little Miss Sunshine (1,1 million d’entrées en France), l’une des œuvres les plus ovationnées de l’histoire du Festival de Deauville, d’où il est reparti avec le Grand Prix.
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Le public redécouvre l’intéressé sous de nouveaux contours, plus graves malgré un halo comique de circonstance – le rire faisant souvent office de politesse du désespoir. Difficile d’oublier son interprétation de Frank Ginsberg, un universitaire homosexuel et dépressif, spécialiste de l’auteur Marcel Proust, qui a tenté de se suicider après que son petit ami l’a largué.
Pour le public, c’est un agréable choc. Et une révélation, aussi. Après des années où il s’est vu cantonné au statut de comique de service, Steve Carell a fait là son Tchao Pantin, dans un contre-emploi miraculeux – un peu comme Jim Carrey avec The Truman Show de Peter Weir. Car oui, Steve Carell se devait de changer de cap, de voir ailleurs, lui qui avait été trop longtemps parqué dans la case “humour potache”. À ce propos, faisons un petit retour en arrière.
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C’est le 16 août 1962 qu’il pousse son premier cri. Son père, d’origine italienne (né Caroselli), est ingénieur électricien et sa mère infirmière psychiatrique. Deux destins loin des paillettes et du septième art. Le jeune Steve veut d’abord être DJ dans une radio. Il fait ensuite le facteur, sans succès. Il songe alors à passer le concours pour devenir avocat : nouveau revers.
“Comique d’Office”
Il y a toutefois un feu sacré à l’intérieur de lui. Un talent pour la comédie qui ne demande qu’à éclore et fleurir. C’est à Chicago, avec son diplôme en poche, que Steve Carell va à la rencontre de sa fibre artistique. D’abord au sein d’une compagnie théâtrale pour enfants puis au cœur de la troupe d’improvisation Second City, créée par des universitaires et sise dans le quartier d’Old Town.
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Plusieurs de ses pensionnaires ont notamment fini dans la mythique émission du Saturday Night Live, ou ont connu une grosse carrière au cinéma, à l’instar de Bill Murray, Dan Aykroyd et Mike Myers. Très vite, il collabore avec le génial Stephen Colbert sur le Daily Show et on le voit également squatter la chaîne Comedy Central. Le cinéma lui tend bientôt les bras avec deux seconds rôles – dans Bruce tout-puissant (2003) et Présentateur vedette : La Légende de Ron Burgundy (2004) – qui lui apportent un surplus de popularité.
En mars 2005, sa renommée grandit à vitesse grand V grâce à son rôle incontournable de Michael Scott dans la série à succès The Office US, lancée par Ricky Gervais et Stephen Merchant, les créateurs du show britannique éponyme. Parallèlement à ce personnage hilarant, auquel il donne corps jusqu’en 2011, Steve Carell enchaîne les films, s’appropriant une place de choix dans la comédie US et devenant bankable comme Ben Stiller ou Jim Carrey.
C’est alors que sa carrière est mise en orbite par Judd Apatow, champion de la farce régressive et supra américaine, avec 40 ans, toujours puceau, carton outre-Atlantique : plus de 100 millions de dollars de recettes (pour un budget de 26 millions). Il enchaîne avec Max la menace de Peter Segal, Crazy Night de Shawn Levy, The Dinner de Jay Roach, et Crazy, Stupid, Love de Glenn Ficarra et John Requa. Une série de films calibrés pour le rire et qui imposent définitivement l’acteur. Mais qui l’enferment aussi un peu plus dans un registre, bridant ses capacités d’acteur.
Virage dramatique
Il faut attendre 2014 pour un nouveau rôle à contre-emploi retentissant (encore plus que celui de Little Miss Sunshine). Dans l’intrigant Foxcatcher de Bennett Miller, inspiré d’une histoire vraie, il se révèle étourdissant de puissance sous les traits de John du Pont, un milliardaire excentrique qui prend sous son aile un champion de lutte incarné par Channing Tatum.
Le long-métrage, présenté en compétition au Festival de Cannes la même année, attire l’attention des pronostiqueurs qui, à juste titre, songent à Carell pour le prix d’interprétation masculine – finalement, il s’est fait damer le pion par Timothy Spall, récompensé pour son rôle dans Mr. Turner. Mais ce n’est pas bien grave puisque le monde du cinéma découvre qu’il avait une autre corde à son arc.
Depuis, le comédien bifurque lentement mais sûrement. Peut-être juge-t-il être désormais “trop vieux pour ces conneries”, comme dirait l’autre. En effet, outre Bienvenue à Marwen de Robert Zemeckis, on le verra bientôt à l’affiche de Beautiful boy de Felix Van Groeningen, dans la peau d’un père courage luttant contre les addictions de son fils (Timothée Chalamet), et dans Vice d’Adam McKay, dans le costume de Donald Rumsfeld. Un glissement vers plus de gravité qu’on accueille, évidemment, avec la plus grande des ferveurs.