Rire pour ne pas tout péter : on a parlé de stand-up queer, de fierté et de joie avec l’humoriste Tahnee

Publié le par Delphine Rivet,

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Elle cartonne sur scène avec L’Autre, un spectacle où elle nous ouvre grand les bras. Et, autour d’elle, c’est tout un écosystème d’humoristes queers qui se fait une place.

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Mahaut Drama, Lou Trotignon, Noam Sinseau, Mamari… Toutes ces stars montantes de l’humour gravitent autour d’un astre : Tahnee. Et, loin de les éclipser, elle les fait briller encore plus fort. L’adelphité, c’est ce qui caractérise cette scène de stand-up queer émergente. Une solidarité à l’épreuve des coups durs et des attaques qui ont tendance à pleuvoir sur la communauté LGBTQIA+ ces derniers temps.

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Née d’un père guadeloupéen et d’une mère ch’ti, Tahnee, femme noire et lesbienne, est fière de son identité. Tant et si bien qu’elle en a fait le cœur de son spectacle, L’Autre. Si on l’a souvent mise en garde contre un humour qui serait trop “communautaire” ou trop “militant”, Tahnee a conquis son public et la légitimité qui venait avec, jusqu’à faire taire les doutes qui pouvaient persister.

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Konbini ⎪ Ton entrée dans la comédie s’est faite par l’impro qui, par définition, ne s’appuie pas sur du texte. Quand est-ce que tu as ressenti pour la première fois le besoin d’écrire ?

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Tahnee ⎪ En impro, quand je provoquais des rires, ça me procurait beaucoup de bonheur. Je regardais évidemment beaucoup de one-man-show : Gad Elmaleh, Muriel Robin… Donc l’écriture était dans un coin de ma tête. Un jour, j’ai fait un stage de one-man-show à Paris, le prof m’a demandé d’écrire quelque chose, et là : le vertige.

“De quoi je vais parler ?!” J’étais en plein bouleversement personnel, je vivais mon coming out, je découvrais le féminisme… et finalement, c’est de ça que j’avais envie de parler. J’y suis allée à fond et ça m’a aidée à m’affirmer en tant que lesbienne, en tant que femme noire.

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De quoi parlait ton premier sketch quand tu t’es lancée dans le stand-up en 2017 ?

C’était sur mes cheveux et le fait de les porter au naturel, en afro. À l’époque, je participais à l’organisation de soirées, les Selfish [des scènes ouvertes réservées aux femmes, et aux personnes trans et non-binaires, ndlr]. Je découvrais l’intersectionnalité et j’avais envie d’écrire sur ce que c’était d’être à la fois une femme noire et lesbienne.

Quand j’ai commencé à sortir avec des meufs, à les embrasser, à leur tenir la main dans la rue, je ne pensais pas que l’homophobie était aussi violente. J’avais jamais vraiment vécu de remarques racistes aussi frontales, mais là, je me suis rendu compte qu’il y a des gens qui peuvent venir te cracher dessus juste parce que t’es avec ta meuf.

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En fait, ton coming out et tes débuts sur scène, c’était au même moment…

Les deux sont complètement liés ! J’ai des gens de ma famille qui ont appris que j’étais lesbienne en voyant mes sketchs. J’ai quitté l’impro en partie aussi parce qu’il y avait beaucoup de sexisme dans ce milieu, les mecs te coupent la parole et prennent beaucoup de place. Dès qu’il y avait des personnages gays ou lesbiens, c’était hyper cliché. J’étais dans le placard à l’époque, donc j’en parlais pas.

Dans le milieu de l’humour, quand tu as commencé, tu n’avais pas non plus beaucoup d’identifications possibles ?

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La révélation, ça a été Shirley Souagnon. Je me demandais si je n’allais pas me limiter, à un moment, en parlant trop de sujets lesbiens. Est-ce que ça n’allait pas me fermer certaines portes ? Est-ce que ça allait parler à tous les publics ? Et je me souviens avoir vu Shirley en 2018, lors du festival de stand-up Debout Paris, et iel avait un sketch sur le fait que Cristiano Ronaldo était peut-être gay, et tout le monde était hilare. J’ai compris que c’était possible de parler de ça. Shirley a clairement participé à ouvrir la voie pour nous, notamment en créant le Barbès Comedy Club.

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Comment tu gères cette part de doute, justement, quand on te dit que ton humour est “trop niche” ?

Avec Lou Trotignon, on en parle beaucoup. Et ça ne concerne pas seulement les sujets queers. Des meufs qui vont avoir des propos féministes un peu trop radicaux pour certains publics, la question se pose. Avec le Comédie Love ou la Mut Up [des scènes de stand-up queers et féministes, ndlr], des personnes venaient nous voir en disant : “On pensait que le stand-up n’était pas pour nous, et quand on vous voit, on adore !”

“On a créé une bulle”

Tu as lancé le Comédie Love en 2017. C’était quand même gonflé de faire ça à cette époque-là où il n’y avait pas encore d’espaces pour un humour et un public queers.

