Interview : Jeanne Added, magnétique et inclassable

Publié le par Marie Jaso,

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Tu as l’impression de te connaître mieux ?
Oui. Plus on avance en âge, plus on fait connaissance avec soi. Pour ma part, ce processus a été assez brutal… Pendant la préparation de mon premier album, je me suis forcée à me regarder en face. Je n’avais pas d’autre choix : pour écrire des chansons personnelles, je devais m’identifier. Je savais que si je continuais à me cacher, le reste du monde aurait continuer à m’échapper. C’était nécessaire pour avancer.
Après, j’ai été en capacité de me violenter parce que j’avais les épaules pour. J’étais assez forte à ce moment-là pour encaisser ce que je me suis infligé, parce que je m’en voulais de rester passive. Mais apprendre à se connaître prend du temps, chacun doit le faire à son rythme. Ça secoue, donc il faut être prêt. