“Si on portait plainte pour tous les délits et les crimes qu’on a subis, on porterait plainte 10 fois” : le témoignage salutaire de Sara Forestier chez Mediapart

Publié le par Manon Marcillat,

L’actrice raconte son parcours de cinéma, émaillé de violence et de brutalité.

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Sara Forestier est de retour au cinéma dans Trois amies, le film d’Emmanuel Mouret, et profite de cette exposition médiatique pour apporter son témoignage sur les nombreuses violences, physiques et sexuelles, qu’elle a subies au cours des vingt années qu’elle a passées dans le cinéma et qui l’ont forcée à mettre en pause sa carrière d’actrice. Elle a récemment été auditionnée devant l’Assemblée nationale, dans le cadre de la Commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le cinéma et revient sur son témoignage, salué par le rapporteur Erwan Balanant, sur le plateau de l’émission À l’air libre de Mediapart.

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Grâce au tournage de Trois amies, qu’elle décrit comme une forme de catharsis qui l’a réparée et réconciliée avec les plateaux de cinéma après de nombreux traumatismes, Sara Forestier est aujourd’hui capable de raconter son parcours de cinéma, émaillé de violence et de brutalité depuis ses tout débuts, lorsqu’à l’âge de 13 ans, on lui demande d’enlever sa culotte en casting, ou lorsqu’à 15 ans, un régisseur lui propose une sodomie.

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Elle évoque également la normalisation des humiliations, de la violence physique et de l’art comme alibi à la maltraitance, par exemple quand le réalisateur Abdellatif Kechiche lui demande d’exploiter sa douleur physique — celle d’un doigt qui avait été accidentellement coincé dans la portière d’une voiture — pour les besoins d’une scène, qui chamboulera tout son rapport au corps et à la douleur. “Quand j’ai commencé les castings, je disais souvent non aux choses d’ordre sexuel mais quand il s’agissait de choses qui pouvaient me mettre en danger physiquement, je les avais intégrées et acceptées.”

“Plus tu te débats, plus tu t’enfonces.”

Malgré ces différents épisodes de violence, l’actrice dit avoir eu l’impression “de passer entre les gouttes”, jusqu’au “non de trop”, lorsqu’elle ira déposer une main courante contre Nicolas Duvauchelle, qu’elle accuse de l’avoir insultée et giflée sur le tournage de Bonhomme de Marion Vernoux, tandis que lui déposera une plainte pour menace de viol, qui sera classée sans suite. Elle quittera le tournage, il restera. Une enquête est actuellement en cours depuis que Sara Forestier a déposé plainte, en mars 2023, avant la prescription des faits. “Quel intérêt aurait un agresseur à dire ‘oui j’ai giflé une femme qui sortait de l’hôpital et qui venait de perdre un enfant’ ?”, s’interroge Sara Forestier sur le plateau de Mediapart.

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Suite à un article du Figaro, qui la présente comme l’agresseure et qui a “détruit sa vie”, elle s’est retirée de l’industrie, après avoir perdu confiance dans les équipes de cinéma. “Il fallait que je continue mon métier pour gagner ma vie mais quand j’allais sur les plateaux, je n’avais pas confiance, [j’étais] sur la défensive. J’ai compris ce qu’il s’était passé, c’était un système qui m’avait écrasée, c’est comme les sables mouvants : plus tu te débats, plus tu t’enfonces.” Sara Forestier évoque également son propre examen de conscience qu’elle a opéré pendant cette longue pause, celui des violences qu’elle a intégrées et perpétuées et de certaines de ses méthodes en tant que réalisatrice.

“Hystériques”, “mythomanes”

C’est le témoignage d’autres actrices et notamment celui d’Isabelle Adjani, qui a elle aussi témoigné de violences physiques dans le cadre professionnel, qui ont provoqué un déclic et une prise de conscience des mécanismes à l’œuvre dans la perpétuation des violences, celui du mythe de la victime parfaite et de la psychiatrisation des actrices et des qualificatifs, “hystériques”, “mythomanes”, qui leur sont souvent associés.

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Lors de son passage devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Sara Forestier — qui s’étonne que le milieu du cinéma soit “capable de se réunir par millier pour fêter le cinéma dans des festivals mais pas par centaines pour faire un colloque sur les violences” — a avancé des pistes pour endiguer cette violence et cette maltraitance. Elle propose notamment de réformer les processus des castings pour qu’il y ait des garde-fous dès cette première étape mais également de repenser l’aspect financier des tournages pour réformer le système d’assurance afin que les agresseurs puissent être exclus des tournages sans que la production n’ait à craindre pour l’avenir du film.

Après avoir rappelé le principe de la présomption d’innocence et affirmé sa volonté que les films des agresseurs ne soient pas invisibilisés, puisqu’il s’agit d’un travail collectif, “les films doivent sortir, une œuvre doit continuer son cheminement”, elle en appelle à un accompagnement et à un encadrement de ces derniers sur les tournages. “Mon agresseur, je ne veux pas qu’on l’empêche de faire des films, je veux simplement qu’il aille en prison pour ce qu’il m’a fait”, a-t-elle réaffirmé sur le plateau de Mediapart.

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