Un peu plus d’un an après Deo Favente, SCH dévoile son troisième album studio nommé JVLIVS. Un projet empreint de fiction qui signe le retour du S. Rencontre.
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Pour accompagner la sortie de JVLIVS, son troisième album studio, SCH a dévoilé un court-métrage tourné entre Palerme et Marseille. Ambitieux mais peu surprenant quand on connaît le personnage façonné par Julien Schwarzer depuis la mixtape A7 sortie en 2015. Un mélange extravagant d’imaginaire mafieux et de souffrances personnelles qui ont nourri le travail du rappeur originaire d’Aubagne et lui ont permis de se forger une place unique dans le paysage rap français.
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Pendant la vingtaine de minutes que dure le court-métrage réalisé par Late Nights, on retrouve celui qu’on appelle le S prendre corps dans l’univers latin empreint de spiritualité, de Méditerranée et de violence qui lui sied si bien. Un visuel qui résume à merveille JVLIVS, déjà considéré par les amateurs de SCH comme l’album concrétisant le retour du S.
Il faut dire qu’avec la création de son label Maison Baron Rouge, le rappeur s’est offert du temps mais aussi de la liberté. La liberté de revenir à ce qu’il maîtrise le mieux : le rap, rappelant pour l’occasion son producteur phare et ami de longue date, Guilty, mais aussi d’explorer encore un peu plus la fiction sans toute fois abandonner l’introspection qui anime ses textes. À l’occasion de cette sortie, on a rencontré SCH pour parler de JVLIVS, du temps qui passe et de l’importance l’écriture.
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Konbini | Commençons par le titre de l’album JVLIVS. Pourquoi ce choix ? Que nous dit-il de l’album ?
SCH | Il nous dit qu’il s’agit d’un projet beaucoup plus personnel et introspectif dans la mesure où c’est mon prénom. JVLIVS, c’est Julien dans une sorte de délire romain. Ça identifie beaucoup le projet comme quelque chose d’assez Méditerranée. Il faut savoir qu’on a tout tourné entre Marseille et Palerme. C’était bien rendre cela à la Méditerranée que d’appeler ce projet JVLIVS.
Tu as précédemment parlé de cet album comme d’un “retour aux sources”. Dans quelle mesure un retour aux sources te semblait nécessaire ?
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J’ai créé mon nouveau label Maison Baron Rouge car j’avais besoin de revenir à mes sources. J’avais besoin d’oublier tous ces sasses de décompression dans lesquels je voulais me mettre sur d’autres projets et faire ce que j’ai le plus de facilité à faire : rapper et cela, sans chercher le hit. C’est venu très naturellement.
Avant, je ne vais pas dire que je m’arrachais les cheveux pour trouver un hit mais après le succès d’un titre comme “Champs-Élysées”, j’avais comme une fausse pression autour de ça. C’est peut-être ce qui m’a fait faire des morceaux plus ouverts par la suite. Des morceaux sur lesquels on ne m’attendait pas mais dont je suis fier car j’ai réussi à les faire et ils ont plu au public. On va dire qu’en ce qui concerne ce projet, j’étais moins dans cette recherche-là.
Ton premier projet A7 est considéré par beaucoup comme un classique et a généré pas mal d’attentes autour de toi. Le considères-tu, à l’heure actuelle, comme un poids ?
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Je l’ai considéré comme tel avant mais ce n’est plus le cas maintenant. Les fans de Booba diront toujours que Temps Mort, c’est son classique et qu’il ne fera jamais mieux mais c’est aujourd’hui, plus que jamais, qu’il est exposé et que ça marche bien pour lui. Ça y est pour quelque chose qu’il ait fait un classique pour son premier projet mais je pense que c’est surtout un bagage, un beau bagage.
Je ne me mets plus cette pression du “je dois faire mieux”. A7 fait partie de ma discographie et je l’ai fait. Je n’ai pas l’impression de faire mieux ou moins bien. Je me dis juste qu’il y a une niche de fans purs et durs qui ne se détacheront jamais de cette idée-là mais qu’il y a aussi une autre masse d’auditeurs qui apprécie de mûrir et de vieillir avec leurs artistes et tous les changements que cela implique. Moi quand j’étais gosse, je kiffais grandir avec un artiste et voir qu’il évoluait autant que moi. Les artistes qui se sont cantonnés à ce qu’on voulait d’eux aujourd’hui je ne les écoute plus.
Donc JVLIVS n’est pas un retour à A7…
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Ce n’est pas un retour à A7, c’est un retour à ce que j’ai besoin de faire dans la musique : rapper.
