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Comme l’électro et le hip-hop, la K-pop est avide de samples de tous genres : breakbeats cultes, James Brown, Daft Punk, du Chet Baker, voire des chanteuses françaises un peu oubliées comme Elsa Lunghini… Bref, un beau panorama. Mais l’un des exemples les plus atypiques est certainement le groupe BTS, fer de lance du genre, qui s’approprie l’une des vidéos les plus virales de l’histoire du web : Angry German Kid.
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On l’appelle Angry German Kid, AGK, Norman Kochanowski ou encore The Keyboard Crusher. Mais son vrai blase est Leopold Slikk. Si ce nom ne vous dit rien, il y a pourtant de fortes chances pour que vous ayez déjà vu passer un grand nombre de fois sa trombine dans vos suggestions YouTube ou au détour d’un GIF. En 2006, ce jeune homme d’aujourd’hui 27 ans est devenu une star du Web. Pas de celles qui brassent des millions comme il en pullule aujourd’hui, mais plus anonyme. Et plus absurde surtout. Tout cela grâce à une vidéo entrée au panthéon de la viralité sur Internet. Simple, efficace, spontanée. Enfin, en apparence.
La simplicité au service de l’efficacité
On y voit un adolescent, Leopold donc, devant son PC, en proie à une crise de colère dingue alors que son jeu favori, Unreal Tournament 2004 (vrais reconnaissent vrais…) refuse de démarrer. Il hurle, frappe son clavier, son écran, grogne pour se calmer, frappe plus fort encore son clavier, parle tout seul, parvient à démarrer le jeu, mais perd une partie, explose son clavier, hurle à nouveau… Quatre minutes et trente secondes de rage pure et de touches qui volent. La qualité sommaire de la vidéo, le plan fixe, tout y est : on est devant un authentique addict aux jeux qui crie à la mort pour avoir sa dose d’écran.
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Tout d’abord, cette vidéo est envoyée à une chaîne de télévision allemande, Focus TV, qui la diffuse en en racontant l’histoire. Il s’agirait ici d’un jeune garçon hyperactif que son père aurait filmé à son insu pour montrer l’étendue des problèmes de son fils. Et le récit prend. La Toile (comme on disait encore à l’époque) y croit, et Angry German Kid devient la risée d’Internet, tantôt considéré comme un barjot, tantôt comme un garçon à problèmes qu’il faut aider. Plus souvent comme un barjot, tout de même. En fait, Leopold Slikk, 14 ans alors, a berné son monde, puisqu’il est déjà l’auteur de plusieurs vidéos parodiques à faible audience. Celle-ci sera sa pièce maîtresse, parodiée, reprise, détournée des centaines de fois.
Skrillex, à jamais le premier
Au fil des ans, le pot aux roses est dévoilé, et les vidéos signées AGK ou The Keyboard Crusher se multiplient. “Je ne suis ni malade ni fou”, déclarait-il sur son blog quelques années plus tard. “J’ai seulement un sens de l’humour que tout le monde ne comprend pas immédiatement. En plus de cela, j’ai des talents d’acteur. Je peux jouer quelque chose de manière si véridique que les gens croient que c’est vrai. Pour toutes ces raisons, je me fais insulter et haïr. Le but de mes vidéos ou de mes films est de divertir les gens, pas de provoquer.“
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Avec ce statut culte façonné au fil d’années de popularité, la vidéo Angry German Kid a imprégné la culture Web jusqu’à être récupérée par des musiciens. Le premier d’entre eux, c’est Skrillex, la superstar de la dubstep, qui en 2010 sortait le titre “My Name Is Skrillex“. Il y sample un passage situé à la 55e seconde, lorsque le pétage de câble se fait plus grand, juste avant que Unreal Tournament 2004 ne daigne enfin démarrer.
Mais l’exemple le plus surprenant nous vient d’autres superstars, le groupe BTS. Cette formation phare de la K-pop est devenue en 2017 le boys band coréen totalisant le plus de vues YouTube, avec un chiffre culminant à 4 milliards. Beau score. Composé de sept membres nommés V, Jin, RM, Jungkook, Suga, J-Hope et Jimin, le groupe a notamment sorti l’album You Never Walk Alone (qui est en fait une réédition d’un autre album, Wings) en 2017. Sur celui-ci figure “Not Today“, un titre fortement influencé par l’imagerie rap, à la production massive. Avant chaque refrain, il y a un pont, visant à faire monter l’intensité, et amenant à un gros drop des familles. Et sur ce dernier, on retrouve la voix d’Angry German Kid qui hurle (à la 15e seconde de la vidéo de Leopold Slikk).
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Dans la plus pure tradition hip-hop
Difficile de voir là un hommage à la vidéo d’origine : il faut tout de même bien tendre l’oreille pour l’identifier. Parlons plutôt de clin d’œil. Mais puisque la K-pop embrasse depuis ses débuts les codes de production musicale présents dans la pop américaine et le rap, il semble peu surprenant de constater que les formations aseptisées coréennes ont fait du sampling une corde supplémentaire à leur arc. Résultat, on retrouve des samples de breakbeats cultes dans la pure tradition du sampling hip-hop américain, comme lorsque le groupe Sistar récupère très subrepticement l’introduction de “Funky President“ de James Brown sur leur titre “Shake It“ en 2015.
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James Brown toujours, mais cette fois avec des éléments d’une de ses chansons phares, “It’s A Man’s Man’s Man’s World“, samplés puis réorganisés par August D sur le titre qui porte son nom en 2016.
Comme les producteurs de hip-hop, ceux de la K-pop vont piocher l’inspiration dans des sources sonores lointaines. Ainsi, on peut par exemple retrouver la bande originale du film français La femme de ta vie, sorti en 1986 et mettant en vedette Jane Birkin et Jean-Louis Trintignant. Interprété par la jeune Elsa Lunghini, le titre “T’en va pas“ se retrouve donc à être la base du morceau “Let It Rain“ d’Epik High dès 2005.
Du Chet Baker chez Beenzino…
Du Daft Punk chez les poids lourds EXO…
Ou un passage vocal du film Alien (“Let’s Roooooock !“) chez Sistar…
La K-pop regorge de perles sampling, preuve de l’uniformisation des méthodes de production musicale opérée depuis quinze ans dans le monde entier.