Depuis le 19 juin, vous pouvez découvrir dans nos salles obscures le film The Bikeriders, de Jeff Nichols, à qui nous devons déjà Take Shelter, Loving, Mud : Sur les rives du Mississippi ou encore Midnight Special. Il a de la gueule : des motards un peu fachos, du virilisme à mort, des épouses négligées, des tensions homoérotiques tout de même, du jean, du cuir et de la violence. The Bikeriders raconte l’histoire d’un gang de motards qu’on appelle les Vandals, à travers le témoignage de Kathy (Jodie Comer), la femme de Benny (Austin Butler), un des membres du gang dirigé par Johnny (Tom Hardy).
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Dans le film, son témoignage est recueilli par un certain Danny, joué par Mike Faist, qu’on a récemment vu dans Challengers, de Luca Guadagnino. Ce Danny n’est autre que le vrai Danny Lyon, un photojournaliste qui s’est véritablement embarqué dans cette épopée underground des années 1960. Jeff Nichols, dans cette œuvre cinématographique, rend un bel hommage au livre de Danny Lyon, The Bikeriders, sorti en 1968, en allant jusqu’à titrer son film selon le nom de la série du photographe.
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AlloCiné raconte que le réalisateur s’est inspiré librement du livre, en se basant sur les images, et qu’il a connu l’existence de cet essai photographique il y a quelques années grâce à son frère. Outre le livre de Danny Lyon, Jeff Nichols s’est aussi inspiré de deux fictions sur grand écran : Easy Rider, de Dennis Hopper (sorti en 1969) avec Jack Nicholson et L’Équipée sauvage, de Laszlo Benedek (sorti en 1953), avec Marlon Brando. Dans la tradition de ces films tournés en couleur, Nichols s’est délaissé du noir et blanc des photographies de Danny Lyon, qui n’a pas pu tirer, à l’époque, ses propres photos en couleur par manque de moyens financiers, rapporte Vice. Jeff Nichols a tenté, toutefois, de se rapprocher au maximum de l’esthétique des photographies argentiques de l’époque, en utilisant du 35 mm, des objectifs Panasonic Série G anamorphiques et de la pellicule Kodak.
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“L’appareil photo a toujours été pour moi un outil d’investigation”
Les Vandals sont en réalité les Chicago Outlaws Motorcycle Club, un célèbre gang de motards connu pour sa rivalité avec les Hell’s Angels. Les deux gangs existent encore à ce jour. Si les Chicago Outlaws Motorcycle Club sont de Chicago, vous l’aurez deviné, le tournage s’est déroulé, lui, à Cincinnati et ses alentours, qui étaient plus propices à la reconstitution du Chicago des années 1960, car le paysage urbain de cette ville a bien changé depuis. Tous ces personnages sont donc issus du réel, dont Zipco (incarné par Michael Shannon) qui existe dans une célèbre photo titrée “Funny Sonny et Zipco en moto, Milwaukee”, extraite du livre.
Né à Brooklyn, Danny Lyon était le photographe qui enquêtait sur ces fous de la moto. Son intention était de les “documenter et les glorifier”. Avant ça, il avait publié, à 21 ans seulement, un livre intitulé The Movement, qui abordait la ségrégation et le mouvement des droits civiques dans le sud des États-Unis, une cause dans laquelle ce photographe qui se disait en “lutte existentielle pour la liberté” était particulièrement engagé. En plus des photographies qu’il a réalisées en vivant avec ces riders, il a mené une quinzaine d’entretiens avec eux, de 1963 à 1967, pour raconter le quotidien de ce club qui l’avait accepté. Parmi ceux-là, le témoignage de la femme de Benny, narré à l’intonation près par l’actrice Jodie Comer (qu’on a vue dans la série Killing Eve).
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Comme dans le film, on les voit rider en Harley-Davidson, on les voit endeuillés, on les voit se rassembler, on les voit tenir les comptoirs et jouer au billard. C’est un portrait authentique et réussi de motards marginalisés au code d’honneur inébranlable que Danny Lyon a livré, et qui rappelle la mouvance du Nouveau journalisme (“gonzo”) états-unien de Hunter S. Thompson et Joan Didion ainsi que d’autres séries photo des années 1950-1960, comme le Brooklyn Gang immortalisé par Bruce Davidson. “L’appareil photo a toujours été pour moi un outil d’investigation, une raison de voyager, de ne pas m’occuper que de mes affaires, et de me mettre dans le pétrin”, disait-il à propos de sa démarche artistique.
Ça n’a pas été une mince affaire, pour Lyon, de trouver une maison d’édition, car il n’avait pas un long CV et beaucoup de connaissances dans le milieu. Celui qui n’a fait que très brièvement partie de l’agence Magnum préférait vivre avec les communautés qu’il photographiait plutôt que de baigner dans le milieu de l’art. À force d’insister, la maison Macmillan a fini par signer une première édition, en acceptant, en guise de titre, l’expression peu répandue à l’époque de “bikeriders”, à laquelle Danny Lyon était très attaché.
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Le photographe a finalement racheté les invendus auprès de son éditeur pour 60 centimes l’exemplaire, relate Vice. Il s’est ensuite tourné vers d’autres projets : il a documenté les conditions de vie de condamnés à mort dans une prison du Texas et les démolitions urbaines que connaissait Manhattan. La Maison européenne de la photographie indique que The Bikeriders a connu huit éditions américaines, depuis 1968, avant d’être publié en France pour la première fois, dans une version enrichie.
Le livre de Danny Lyon, The Bikeriders, est publié aux éditions Aperture.