Sampa the Great réside en Australie. Son cœur, lui, est resté au Botswana, pays de son enfance, ainsi qu’en Zambie, sa terre natale. Attachée à dépeindre la beauté de ses origines à travers sa musique, la rappeuse retrace dans son album prévu pour la rentrée, The Return, comment sa culture fait partie d’elle et lui a permis de se construire, sans jamais oublier d’où elle venait.
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Soutenue par des artistes tels que Kendrick Lamar, Joey Bada$$, Thundercat, Ibeyi ou encore Lauryn Hill, elle promeut un rap aux rythmes sud-africains. Son premier projet, Birds and the BEE9, a été sacré album de l’année 2018 en Australie. En fin de semaine dernière, elle dévoilait le visuel du titre “OMG”, second single de son nouvel album.
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De passage en France, la jeune femme a pris le temps de raconter son cheminement artistique, et la fierté qu’elle éprouve à l’idée d’avoir pu rentrer chez elle pour y effectuer quelques concerts. Entretien avec une artiste profondément humaine, authentique et passionnée des mots.
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Konbini | Tu racontes souvent que t’appeler Sampa the Great est un moyen d’aspirer à être la meilleure version de toi-même. À quoi ressemble cette version ?
Sampa the Great | Être la meilleure version de soi-même, c’est avoir le courage d’avancer un pas après l’autre, qu’importe ce que la vie nous réserve. C’est ce que je m’efforce de faire en tant qu’artiste mais aussi dans chaque aspect de ma vie. Pour moi, ça signifie vouloir constamment s’améliorer.
Quelles sont les choses que tu aimerais améliorer ?
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En tête de liste, je mettrais “prendre soin de moi”. Physiquement pour commencer, et après je pense que le reste suivra. J’aimerais aussi continuer à progresser sur le plan musical, découvrir de nouvelles techniques, des nouveaux instruments… De toute façon, on ne peut que faire mieux à chaque tentative.
Tu es plus souvent décrite comme une poète que comme une rappeuse. Quel est ton rapport avec la poésie ?
La poésie est le domaine que j’ai investi en premier. J’ai fait du slam aussi. Écrire des textes et des pensées dans mon journal a très vite pris une place importante dans mon adolescence. La poésie était vraiment au centre de ma vie à cette époque, même si j’ai découvert le hip-hop autour de mes 9 ans avec Tupac.
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C’est après avoir rencontré des garçons qui me répétaient que je ne pourrais jamais faire du rap que j’ai eu envie de m’y mettre pour leur prouver le contraire. Et une chose en entraînant une autre, c’est devenu une véritable passion. Cette passion, je la dois en partie à Lauryn Hill, dont les paroles m’ont énormément inspirée.
S’exprimer par la musique a pris tout son sens à ce moment-là. C’est marrant parce qu’aujourd’hui, j’écris plus de poèmes que de chansons malgré tout, ça paraît juste plus évident pour moi. Je suis convaincue que toutes les émotions ne peuvent pas s’exprimer aussi bien sur un seul et même support.
Le rap me permet de raconter certaines idées, mais d’autres seront sûrement mieux comprises à travers un autre genre musical ou artistique. En tout cas, le centre de ces deux pratiques reste l’écriture. Tout ça, c’est juste moi qui aime poser mes mots sur le papier.
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Les clips sont aussi quelque chose de central depuis tes débuts dans la musique. Tu as toujours proposé des projets ambitieux, avec de véritables intentions visuelles…
Il y a quelque chose dans ce qu’on voit qui ne peut s’expliquer par ce qu’on entend. Rapidement, j’ai vu que pour raconter mes histoires, l’image était un moyen privilégié, plus poignant. Pour faire une œuvre d’art complète, surtout quand elle est musicale, c’est important de la lier à d’autres supports.
Là par exemple, j’ai tourné des clips chez moi en Zambie, et ceux qui m’écoutent n’ont pas tous la perception des choses que je raconte par rapport à mon pays. C’était fondamental de montrer à quoi ressemblent les gens là-bas, les lieux, l’ambiance… Histoire que les auditeurs puissent mieux se situer.
Attention, je ne dis pas que les mots ne sont pas suffisants, mais plutôt que les visuels sont la cerise sur le gâteau de ma musique : c’est un coup de pouce pour la narration.
L’objectif de ta musique, c’est de rendre hommage à tes origines. Il y a de plus en plus d’artistes qui se lancent dans cette direction. Pourquoi montrer qu’on est fiers de notre identité est important dans la musique ?
Pendant longtemps, on a eu peur d’avoir des mauvais retours si on se montrait sans filtre. On voulait que notre musique soit appréciée, qu’elle résonne dans l’imaginaire de tous. Récemment, on a compris que notre individualité avait elle aussi son attraction, son pouvoir sur les gens.
Les auditeurs ne cherchent pas à ce qu’on leur offre des messages unifiés, ça les ennuie. Quand ils écoutent un artiste, ils espèrent que la musique leur apprendra à le découvrir profondément, à mieux le comprendre. Les gens veulent voir des personnalités uniques, car ils le sont tout autant.
C’est important de montrer qui on est, même si les gens ne s’identifieront pas à ce qu’on raconte : dans tous les cas, ils pourront se dire que même si l’on ne leur ressemble pas forcément, on assume pleinement ce qu’on est.
Je crois que les personnes noires sont dans cette recherche d’affirmation maintenant. Dans cette envie de se sentir à l’aise avec leur ethnie. Parfois même de la découvrir, car beaucoup de personnes issues de la diaspora sont encore très peu averties sur leurs origines. On est fiers de voir qu’on s’intéresse enfin à notre culture.
