Solitude dans la foule et cocons dans la ville : Louise Janet peint des toiles intimes dans lesquelles on aimerait se lover

Publié le par Lise Lanot,

© Louise Janet

Rencontre avec la peintre Louise Janet, qui présente "Building Stories" : une série de toiles intimes sublimant les petits rien de nos quotidiens.

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Aujourd’hui âgée de 24 ans, Louise Janet se souvient avoir toujours intégré le dessin à son quotidien, dans le but de se “raconter des histoires”, de progresser dans un art qui l’animait et, surtout, d’assouvir une obsession qui ne l’a pas quittée depuis l’adolescence : celle de “consigner chaque événement vécu”. “Ce qui avait été dessiné me semblait sauvegardé, préservé de l’oubli, et surtout, j’avais le sentiment que ce qui avait été prenait un sens puisqu’il servait de matière à quelque chose qui survivrait au présent”, nous confie la peintre, qui inaugure son exposition “Building Stories”, ce mois-ci, à la galerie Mathilde Le Coz.

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Après avoir longtemps réalisé des toiles qui “représentaient des saynètes d’intérieur” afin d’interroger “la façon dont les personnes habitaient leurs maisons, appartements, chambres”, Louise Janet a récemment et “assez naturellement élargi son champ de représentations à l’espace extérieur”. Ses scènes intimes du quotidien comme pris sur le vif s’ouvrent sur des fenêtres vers la ville, ses tours, ses routes, son activité incessante qui lui permettent de “montrer la manière dont l’espace intime s’inscrit dans l’espace public”. Celle qui confie s’être longtemps intéressée à la bande dessinée souligne aussi “le pouvoir narratif, catalyseur d’imagination” de la ville dans “ce qu’il se passe derrière les façades quand on est dans la rue ou ce que l’on perçoit de la rue lorsque l’on est chez soi.”

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Pour nourrir son imagination, l’artiste s’est penchée sur ses propres fenêtres puisqu’elle a débuté sa dernière série lors de son emménagement à Ivry-sur-Seine, ville de région parisienne, située dans le 94 : “C’est une ville en plein changement, bouleversée, dans le quartier que j’habite, par l’extension imminente de la ligne 14. Cela fait naître un mélange assez étrange de tours en construction, d’immeubles vétustes, de paysages industriels (notamment des usines d’incinération des déchets) et donne lieu à des motifs picturaux intéressants : les grues, les palissades, la végétation très spécifique des terrains vagues et des chantiers, la matière du bitume ou des façades.”

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“Je pense que c’est cela que je cherche à représenter : l’impossibilité d’être réellement, complètement, avec autrui”

Outre les fenêtres des salons ou des chambres qui ouvrent le regard sur des espaces plus froids, plus gris, plus agités que l’intérieur, Louise Janet intègre à ses saynètes des fenêtres numériques, via des écrans d’ordinateur ou de téléphone portable. Avec son pinceau, elle restitue “la lumière étrange qui en émane” et l’état d’hypnose dans lequel ils peuvent plonger leurs utilisateur·rice·s : “Les personnes face à des écrans semblent complètement absorbées, et c’est ce que je cherche à montrer : des personnes qui cohabitent, qui sont ensemble, tout en étant chacune plongée dans sa vie intérieure, singulière, inaccessible.”

Louise Janet, Histoires de la ville.

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Cet intérêt pour l’inaccessibilité de la vie intérieure est une partie centrale de la réflexion de la peintre, dont les représentations tendent autant du côté de l’intimité que de la mise à distance : “J’imagine que ce paradoxe vient du fait que je peins des personnes que je connais mais qu’elles ont toujours l’air de m’échapper car leur attention est captée par quelque chose qui ne m’inclut pas : un écran, un livre, une fenêtre. Les autres ne s’offrent jamais à nous sans filtre, ils portent un mystère dû à leur altérité. Je pense que c’est cela que je cherche à représenter : l’impossibilité d’être réellement, complètement, avec autrui.”

Prenant garde à ne pas exclure son public, elle “place souvent des personnages de dos au premier plan, qui regardent eux-mêmes une scène ou un paysage” : “C’est un élément souvent utilisé dans la peinture – comme celle de Caspar David Friedrich, par exemple, qui contient très souvent un personnage admoniteur. Celui-ci a pour fonction de guider le public, de l’inviter dans la peinture”, rappelle-t-elle.

Louise Janet, Une très mauvaise journée.

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Davantage que nous faire entrer dans ses toiles, Louise Janet nous invite à emprunter son regard en représentant ses pieds, de façon à “ancrer [son] corps” dans l’espace représenté, à “célébrer le plaisir d’arpenter un lieu, de [se] tenir debout, d’être près d’un autre corps”. “C’est une manière de figurer le monde à travers mes yeux”, confie la peintre. “Les seules choses que je perçois de mon propre corps, ce sont mes jambes, mes mains, ou alors mon reflet lorsque je passe devant un miroir.”

Bazar et “gourmandise”

Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai très envie de répondre à l’invitation de Louise Janet, de me tailler une place dans son canapé, protégée des affres de la ville et entourée d’une multitude de petits objets, détails et éléments de décoration qui semblent tous porteurs d’une histoire qui les dépasse. Je ne sais pas si je préférerais écouter leurs histoires ou me les imaginer, mais je sais que la peintre les a travaillés avec passion.

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“J’ai beaucoup regardé la peinture hollandaise du XVIIe siècle pendant mes études aux Beaux-Arts. J’ai été interpellée par les jeux formels des compositions de ces tableaux : les successions de plans autour du sujet central, créées par les portes ou les rideaux qui forment un cadre dans la peinture. J’étais également très séduite par la ‘gourmandise’ avec laquelle les Hollandais pouvaient peindre le mœlleux d’un tapis, le velouté de la peau d’un fruit ou le drapé d’un tissu. Ce sont des éléments qui parasitent l’idée principale du tableau, mais qui me semblent nécessaires, comme des parties ‘gratuites’ de peinture.”

Si Louise Janet porte autant d’intérêt aux objets, ce n’est pas parce qu’elle est matérialiste, c’est parce qu’elle voit dans “les espaces que les personnes habitent” et dans les objets qui les entourent des indices sur celles et ceux qui les possèdent. “Tous ces détails ont un intérêt narratif, ils sont comme nos mémoires : ils portent les traces de nos habitudes, de nos souvenirs, de nos goûts et intérêts.” Marie Kondo n’est peut-être pas d’accord, mais moi et mon bazar, on opine du chef face à notre écran, depuis notre canapé devant la fenêtre.

Louise Janet, Boulevard Paul Vaillant Couturier.
Louise Janet, Habitant de la ville, 2024.

“Building Stories”, l’exposition de Louise Janet, est visible jusqu’au 10 juin 2024 à la galerie Mathilde Le Coz, avec le soutien d’Elsa Meunier (Dans les yeux d’Elsa).