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Shōgun, c’est quoi ?
Shōgun est une minisérie en dix épisodes qui adapte le roman homonyme de James Clavell paru en 1975. C’est d’ailleurs la deuxième adaptation sur le petit écran, après une première version diffusée dans les années 1980 sur NBC. Le récit de l’auteur britannique, fictif, s’appuie sur de véritables figures historiques et événements survenus à l’époque du Japon féodal, plus précisément pendant la période Edo, alors que les Portugais et les Espagnols furent les premiers explorateurs à créer des voies maritimes commerciales entre l’Europe et l’Asie.
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La série débute sur une période trouble au pays du Soleil-Levant. À la mort du Taikō, le dernier leader de l’ère Sengoku, marquée par de multiples conflits militaires avec la Corée, les cinq régents du Conseil se disputent les territoires japonais. Au même moment, un navigateur hollandais, John Blackthorne, et son équipage s’échouent sur les rivages proches d’Osaka. D’abord considéré comme un prisonnier et un ennemi du Japon, John va finalement être pris sous l’aile d’un daimyō influent, Yoshi Toranaga, chef estimé par ses pairs et héritier d’une puissante famille de l’archipel nippon.
Mais les quatre autres régents, déjà en litige avec Toranaga, voient d’un mauvais œil l’arrivée de l’anjin, le barbare hollandais. Parmi eux, le seigneur Ishido Kazunari souhaite régner sur le Japon et poursuivre son commerce prolifique avec les chrétiens venus du Portugal, influents sur la Route de la soie. Ballotté entre ces différentes factions, John va devoir apprendre les us et coutumes japonais pour survivre et se faire une place, jusqu’à recevoir l’honneur d’être formé en tant que samouraï. Pendant son apprentissage, il va faire la rencontre de Lady Mariko, une jeune femme mystérieuse et entraînée à l’art du combat qui parle sa langue et semble répondre à ses propres intérêts au cours de ces jeux du trône.
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Pourquoi c’est super bien ?
Vous vous en doutiez sûrement, mais je n’ai pas choisi l’expression de “jeu du trône” au hasard pour décrire Shōgun. Hormis l’absence de fantasy pour ancrer cette histoire dans un cadre réaliste, la série de Rachel Kondo et Justin Marks (Counterpart) partage de nombreux points communs avec Game of Thrones. De par ses magouilles politiques, ses trahisons et personnages mesquins dans la lignée de Varys et Littlefinger, son ambition esthétique et visuelle et ses scènes d’action spectaculaires, la narration de Shōgun est aussi complexe, surprenante et passionnante que l’adaptation des romans de George R. R. Martin.
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Toutefois, Shōgun se démarque de la concurrence sur d’autres aspects. C’est une série assez contemplative et extrêmement respectueuse de la culture et du contexte narré dans le roman de James Clavell. La reconstitution du Japon féodal est tout bonnement saisissante et, contrairement à ce que nous laissaient craindre les bandes-annonces, majoritairement incarnée en japonais. L’immersion est immédiate et jouissive, en grande partie grâce au charisme de ses interprètes. On pense principalement à Hiroyuki Sanada, acteur japonais de renommée internationale, mais trop souvent cantonné aux rôles de second couteau dans de grosses productions américaines (Westworld, Le Dernier Samouraï, Mortal Kombat, John Wick…).
Là, en tant que daimyō puissant et charismatique, l’aura de Sanada inonde les scènes de sa prestance. L’acteur est aussi juste dans l’émotion que dans l’action, portée par une grâce singulière, il est vrai, lorsqu’il s’agit de combattre comme un samouraï. Mais son personnage, Yoshi Toranaga, est aussi présenté comme un leader sage, avisé et compatissant, qui a toujours dix coups d’avance sur ses adversaires. Il est difficile de lire et comprendre ses véritables intentions tout au long de la série, une sensation rafraîchissante et ludique dans une époque où la plupart des scénarios à grand spectacle sont prévisibles dès les premières minutes.
À ses côtés, on reconnaît être complètement tombés sous le charme d’Anna Sawai (Monarch: Legacy of Monsters), interprète de la mystérieuse Lady Mariko à la beauté ténébreuse. Là encore, c’est un personnage complexe à cerner, dont les répliques sont aussi aiguisées que ses talents au katana. On est un peu moins fan de la partition de Cosmo Jarvis (Peaky Blinders), l’un des rares acteurs anglophones du casting et interprète du navigateur John Blackthorne. En deçà de ses pairs en termes d’intensité, surtout dans les scènes d’émotion, on aime toutefois son charme brut et sa voix rauque à la croisée de Tom Hardy et Logan Marshall-Green.