Ce “retour aux sources” s’exprime aussi dans le choix de tes collaborateurs. La plupart des titres de cet album ont été produits par Guilty de Katrina Squad, très présent sur A7, et qu’on avait entendu sur le titre “La nuit”, extrait de Deo Favente. Pourquoi revenir vers Guilty ?
Sur mon ancien label, je perdais Guilty. On s’éloignait beaucoup, pas par rapport à nos relations à nous qui sont restées super saines et amicales, mais par rapport à un entourage qui me faisait courir après la musique si bien que j’oubliais ce dont j’avais réellement besoin. Dès que j’ai repris le truc en main, la première chose que j’ai voulu faire, c’était de faire réaliser le projet par Katrina Squad.
Ce que j’aime chez eux, c’est la facilité qu’ils ont à me cerner, la facilité que Guilty a à me cerner. On n’a pas besoin de se dire certaines choses car il sent ce dont j’ai besoin mieux qu’aucun autre beatmaker. Des fois, on s’appelle et on reste une heure et demie au téléphone. On ne parle pas de rap et c’est bien parce que du coup, on a ce truc en plus qui va au-delà de la relation artistique. C’est un ami.
Tu es très attentif aux sorties actuelles, notamment américaines, mais tu aimes aussi les sons de variété plus anciens. Y a-t-il des artistes qui t’ont inspiré dans les sonorités de ce projet ?
Je te dirais que XXXTentacion m’a pas mal inspiré pour un morceau comme “Le Code”. La vibe qu’il dégageait sur des titres comme “Moonlight” ou “Sad”, c’est exceptionnel. Ce sont des morceaux super forts et introspectifs. Après, je n’ai pas vraiment écouté de rap quand je faisais le projet car j’avais un peu la tête dans le guidon. J’étais en studio et je réfléchissais beaucoup au sujet de ce que j’avais vécu ces derniers mois. C’est ce qui m’a nourri pour concevoir le projet, bien plus que la musique.
J’ai l’impression que cet album a été pensé comme un film en trois parties. On y trouve une introduction ainsi que deux interludes. Quelle histoire voulais-tu raconter ?
Il ne s’agit pas d’une histoire de bout en bout. C’est un puzzle de mots et de pensées. C’est beaucoup de ressentis, d’ambiances, d’atmosphères, d’états d’esprit. Je vois plus le projet comme une suite d’événements que comme un film. La fin est assez contemplative à l’égard de tous les événements qui se sont passés sur les titres précédents.
On la perçoit aussi plus mélancolique.
C’est plus profond. Je voulais ouvrir ces sasses sur la fin du projet pour qu’on puisse comprendre qu’il s’agit d’une marche vers le spirituel plus présent sur la fin. Je parle beaucoup d’enfer et de paradis. C’est comme si durant tout l’album, je marchais et qu’à la fin du projet j’arrivais au bout de la route, je me retournais et je regardais le projet.
Y a-t-il eu des films ou des projets de fiction qui ont imprégné le processus de création ?
J’ai pas mal regardé de séries récemment. J’ai visionné tout Black Mirror. J’ai kiffé de fou parce que je trouve ça super révélateur de ce qui nous attend dans l’avenir au sujet de la technologie. Ça m’a d’ailleurs poussé à me poser des questions assez spirituelles. J’ai regardé la Casa de papel, que je trouve super bien produit pour une production européenne. Je suis un amoureux inconditionnel de Gomorra donc je me suis reregardé ma série phare.
Dans les vieux films, il y a Soleil vert, Vol au-dessus d’un nid de coucou, les romanzo criminale, la série de Toto Riina, les premiers volets. Je ne me suis pas bousillé aux films et à la musique durant la confection du projet mais en voilà quelques-uns.
Dans “Otto”, tu dis “les films ont déteint“. Petit, regardais-tu beaucoup de films ? Quels sont ceux qui ont participé à créer SCH ?
Grave ! Je trouve que les films influencent beaucoup une vie. Je pars du principe qu’un film comme Scarface a envoyé en prison toute une flopée de ma génération. Les beaux films, les grands films influencent beaucoup. Je me rappelle, je devais avoir huit ou neuf ans, mon père regardait Seven, et je regardais avec lui. C’était trash pour mon âge.
Pour les films qui m’ont façonné, je dirais 8 Mile, Get Rich or Die Tryin’, tous les trucs de mon époque. Les premiers films sur le rap, quand je les ai vus, ça m’a bouleversé. Puis, il y a tous les films plus techniques. Les Blow, les Heat… Tu les regardes à 10 ans tu ne comprends rien, tu les regardes à 15 tu comprends tout. Ça déteint pas mal.
