Cheffe de file de la scène underground de Manille, cette artiste indépendante expose une musique à la fois introspective et onirique, qui participe au renouvellement et à l’expansion du R’n’B. À l’occasion de la sortie de sa première mixtape JCON, parue ce 24 août, elle revient pour Konbini sur ses inspirations, ses rêves et son parcours, qu’elle a choisi de mener loin des ondes mainstream des Philippines.
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Aux Philippines, où elle s’installe avec ses parents à l’âge de 13 ans, la musique de Jess Connelly paraît faire figure d’exception. Et pour cause, dans un pays où l’industrie musicale a pour tradition de valoriser des pop stars façonnées de toutes pièces, la jeune femme propose une voie nouvelle, loin des standards exposés dans les médias : celle d’un R’n’B intime et indépendant, qui emprunte parfois à l’électronique et au hip-hop, et tranche résolument avec les hits passés sur les ondes mainstream locales.
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Du haut de ses 26 ans, Jess Connelly, dont le nom commence à s’imposer sur la scène locale depuis 2015 grâce au titre “Wait”, a peu à peu trouvé sa place dans un univers musical underground en pleine ébullition. Introspective, sa musique est aussi bien inspirée par les voix iconiques d’Aaliyah et Mariah Carey, que par les contes de fées populaires de son pays, donnant vie à des sonorités aussi sensuelles qu’inédites. La preuve avec JCON, sa toute première mixtape, parue le 24 août dernier.
Porté par l’envoûtant “Turn Me Down”, ce projet de 13 morceaux nous immerge dans un monde onirique et enivrant, où nous sont relatées des histoires d’amour tantôt passionnelles, tantôt douloureuses, des thèmes chers à l’histoire du R’n’B. Influencée par l’ère des années 1990, comme en témoigne le titre “Don’t Play” rendant hommage au fameux “Pony” de Genuwine, JCON nous convie à un voyage à travers les époques, guidé par la voix aérienne et intemporelle de son interprète. Rencontre avec le nouveau visage prometteur du R’n’B philippin.
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“Ma mère est philippine, ce qui signifie que j’ai grandi à proximité d’un karaoké”
Konbini | Tu vis aux Philippines depuis l’âge de 13 ans, mais tu es née et as passé une partie de ta jeunesse en Australie. Avec quel genre de musique as-tu grandi ?
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Jess Connelly | J’écoutais énormément de R’n’B, de hip-hop et de rap, et ce malgré le fait que la musique urbaine n’était pas vraiment populaire en Australie quand j’étais enfant. En fait, je me suis naturellement tournée vers ce que mes grands frères et sœurs écoutaient : 2Pac, Biggie, Aaliyah, Ja Rule, Mariah Carey, Boyz II Men… Tous ces grands artistes qui ont marqué les années 1990 et 2000.
Est-ce qu’il y a des artistes qui t’ont vraiment marquée, et peut-être amenée à te tourner vers la musique ?
Écoute, quand j’étais petite, je me suis vraiment amourachée de Britney Spears et des *NSYNC, et donc, par extension, de l’idée de devenir une pop star. Je collectionnais leurs concerts en DVD, et tous les documentaires qui pouvaient leur être dédiés. J’essayais de mémoriser tous les pas de danse de leurs concerts pour refaire leurs chorégraphies chez moi, comme si je faisais partie de la performance [rires] ! Manifestement, mes influences ont un peu évolué avec le temps… Mais oui, j’ai toujours eu envie de devenir artiste, depuis toute petite.
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Du coup, quand as-tu commencé à réellement t’intéresser au chant et à la musique ?
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours chanté. Ma mère est philippine, ce qui signifie que j’ai grandi à proximité d’un karaoké [rires]. Et mon père [d’origine irlandaise, ndlr] adore chanter, donc dès qu’il y avait une cérémonie, on ne pouvait s’empêcher de chanter tous les deux.
Mais j’ai commencé à écrire et à enregistrer mes propres morceaux à l’âge de 12 ans. À l’époque, j’habitais encore en Australie, et ma mère me conduisait tous les week-ends à Sydney pour me permettre d’assister à des cours de chants, de répéter en studio… Elle n’y connaît vraiment pas grand-chose à la musique, mais elle m’a emmenée voir tous les gens impliqués dans la musique qu’elle connaissait, parce qu’elle savait que j’avais besoin d’être exposée à cet environnement-là, dans le but d’apprendre et de comprendre ce que cela signifie de devenir une artiste.
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“Chaque morceau de cette mixtape reflète une part différente de ma personnalité”
En 2015, tu commences à faire parler de toi avec le morceau “Wait”, extrait de ton EP How I Love. Quelle est l’histoire de ce titre ?
Honnêtement, ce fut le morceau le plus rapide à écrire de mon EP, et ce fut aussi celui qui a connu le plus de succès, ce à quoi je ne m’attendais pas du tout. Le jour où je l’ai écrit, le trafic était atroce (comme souvent à Manille), mais je devais me dépêcher car c’était le jour où je devais boucler le projet. Une fois arrivée au studio, on a discuté un moment avec crwn, le producteur, et bizarrement, j’arrivais à me sentir connectée à exactement tout ce qu’il me racontait.
C’est cet échange qui a inspiré “Wait”. J’ai transformé notre discussion en une histoire qui parlait du fait de se sentir sous-estimé en amour, sans vraiment réfléchir à la finalité, au succès que pourrait avoir ce morceau. Ce qui prouve que tu ne peux jamais prévoir la façon dont un morceau va être reçu à sa sortie.