En fait, c’est aux soirées Selfish que j’ai commencé à faire le plus de blagues queers, et j’avais toujours de super retours. J’ai proposé à une asso de Sciences Po qui organisait la Queer Week de faire une soirée stand-up, la Comédie Queer, et c’était complètement blindé. C’est là où je me suis dit qu’il y avait un truc à faire, les gens sont hyper demandeurs. Après j’ai rencontré Mahaut Drama et Lucie Carbone et on a lancé le Comédie Love et c’était incroyable. On a créé une bulle.

Aujourd’hui, tu es l’une, sinon la comédienne de stand-up queer la plus visible. Comment tu sens les choses dans le milieu de l’humour ? Est-ce qu’il est accueillant ou est-ce qu’il y a des verrous qui refusent encore de sauter ?

Je crois que ça a beaucoup changé. Quand j’ai commencé, un mec qui voulait me mettre en scène m’avait sorti : “Mais tu sais, Tahnee, tu devrais parler d’autres choses, tu n’es pas que lesbienne, tu es drôle aussi.” Aujourd’hui, on m’a étiquetée “humoriste communautaire”. Quand il y a des festivals de comédie, je vais souvent être invitée pour la soirée LGBT. J’ai conscience de ça et au final je m’en fous, je suis fière d’être lesbienne, mais ça m’interroge.

Il y a certains humoristes qui pensent que l’humour est totalement objectif, alors que moi, leur humour ne me parle pas. On s’en parle beaucoup avec Lou et Mahaut : il y a des festivals sur lesquels on n’est jamais invité·e·s alors qu’on remplit des salles depuis deux ans, et les médias s’intéressent à nous… Qu’est-ce qui bloque ? Moi, ce qui me met en colère parfois, c’est que j’ai l’impression qu’on délégitimise mon public. “Ça, c’est un public de lesbienne, c’est pas un public objectif.” On ne se pose pas la question pour les humoristes hétéros.

L’étiquette qui revient souvent, dès qu’on n’est pas un homme blanc hétéro, c’est celle d’un humour “politique”. Parce qu’étant une femme de couleur et lesbienne, ta présence même sur scène est politique…

Il y a des humoristes gays qui n’en font pas autant un sujet politique que moi, j’en ai conscience. À côté du stand-up, je participe à plein d’événements, je vais en manif, je donne de la visibilité à des luttes et des assos. Ce serait mentir que de dire qu’il n’y a pas un peu de militantisme dans ce que je fais, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, pour certains professionnels de l’humour, ça va trop loin.

“Souvent, les blagues naissent de la colère, de la tristesse ou même de la joie”

Pendant ce temps-là, ton spectacle, L’autre, affiche complet. Mais du coup, c’est qui, “l’autre” du titre ?

C’est l’autre Tahnee ! J’avais pris ce titre parce que quand j’étais ado j’étais quelqu’un de très timide, qui ne voulait pas trop prendre de place. Le fait que je parle de moi et de mon intimité sur scène, c’est une autre version de moi. Et ça ramenait aussi à “l’autre”, la femme noire, la lesbienne, celle en dehors des normes de la société.

Le rire, ça peut être une arme, ça peut guérir aussi. Mais comment on continue de faire rire quand on a envie de tout péter ?

Pour écrire, je pars beaucoup de l’émotion : quand un truc me rend triste ou m’énerve, j’ai besoin de le traiter par l’humour. Du coup, souvent, les blagues naissent de la colère, de la tristesse ou même de la joie. Moi, ça m’aide à survivre, à prendre du recul, à mettre de la distance. Dans ma vie, j’ai toujours pris la voie de l’humour.

J’aimerais finir par une question toute bête mais aussi tellement importante : comment ça va, Tahnee ?

En vrai, ça va ! Je trouve qu’on est dans un moment où ça décolle. L’année dernière, on a vécu des trucs de ouf, là ça continue. Le fait que je puisse faire ces dates à l’Européen, c’est trop cool. Donc je suis très heureuse dans mon travail. En dépit de tout ce qui se passe dans l’actu, réussir à continuer à rassembler de plus en plus de personnes autour de nous, autour de nos luttes et nos discours, c’est génial. On le fait dans la joie, le rire, et ça me rend super heureuse. Je suis très fière de mon parcours, et je sais que ça va continuer.

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Vous pouvez retrouver Tahnee à l’Européen, pour les deux dernières dates de L’Autre. Dépêchez-vous, les dernières places partent vite : le 24 mai et le 27 juin. Elle part aussi en tournée dans toute la France.

On pourra aussi la voir, ainsi que Mahaut Drama, Lou Trotignon et plein d’autres, au Pride Comedy Show, le 14 mai, au Théâtre de la Tour Eiffel. Elle est aussi tous les vendredis dans la matinale de Mouv’. On la retrouve également dans des chroniques sur L’Humanité : “Toutes les femmes de Tahnee”.

Et pour suivre toutes ses actus, c’est sur son compte Insta que ça se passe.