En quoi te sens-tu proche de l’univers et l’imagerie mafieuse que tu affectionnes tant ?
J’ai grandi dans un contexte un peu compliqué où, pour s’en sortir, ou ne serait-ce que pour s’acheter une paire de baskets, on faisait des trucs pas super. Quand je passe à Paris pour mes interviews, je fais le boulot mais le reste de la semaine je suis devant l’alimentation avec mes amis d’enfance qui sont des travailleurs, des repris de justice, des têtes de réseaux. Du coup, je suis super confronté à cet univers et il me nourrit beaucoup car je ne suis bien nulle part ailleurs.
Je le dis d’ailleurs dans une musique. En gros, je pourrais m’enfuir et quitter la zone mais la vérité c’est que je l’aime à mort. C’est vrai. Des fois, des gens me disent : “Tu fais du rap, tu as réussi ta vie alors pourquoi restes-tu toujours là avec des trimards ?”. Ce sont des gens avec qui j’ai grandi, c’est de gens que j’aime, et c’est quelque chose qui me nourrit. Je ne serais pas bien sur une île tout seul.
Tu n’es pas tenté de t’orienter vers un autre monde ?
Non. Après, c’est bien de s’ouvrir au monde. C’est quelque chose que je ne faisais pas quand j’étais gosse. Petit, je n’ai jamais vu un concert, je n’ai jamais fait un show case d’artiste, je n’ai jamais été en boîte. Je n’en avais rien à foutre du monde. C’était sectaire la manière dont on restait ensemble. On était toujours sur le même banc, à boire les mêmes boissons, à parler des mêmes choses tous les jours. Je me dis que c’est bien quand même qu’il me soit arrivé ça car aujourd’hui, j’aime m’ouvrir sur le monde, voir des gens d’horizons différents. Mais je garde toujours ce besoin de retourner là d’où je viens.
Dans le morceau “A7”, tu écrivais : “J’ai écrit l’album dans les larmes”. J’ai l’impression que ces larmes ont souvent été un moteur dans ton travail. Est-ce qu’elles l’ont été sur JVLIVS ou est ce l’album d’un SCH plus apaisé ?
Je te dirai qu’il y a beaucoup des deux. Je suis plus apaisé par rapport à la création de mon label. Toutes les mauvaises ondes qui ont pu graviter autour de moi, j’essaye aujourd’hui de les repousser et de m’en écarter. Ma part d’apaisement se trouve là-dedans. Mais j’ai aussi écrit le projet dans la douleur et la difficulté, j’ai eu des soucis de santé, j’ai perdu mon papa, j’étais à Planète Rap quand il nous a quittés.
Tu n’arrêtes jamais de pleurer dans la vie, c’est un combat perpétuel. C’est quelque chose qui me nourrit vraiment. Je n’ai jamais vraiment profité de ce que j’étais, de la vie que j’ai. Je n’arrive pas à en profiter car il y a toujours un événement qui vient pourrir ma journée ou me ternir le moral. Ma mère me dit souvent : “Mais merde fils, profite, je ne te vois pas sourire”. Je sais qu’en vrai je devrais en profiter mais il y a toujours un truc. C’est un petit peu ça ma vie.
Le titre “Otto” est une référence à ton père. Je trouve ton écriture à son propos moins imprégnée de tristesse que dans des sons comme “La Nuit” ou “Himalaya”. Qu’est-ce que cela nous dit de ton état d’esprit ?
Je pense qu’aujourd’hui, avec tout ce que mon père a enduré, il est mieux là où il est que dans un lit intubé ou que durant toute sa vie ou il s’est levé le cul pour de la merde. C’est ça qui me rend un peu moins “triste”. C’est vrai que ça se ressent car je suis plus apaisé par rapport à cela. Je ne me torture plus l’esprit par rapport à mon père même si j’y pense tout le temps et que j’ai énormément de peine de ne plus l’avoir. Je dirais que c’est un deuil que j’ai de plus en plus d’aisance à accepter.
Le temps, c’est un questionnement important voire une obsession dans ton travail depuis le début. Il y a toujours une urgence à réussir, et en même temps cette frustration de ne pas avoir le temps pour en profiter. As-tu finalement réussi à maîtriser le temps ?
J’ai pris le temps de faire un bon album mais je ne me suis pas octroyé plus de temps pour être avec ma famille. J’ai eu du temps pour prendre du recul sur moi-même, pour comprendre que oui j’ai une vie et il faut que j’en profite mais je ne l’ai pas forcément fait tu vois. C’est ça qui est archi ouf. Maintenant que j’ai assez d’argent pour ne plus me plaindre d’être pauvre, je me rends compte que j’ai passé toute ma vie à courir après le fric alors que c’est après le temps qu’on court au final.