Comment décrirais-tu la musique que tu façonnes aujourd’hui avec JCON ?
J’ai un rapport assez expérimental avec la musique. J’aime travailler et créer en fonction de ce que je ressens, et explorer les sons qui me paraissent les plus pertinents, sans forcément penser au genre qu’ils incarnent. Pour JCON, j’ai eu l’opportunité de travailler avec des producteurs incroyables, aussi bien basés aux Philippines qu’à l’étranger, ce qui était assez nouveau car jusque-là, je travaillais uniquement avec mes amis, chez moi…
Du coup, la musique que je propose aujourd’hui est assez nouvelle comparée à celle que j’ai pu faire par passé, avec des projets comme How I Love. Disons qu’elle est plus chill, et fondamentalement inspirée par la soul et le R’n’B. Chaque morceau de cette mixtape reflète une part différente de ma personnalité.
Pourquoi as-tu choisi d’intituler cette mixtape JCON ?
“Jcon”, c’est mon surnom, celui qu’on m’a collé quand j’étais petite. Intituler la mixtape ainsi, c’est une façon de dire : “Je vous invite à me connaître.” J’ai le sentiment que les gens qui me suivent depuis mon premier projet se font une idée de ma personne qui n’est pas tout à fait exacte… J’ai grandi et j’ai changé, je vais continuer à évoluer, et cette mixtape propose un son plus mature.
Avec le recul, j’ai l’impression que j’ai un peu précipité mon dernier projet, How I Love, dans le but de le finir à temps et de sortir quelque chose dans les plus brefs délais. Cette fois, j’ai pris le temps pour non seulement apprécier le processus créatif, en profiter au maximum, mais également expérimenter différents styles de sonorités et d’écriture.
En parlant d’écriture, qu’est-ce qui t’inspire pour tes paroles ? Et qu’as-tu souhaité raconter à travers JCON ?
L’amour a toujours inspiré ma musique, qu’il soit positif ou négatif. J’ai déjà essayé de ne pas écrire sur cette thématique, mais… c’était impossible ! Du coup, j’ai accepté le fait que j’aime absolument tout de l’amour [rires]. Quant à la mixtape, elle immortalise différents moments de mon année passée, à travers des sons et des vibes assez différents les uns des autres.
“Une scène underground faite d’esprits créatifs qui se sont construit loin des standards imposés par notre société”
Dans un entretien accordé à HypeBae, tu parlais de la scène underground de Manille comme d’un “trésor caché”. Pourrais-tu me parler un peu plus en détail de cette scène, dont tu fais irrémédiablement partie ?
À mes yeux, elle est à la fois rafraîchissante et excitante, parce que tu ne t’attends pas à trouver une telle scène à Manille. Si tu regardes de façon superficielle, tu vois une scène saturée par un divertissement manufacturé, des influenceurs dans tous les sens et des concepts étrangers recyclés servis par des médias mainstream et notre gouvernement.
Mais si tu creuses un peu, alors tu découvres une scène underground faite d’esprits créatifs, qu’ils soient DJs, producteurs, artistes, designers ou même chefs, qui se sont construit loin des standards imposés par notre société. D’ailleurs, je vous conseille vivement d’aller jeter un œil au travail du musicien RH Xanders et du designer Carl Jan Cruz. Deux de mes favoris !
Finalement, te sens-tu influencée par la culture philippine… ?
Je pense sincèrement que je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui si je n’étais pas venue ici à mes 13 ans. Cela fait maintenant huit ans que j’habite pour de bon ici (grâce à mes parents qui en avaient marre de me voir glander au lieu de me lancer dans la musique à la fin du lycée et m’ont donc acheté un aller simple pour Manille !), et je ne changerais cela pour rien au monde.
En plus de me sentir réellement influencée par la tonne de talent et de créativité qu’on peut trouver à Manille, je suis très inspirée par les contes de fées ultra-romantiques dont regorge la culture philippine. Les idéaux d’amour old school sont ancrés dans cette culture. Le divorce y est d’ailleurs illégal, et quasiment toutes les émissions ou téléfilms sont basés sur des histoires d’amour qui finissent bien. Ce sont des idéaux quelque peu extrêmes, je le concède, mais j’apprécie le fait que l’amour soit mis sur un piédestal, contrairement à certaines autres parties du monde, où le romantisme semble parfois mort et enterré.
Tu as récemment été exposée par plusieurs médias, notamment américains. As-tu l’impression de devoir représenter et incarner la scène underground de Manille à l’étranger ?
Ce serait mentir que de dire que j’incarne à moi toute seule la scène musicale underground de Manille : il y a tellement d’artistes différents, qui donnent vie à des genres musicaux incroyables ! Mais c’est important pour moi de mettre en lumière des artistes locaux que j’aime et admire, oui. Je le fais dès que j’en ai l’occasion.
Je suis ravie si mon exposition permet à des médias étrangers de parler de nouveaux talents philippins ; mais j’espère aussi que les gens aux Philippines se rendront compte que des gens de leur propre pays produisent de la musique de qualité. En toute honnêteté, c’est assez difficile de se faire connaître ici sans devoir passer par la case “faire un son ultra mainstream et gagner une tonne de fric”. J’espère donc que nous pourrons être reconnus des deux façons, localement et internationalement.