Réunis sur Daytona, Pusha T et Kanye West font des merveilles

Publié le par Jérémie Léger,

Pusha T / Twitter

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Les légendes hip-hop Nas et Diddy qualifiaient Daytona, le nouvel album de Pusha T, de classique même avant sa sortie le 25 mai dernier. Une déclaration qui aurait dû retenir l’attention, mais tout le monde ne parle que du clash opposant Pusha T et Drake. Ce serait donc injuste de ne pas s’attarder un peu plus sur ce disque (que dis-je, cette œuvre).

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Sans plus attendre, rendons hommage à ce beau projet prêt à marquer le rap de son empreinte. Petite remise en contexte : le 19 avril dernier, Kanye West secouait Twitter en annonçant quasi simultanément toutes les sorties à venir des artistes de son label GOOD Music, en plus de quelques surprises.

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Ainsi, sur quatre semaines consécutives, nous aurons droit aux retours successifs de Pusha T, Kanye West, Kid Cudi, Nas et Teyana Taylor. C’était écrit, le premier nom de cette cuvée historique serait donc le patron de GOOD Music. Pusha T a ouvert le bal avec son troisième album studio, Daytona.

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Quoi ?! Daytona ? Non, mais attendez, n’était-ce pas King Push qui était prévu à la base, et ce depuis trois ans ? Absolument, mais Yeezus, dans sa folie spontanée, en a décidé autrement.

Kanye West le clairvoyant

On peut traiter Kanye West de fou à lier, mais son génie artistique est indéniable. Il l’avait annoncé sur Twitter : il serait aux manettes de l’intégralité des projets annoncés, de la direction artistique à la production. Et sa ligne est claire : tous ces disques contiendront sept titres, pas plus, pas moins. Sept étant le chiffre de Dieu, de l’absolu, de la chance ou encore de l’achèvement et de la totalité.

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Le choix peut paraître surprenant quand on sait que de plus en plus de rappeurs optent aujourd’hui pour des projets longs (on pense à Culture II de Migos et ses 24 titres, 27 pour le dernier triple album de Rae Sremmurd ou encore 57 pour le dernier opus de Chris Brown, Heartbreak on a Full Moon). Le rappeur de Chicago préfère opter pour une formule concise, scindée et épurée.

Il s’agit, d’une part, de prouver que l’on peut réussir à faire tenir tout un propos en sept titres afin d’éviter les longueurs et, d’autre part, de proposer un projet cohérent, de manière à ce qu’aucun morceau ne surclasse les autres. Pour Pusha T, ça fonctionne. Daytona ne dure que 21 minutes mais l’immersion est intense, tous les morceaux sont à leur place et on ne décroche à aucun moment.

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Là où c’est fort, c’est que la plupart des sons retenus ont été enregistrés pendant les sessions studio de King Push, soit dans un intervalle de six mois à trois ans. Or, depuis le début de la promotion de l’opus, tout est fait pour nous laisser penser qu’il a été conçu dans l’urgence.

Pour rappel, l’album n’avait pas de pochette la veille de sa sortie, et sa tracklist finale avait été dévoilée quelques heures plus tôt. Une organisation cataclysmique, un peu comme Kanye West quand il présentait deux ans plus tôt son album The Life of Pablo. En d’autres termes, “Kanye, seal of quality”.

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Musicalement, le travail de prod est somptueux. Yeezy fait mentir ceux qui disent qu’il s’est perdu. Dès les premières notes, on reconnaît sa touche d’antan et cette immuable volonté d’être hors du temps : sample de soul, transitions inattendues, notes de piano luxueuses, sonorités décousues et minimalistes… Qui d’autre que Kanye West est capable de faire du Kanye West ?

Mais le plus important ici, c’est que les instrus 100 % Kanye subliment parfaitement l’univers à la fois agressif, luxueux et illicite de Pusha T. Comme dans les grands disques de l’histoire du rap, on retrouve la symbiose MC/beatmaker, à l’image de DJ Premier et Nas en 1994 sur Illmatic ou Jay-Z et No I.D sur 4:44 plus récemment.

Mention spéciale au couplet de Rick Ross, majestueux. Au point qu’à défaut d’un album commun entre le boss de Maybach Music et ses beatmakers de longue date, J.U.S.T.I.C.E League, on est en droit de se dire qu’un album de Rozay produit par Kanye West serait fantastique.

Pusha T, un dealer authentique

Si Kanye West réussit à s’intégrer parfaitement dans le mood de son acolyte, la réciproque se vérifie aussi. Ils travaillent l’un pour l’autre. Le rap tranchant du MC colle parfaitement aux notes du producteur. Bien sûr, leur alchimie n’est plus à prouver depuis leur single “Runaway”.

Dans le propos, Pusha T ne s’égare jamais. D’emblée, il nous transporte dans le monde froid et glauque des dealers de drogues. La surprenante pochette de l’album représente d’ailleurs la salle de bains de Whitney Houston alors qu’elle était au paroxysme de ses addictions.

D’un flow tranchant et avec d’habiles métaphores, le rappeur parle de drogues, de célébrité, de traversée du désert et de luxe. Les sujets de prédilections de l’artiste de Virginie né dans le Bronx, mais aussi et surtout son quotidien, sont évoqués.

Pusha T, moitié du duo Clipse, est authentique. “Believe in myself and the Coles and Kendricks“, rappe-t-il dans le morceau “Infrared”. Le MC se place parmi les plus éminents paroliers contemporains avec Kendrick Lamar et J. Cole qui, comme lui, ont choisi de redonner ses lettres de noblesse aux textes de rap.

Il n’oublie pas non plus de saluer l’héritage et la mémoire des vétérans, et en est venu à clasher Drake, Lil Wayne et Birdman, des artistes qui, pour lui, dénaturent le rap. Le rappeur de Toronto n’a d’ailleurs pas vraiment apprécié et n’a pas tardé à lui balancer une réponse cinglante. Mais “Duppy Freestyle” n’était rien comparé à la contre-attaque ultra-violente de Pusha T qui a suivi.

Kanye West a profité de cet album pour faire son come-back musical. Dans le morceau “What Would Meek Do ?” (en référence à Meek Mill), il évoque son état d’esprit actuel et répond à ses détracteurs. Il s’offre même un clin d’œil à son morceau”Lift Yourself”, dans lequel il se contente d’un bref “couplet” et d’un “Poopy-di scoop Scoop-diddy-whoop Whoop-di-scoop-di-poop”… Magique et tellement arrogant. Bref, du Kanye comme on l’aime.

Kanye prouve avec ce disque qu’il n’a ni perdu la tête, ni la main. Au-delà de son impact individuel, Daytona s’avère surtout être un excellent tremplin pour l’album solo du rappeur à venir, mais aussi pour tous les projets qui suivront. De quoi alimenter la hype autour du mois de juin 2018, que Yeezus annonce déjà comme historique pour GOOD Music. Et pour le hip-hop.