Dans Tout ce qui brille, Lila était à dix minutes de Paris et donc à dix minutes de sa vie. Quinze ans plus tard, on se demande à dix minutes de quoi se situe désormais Leïla Bekhti. Car pouvoir tuer de rire ses meilleur.e.s ami.e.s et toute la galerie en direct à la télévision en dégainant sans relâche un peigne jaune géant puis, quelques mois plus tard, décrocher sa cinquième nomination aux Césars pour son rôle de victime de braquage traumatisée dans un film sur la justice restaurative, n’est-ce pas exactement ça avoir réussi sa vie, et a fortiori sa carrière ?
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On a posé la question à la principale intéressée avec qui on s’est entretenu à l’occasion de la sortie de La Nouvelle Femme de Léa Todorov :
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“Merci de le souligner parce que c’est exactement ce qui me fait aimer profondément mon métier. D’ailleurs j’ai toujours mon grand peigne jaune dans ma salle de bains. Mais c’est aussi le propre de notre métier de savoir faire ce genre de grand écart et moi, c’est ce qui m’excite car en tant que spectatrice, j’ai envie de rire aux larmes puis de pleurer toutes les larmes de mon corps.”
C’est finalement son amie Adèle Exarchopoulos qui décrochera le César de la meilleure actrice dans un rôle secondaire pour son interprétation habitée de Chloé, victime de viol par son frère dans Je verrai toujours vos visages. Mais, de son côté, Leïla Bekhti recevra une autre forme de consécration sous la forme d’un texto de remerciement de la part de la personne dont est inspiré le personnage de Nawelle et dont elle parvenait à nous faire ressentir, à travers l’écran, le poids physique du douloureux traumatisme.
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Dans le film de Jeanne Herry, elle était une nouvelle femme puissante, de celles qui, malgré l’émotion, osent parler, crier et se rebeller. Nawelle venait ainsi compléter la galerie de personnages féminins impétueux que l’actrice a souvent incarnés à l’écran et qui, au fil des années, se sont diversifiés et nuancés.
“Je pense qu’avant, on me proposait des personnages qui me ressemblaient et, quand je les travaillais, je me demandais ce que moi j’aurais fait à leur place. J’essayais de me fondre et c’est moi qui allais vers le personnage. Aujourd’hui, je cherche l’instinct du personnage car on s’en fout de mon instinct à moi.”
Pourtant, lors de son tout premier casting, on lui demandera de jouer une grande timide. “Ça a marché parce que j’étais véritablement mortifiée et ils ont dû me prendre un peu pour Gena Rowlands.” C’étaient des essais pour Sheitan, le thriller semi-horrifique de Kim Chapiron, où elle se rendra munie d’un book constitué uniquement de photos d’identité en noir et blanc après des années à avoir religieusement épluché le magazine Casting sans jamais avoir osé franchir le pas.
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Rarement elle rejouera les timides, plus jamais elle ne se frottera au genre de l’horreur. On l’imaginerait pourtant bien en nouvelle scream queen à la française depuis ses performances vocales et la menaçante intensité qu’elle a su déployer dans La Flamme. Mais elle se construira à la place une filmographie éclectique, celle des films qu’elle aimerait voir, avec une attention toute particulière portée aux premiers longs-métrages, ceux de Kim Chapiron, Géraldine Nakache, Roschdy Zem, Nora Hamdi, Gilles Lellouche, Kheiron ou Douglas Attal et aujourd’hui celui de Léa Todorov.
Dans La Nouvelle femme, le biopic sur Maria Montessori, inventrice de la pédagogie du même nom, elle incarne Lili, une cocotte parisienne au faîte de sa gloire qui fuit Paris pour cacher sa fille porteuse d’un handicap mental. “Ce personnage a convoqué des choses qui me sont étrangères, comme le rejet, surtout quand il s’agit d’un enfant”, nous raconte Leïla Bekhti qui vient tout juste de donner naissance à son quatrième enfant.
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Mais le film résonne aussi avec des souvenirs plus lointains puisque, vingt ans auparavant, dans le cadre de son cursus éclair en fac de médiation culturelle, Leïla Bekhti pas encore actrice effectuait un stage dans un centre pour personnes porteuses de handicap avant de s’en faire gentiment remercier car trop empathique pour en supporter la difficulté. Elle pleurait souvent et n’aidait donc pas beaucoup.
“Je n’avais pas conscience qu’il fallait d’abord faire un gros travail sur soi avant d’être en capacité d’aider les autres. Moi je ressentais juste une sorte de douleur profonde. En revanche, sur le tournage de La Nouvelle Femme, c’était assez joyeux. J’ai créé une vraie relation avec Raphaëlle qui joue ma fille, c’était primordial, encore plus avec elle. Pour pouvoir jouer le rejet et la violence, il fallait qu’il y ait un vrai lien. Sur le plateau, je lui rappelais en permanence que c’était Lili qui lui parlait et pas Leïla.”
C’est à la veille de son quarantième anniversaire que l’on s’est entretenu avec l’actrice et, à l’heure où l’on écrit ces lignes, aucune photo compromettante — dont elle nous régale régulièrement sur Instagram — n’a été publiée sur les réseaux sociaux de ses amis du cinéma. Car dans sa vie privée, Leïla Bekhti est entourée de la bande de potes la plus cool du cinéma français, qu’elle célèbre autant qu’elle vanne, mais surtout sur qui elle sait s’appuyer pour de précieux conseils.
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“Personne dans mon entourage ne va me conseiller de rester les pieds sur terre car je le sais. En revanche, je me souviens que Tahar [Rahim] m’avait très bien orientée pour jouer mon personnage dans Les Intranquilles. Jonathan [Cohen] est aussi quelqu’un de très important dans mes choix. Étonnamment, lui et Tahar ont des approches assez similaires du cinéma et des rôles.”
Avec plus de trente films au compteur, quatre nominations aux Césars, une statuette remportée, des projets de réalisation, une fausse téléréalité et des “Wop bop a loo bop” devenus viraux, que reste-t-il sur sa to-do list de vie ? “J’ai une passion pour les listes”, admet-elle, preuve à l’appui, en déroulant sur son téléphone celle, infinie, de mère de quatre enfants en bas âge.
“Mais, étrangement, les listes de vie, je me force à ne pas en faire donc si j’en avais une, je pense qu’il y aurait un seul tiret et simplement écrit ‘continuer’…”