Aujourd’hui, je me dis qu’il vaut mieux manquer d’argent et avoir du temps que de manquer de temps et avoir de l’agent. Le temps ne s’achète pas et on en perd tous énormément. Moi, j’en ai perdu pendant 10 ans et maintenant que je travaille et que je fais quelque chose de ma vie, c’est paradoxal, mais je me demande si je ne perds pas encore du temps à faire tout ça. Il s’agit de questions existentielles qui me nourrissent aussi en termes d’inspiration.
Dans tes textes, tu décris avec une grande précision tes parents et surtout les marqueurs de la vieillesse. As-tu une angoisse de vieillir ?
À mort. Je m’entends super bien avec ma mère. Je lui ai toujours tout dit, ça m’angoisse beaucoup de perdre ma maman et de plus la voir, je me demande comment je vais faire et comment je vais y survivre. La mort angoisse tout le monde, même les croyants les plus aguerris et pour les gens qui se posent des questions c’est encore pire.
Je suis quelqu’un qui se questionne sur tout et trop penser peut tuer. Je rêve que d’une chose, c’est de mourir vieux. J’ai envie de connaître la vieillesse mais ça me fait peur pour mes proches. Ça fait chier de voir ses parents vieillir et de ne rien pouvoir faire, seulement en être un témoin, un spectateur et c’est pour ça que cette idée de temps revient beaucoup. Il faudrait en gagner, surtout avec ses parents.
Tu te vois vieillir dans le rap ?
J’ai énormément de mal à me projeter. Quand j’étais jeune, je me disais “quand je serais grand…” mais aujourd’hui, je n’arrive pas à me dire : “quand je serais vieux…”. Des fois, j’ai tellement cette idée que tout peut s’arrêter du jour au lendemain ancrée en moi que je n’arrive même pas à réserver un hôtel ou un billet d’avion un mois à l’avance. J’ai du mal avec ces trucs. Je préfère partir directement. Si je prévois quelque chose dans un mois, je ne sais pas ce qui va se passer d’ici là.
Dans le titre “Incompris”, tu écris “pour eux, je reste un incompris“. En quoi te sens-tu incompris ?
C’est Twitter ça. Je parle surtout des gens qui ne comprennent rien à mes phases. Ça me saoule parce qu’on se torture avec ça. Moi j’écris des choses qui, à mon sens, sont super sensées et quand je vois des gens qui les écorchent ou qui changent une phrase génie en une phrase débile parce qu’ils ont mal compris un mot, c’est vraiment un truc qui me saoule donc je reste un incompris de par mes textes. Après Dieu merci, il y a des gens qui me comprennent.
J’ai l’impression que la compréhension des autres est essentielle pour toi. Tu fais d’ailleurs partie de ces rappeurs qui annotent souvent Genius.
Je le fais depuis peu. Je ne peux pas le faire sur tous les textes qui sont précédemment sortis mais je sais qu’il y a énormément de fautes sur mes morceaux plus anciens. En ce qui concerne cet album, je vais tout annoter car je veux vraiment qu’il y ait une force de compréhension qui soit décuplée. C’est important pour la musique que je propose que les gens comprennent le fond de ce que je veux dire et les vrais mots que j’emploie.
Cette volonté de vouloir être compris influence ton écriture ?
À mort mais je ne veux pas être réduit à faire un son avec les mots les plus simples du dictionnaire pour être compris. Ça me ferait mal de me réduire à cela. C’est un art. Je l’ai travaillé dans ma chambre pendant 18 ans avant d’apercevoir une lueur d’espoir. Je ne peux pas cracher sur tout ça et me dire fuck les textes, vive le chiffre. Je ne peux pas.
Tu passes beaucoup de temps sur tes textes ?
Il y a des morceaux qui m’ont pris du temps à l’écriture mais ça ne dépasse jamais quelques jours. Je ne passe jamais un mois sur un texte sinon l’album ne serait pas prêt. Il y a des moments durant lesquels je me recentre beaucoup et je me documente en même temps pour essayer de transmettre les bonnes émotions et utiliser des métaphores plus poussées.
Quel est ton morceau préféré de l’album ?
J’aime beaucoup “J’t’en prie” mais mon préféré reste “Otto”.
Et celui de ta discographie que tu réécoutes le plus ?
Le son de ma discographie que je réécoute le plus c’est “Essuie tes larmes”.
L’album JVLIVS est disponible depuis le 19 octobre. SCH se produira en concert dans toute la France, à Paris le 31 janvier 2019, à L’Olympia et à Marseille, le 2 mars 2019 au Dôme.