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Si le cast brille autant dans Shōgun, c’est parce qu’ils ne font que sublimer l’environnement qui les entoure. Le production design de la série est fou et d’un réalisme palpable, du générique lyrique (très inspiré de Game of Thrones, il faut le reconnaître) aux costumes, en passant par les châteaux des daimyō, jusqu’aux armes et navires qui apparaissent à l’écran. Malgré quelques fonds verts moins convaincants dans les scènes maritimes, on en prend plein les yeux tant la reconstitution du Japon féodal fascine et impressionne. La puissance visuelle de la série évoque parfois le kabuki, ce genre théâtral japonais en costume qui mélange drame et grand spectacle, sauf que les danses traditionnelles sont remplacées par des séquences de batailles, assassinats et autres duels aux katanas aussi sanglantes que divertissantes.
Précisons toutefois que Shōgun est plus proche du slow burner que d’une véritable série d’action et de twists dans tous les sens : son récit est semblable à une grande toile où les destins des personnages s’entrecroisent, parfois de façon contemplative et d’autres fois dans une version plus musclée. Le rythme de la série qui oscille entre world building, grand spectacle et dialogues intimistes est manié d’une main de maître, si bien qu’on retrouve ce plaisir devenu si rare de trépigner d’impatience en attendant l’épisode suivant. Là encore, on retrouve un point commun qui a son importance avec Game of Thrones.
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D’ailleurs, la série est régulièrement ponctuée de moments de fulgurances poétiques, qui la font basculer dans une dimension beaucoup plus poignante. On pense à cette scène mémorable de l’épisode 2, lorsque John explique à la cour de Toranaga sa vision du monde en dessinant une carte de la planète… sur le sable d’un jardin japonais. La séquence vient alors non seulement justifier l’aspect artistique du générique d’introduction, mais aussi confronter deux visions du monde qui s’opposent autant qu’elles s’apprennent l’une de l’autre. C’est une représentation finalement assez moderne et bouleversante dans une ère aussi troublée et déchirante que la nôtre, alors que les fractures de religions ou de cultures ont créé des conflits qui semblent tristement intemporels et insolubles.
En fait, ce qui frappe vraiment dans Shōgun et lui vaut tout notre amour et notre fascination, c’est sa justesse au jeu d’équilibriste entre politiques, romances, drames, action et même humour à certains moments. C’est une phrase bateau, vous en conviendrez, mais c’est aussi la marque des grandes séries mainstream qui possèdent ce petit à-côté en plus, cette touche de sincérité et d’authenticité qui les démarque du reste, surtout à une époque où le visionnage boulimique est la triste tendance, qui fait d’une majorité des séries contemporaines un objet de consommation plutôt qu’un objet artistique. C’est sûrement cette raison en filigrane qui nous amène à penser que, quelque part, Shōgun nous réapprend à capter notre attention et prendre notre temps pour profiter d’une série comme au premier âge d’or de la petite lucarne.
On retient quoi ?
- Les acteurs qui tirent leur épingle du jeu : Hiroyuki Sanada, qui a enfin un premier rôle à la hauteur de son talent dans une production américaine.
- La principale qualité : la puissance visuelle de l’œuvre dans sa globalité et sa reconstitution époustouflante du Japon féodal.
- Le principal défaut : la présence de l’anglais pour des personnages espagnols ou portugais, nécessaire pour des questions d’adaptation mais qui brise quelque peu l’immersion la première fois qu’on s’en rend compte.
- À voir si vous avez aimé : Game of Thrones de David Benioff et D. B. Weiss, Succession de Jesse Armstrong, Black Sails de Jonathan E. Steinberg et Robert Levine, House of Cards de Beau Willimon, le jeu vidéo Ghost of Tsushima de Sucker Punch.
- Ça aurait pu s’appeler : “House of the Daimyō”.
- La quote pour résumer la série : “Le rythme de la série qui oscille entre world building, grand spectacle et dialogues intimistes est manié d’une main de maître, si bien qu’on retrouve ce plaisir devenu si rare de trépigner d’impatience en attendant l’épisode suivant”.
En France, la saison 1 de Shōgun est diffusée sur Disney+ depuis le 27 février, à raison d’un épisode par semaine.