En effet, la plupart des gens intéressés par ta musique n’ont pas grandi en Zambie ou au Botswana. Pourtant, ils semblent très concernés par ce que tu racontes…
Longtemps, j’ai cru que beaucoup ne comprendraient pas ma démarche. Mais à partir du moment où j’ai osé aller jusqu’au bout de mon initiative, j’ai vu qu’au contraire, c’était l’occasion pour d’autres d’en apprendre un peu plus sur des coutumes méconnues. Ce qui est bien aussi, c’est que les gens découvrent d’autres cultures avec la musique, sans qu’on ne leur impose.
Il y a peu, tu as fait tes premiers concerts “à la maison”. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
Je suis plus connue en Australie qu’en Zambie. J’ai été surprise de voir que les gens connaissent mes chansons. J’avais beaucoup d’appréhension, je me préparais depuis longtemps pour ce retour. Je voulais une véritable connexion avec le public. Avoir la chance de revenir jouer là d’où je viens, c’était incroyable : les gens dansaient, chantaient et tapaient dans leurs mains. Certains semblaient heureux de voir que des artistes comme moi, originaires de leur pays, réussissent à s’exporter un peu.
En Zambie et au Botswana, l’industrie musicale n’est clairement pas aussi développée qu’en Australie, et voir cet engouement lors de mon concert chez moi, ça m’a vraiment convaincue que j’avais fait le bon choix en développant ma carrière là-bas, loin de mes proches.
Parler de tes origines compte beaucoup pour toi, mais tu aimes aussi représenter la féminité, comme dans les morceaux “HERoes” et “Energy”. Comment tu conçois ton statut de femme ?
Dans le hip-hop, c’est certain, les femmes sont sous-estimées parce que l’industrie est dominée par des hommes. En tant que femme, j’aimerais aider à créer notre propre espace de création, avec des manageuses, des directrices artistiques, nos labels… C’est indispensable qu’on puisse se sentir en sécurité lorsque nous faisons de la musique. Pour “Energy”, le message était de montrer à tous que nous avions chacun, homme comme femme, notre part de masculinité et de féminité.
C’est encore hyper tabou, et ça me choque que certains tentent encore de le nier, car c’est en partie cette composante qui instaure des rapports malsains entre les genres. Dans ce problème majeur d’inégalités hommes/femmes, les hommes ne sont pas les seuls à blâmer, au contraire… Ils grandissent souvent avec cette honte permanente de montrer leurs émotions. C’est important de leur rappeler qu’un humain, dans son essence, possède ces deux énergies et que la balance entre les deux est propre à chacun.
On retrouve quelque chose de très spirituel dans ta musique, de traditionnel parfois…
Carrément ! Je pense que ce sentiment passe aussi par le vêtement. Je porte les vêtements traditionnels de ma culture africaine. C’est honteux à dire, mais pendant longtemps, je me suis sentie gênée à l’idée d’arborer ce qu’on porte dans mon pays. Il a fallu que je prenne confiance en moi pour me dire que je pouvais porter ce qui me plaît, même si ce n’est pas habituel dans le rap.
Il faut le reconnaître : il y a eu une longue période où ce n’était vraiment pas cool de porter les bijoux ou les robes africaines. Maintenant, ce n’est même plus une option. Bien sûr que je vais porter des vêtements traditionnels dans mes clips, bien sûr que je les mettrai aussi sur scène. Les gens sont plus ouverts d’esprit j’ai l’impression, c’est une bonne chose.
“Final Form” est un morceau très personnel et c’est aussi le premier titre de ton prochain album The Return. Pourquoi ce choix ?
“Final Form”, c’est l’idée que je n’ai plus honte d’admettre que j’ai du potentiel, et que je suis prête à mettre l’effort nécessaire pour atteindre cette forme finale de moi, de mon art. L’album est intentionnellement beaucoup plus cinématique, mais c’est aussi parce qu’il m’a fallu quatre ans pour le réaliser, et surtout pour apprendre à donner le temps qu’il faut à mes projets afin qu’ils mûrissent. The Return, c’est le film de ma vie, à travers lequel je conte la maturation de mes héritages ethniques.
Quelle est la plus grande leçon que tu as apprise entre Birds and The BEE9 et The Return ?
Découvrir qui je suis, et comment je le suis devenue. The Return ne signifie pas seulement mon retour sur le devant de la scène après quelques années sans projet. C’est plutôt le fait d’avoir pu rentrer chez moi, et d’avoir compris que certains de mes amis n’avaient pas cette chance, car ce sont des réfugiés.
Le point d’orgue de cet album, c’est ma volonté de mettre le doigt sur ce que représente l’idée “d’être chez soi”. Je voulais vraiment étudier cette thématique. Comprendre ce qui me fait me sentir à la maison. Comprendre que la maison veut parfois dire toi-même, ton propre corps. Car finalement, notre corps est aussi notre foyer.
Le concept de “maison” m’a permis de voir que je n’avais pas à ressentir le mal du pays, car toutes les valeurs que je partage avec mes proches sont ancrées en moi, et qu’importe où je vais, elles y habitent.
Avec un tel parcours, est-ce que tu as connu un moment où tu t’es dit : “OK ça, c’est le moment qui va tout changer” ?
Je pensais que ce serait la première partie de Kendrick Lamar, puis il y a eu celle de Lauryn Hill… Maintenant, j’ai sorti “Final Form”, j’ai eu des concerts en Zambie… Plusieurs opportunités incroyables ! Pour Lauryn Hill, c’était vraiment un modèle pour moi et l’avoir rencontrée, ça m’a montré qu’elle m’inspirait encore plus dans la vraie vie qu’avec sa carrière. Ça me donné envie d’aller plus loin encore, et c’était un moment super motivant pour moi en tant qu’artiste.