Future, Nelly, Timbaland, Gucci Mane, Migos, Nicki Minaj, Logic, Desiigner, Booba, Lil Yachty… Tous ces poids lourds de la musique ont un jour ou l’autre rappé sur une instru contenant le fameux “169 Aaaah !”.
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À commencer par Alpha Wann, dont le dernier album UMLA n’est pourtant pas particulièrement porté sur le sample. Mais sur le titre “La Lumière Dans Le Noir”, produit par Seezy (l’un des producteurs attitrés de Vald, qui a aussi bossé pour Kery James ou Fianso), un détail retiendra l’attention des amateurs de rap et R’n’B du début des années 2000.
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Au tout début du morceau, toutes les deux mesures, on entend une voix chanter un “Aaaah” discrètement en arrière-plan. Ça vous dit quelque chose ? C’est normal.
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Ce “Aaaah”, Seezy est loin d’être le premier à l’incorporer à l’une de ses productions. Son utilisation la plus célèbre, sans nul doute, est celle faite en 2002 sur l’un des singles phares de l’année : “Dilemma” de Nelly et Kelly Rowland. Le motif mélodique principal de l’instru, c’est ce même “Aaaah”, cette fois bien plus récurrent et mis en avant que sur le titre d’Alpha Wann.
Le M-DC1 et sa banque de sons culte
Vous l’aurez compris, il s’agit d’un sample. Mais là où ça devient intéressant, c’est que ce sample ne provient pas réellement d’un morceau préexistant. Enfin, c’est un peu plus complexe que cela. Pour comprendre, il faut revenir en 1995.
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À l’époque, la célèbre firme Roland, spécialisée dans la conception d’instruments de musique électronique en tout genre, sort un nouveau modèle d’expandeur : le M-DC1 Dance.
Qu’est-ce qu’un expandeur ? C’est assez simple : c’est une sorte de synthétiseur sans clavier, qui contient une banque de sons prédéfinis, prêts à l’emploi, que l’utilisateur peut modifier à sa guise : un son ou une ligne de basse, des effets, des bruits blancs, des riffs de guitare, de batterie… Et des voix. Sur le M-DC1 Dance, le 169e des 250 sons qu’il contient est sommairement nommé “169 Aaaah !”. Le voici, sans aucun autre élément :
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L’expandeur M-DC1 a été un best-seller dans sa catégorie, jusqu’à intégrer les studios de grands producteurs, notamment de Timbaland. En 1998, celui-ci coproduit le titre langoureux “Cheers 2 U” avec l’un des membres du groupe Static Major. Et devinez ce que l’on retrouve dans l’instru tout au long du morceau…
Est-ce bien du sampling ?
À cette étape, une question essentielle se pose : si je me contente d’aller piller une banque de sons pour construire une instru, suis-je en train de sampler ? Si l’on considère que le sampling est l’échantillonnage d’une empreinte sonore en vue de sa transformation (découpes, boucles, modulations, changements de tonalités ou de vitesses de lecture…) et de son incorporation à un autre morceau, alors oui, ça l’est. Mais bien des puristes du sampling ne sont pas de cet avis.
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Si ce débat semble être réservé aux aficionados de la pratique, un truc de niche en somme, il a pourtant bel et bien eu lieu en 2018 en dehors de ce petit monde. Une vidéo postée sur Twitter et Instagram a montré comment le producteur Dâm-Funk s’est servi de la banque de sons du logiciel de MAO (musique assistée par ordinateur) Logic Pro pour composer le titre “Damn, Dis-moi” du dernier album de Chris (aka Christine and the Queens).
De nombreux internautes ont crié au scandale, à l’arnaque, voire au plagiat (pour le coup, c’est mal connaître les subtilités du droit de la musique, puisque tous ces sons sont libres de droit).
La chanteuse s’est défendue en invoquant le recours au sampling. Alors oui, entre reprendre plusieurs pistes préconçues pour construire la quasi-totalité de son morceau et ne prendre qu’un son très court, il y a une différence. Mais est-elle finalement si grande que cela ?
Le recours aux sons provenant d’expandeurs et des logiciels est extrêmement courant dans les musiques électroniques, et par extension dans le rap et le hip-hop. D’abord conçu pour la dance music, le “169 Aaaah !” s’est surtout fait un nom dans le rap, avec Timbaland et Nelly, donc, mais aussi avec Gucci Mane.
Ce dernier rappe deux fois sur des instrus contenant ce son : “Street Smart” en 2006, puis “Grapey” en 2008. Ces deux beats sont signés Zaytoven, producteur qui fera du “169 Aaaah !” l’une de ses marques de fabrique.
2014, l’explosion dans le rap
Mais c’est à partir de 2014 que l’utilisation de ce son explose dans le rap. Sur son maxi No Label 2, Migos l’utilise dans “Add It Up” (produit par Zaytoven, encore lui, et le boss Metro Boomin), et dans “No Label 2 Intro”. La même année, le trio rappe sur une instru produite par Eskay pour “Make It Work”, sur leur autre mixtape Streets On Lock 3, qui contient aussi le “169 Aaaah !”. Les mecs kiffent ce son, c’est clair.
Ensuite, on assiste à une véritable déferlante : “Want Some More” de Nicki Minaj, “Zombie Walk” de Desiigner, “Forever Eva” de Future, “Génération Assassin” de Booba, “3500” de Travis Scott ou “Charge My Car” de Chief Keef, “Used To It” de Future ft. Drake, “Super Mario World” de Logic, “King Of Teens” de Lil Yachty… La liste est longue.
S’il fallait choisir un titre parmi ces productions récentes, ce serait certainement l’un des plus récents : le captivant “Panic Emoji” de JPEGMAFIA, sorti en 2018.
Mais comment expliquer ce regain de popularité du “169 Aaaah !” dans le rap depuis 2014 ? En plus de l’obsession de Zaytoven pour ce fragment vocal, d’abord parce que la tendance dans le beatmaking d’aujourd’hui n’est plus à l’inédit, au fait de trouver le son que personne n’a.
Le développement des type beats et la conception d’instrus à la chaîne (surtout dans le rap américain) poussent à utiliser exactement les mêmes recettes, et ce sans que cela ne soit vu d’un mauvais œil dans le milieu. Alors certes, cette tendance tend à baisser depuis un an et demi, mais le “169 Aaaah !” a encore de beaux jours devant lui, c’est certain.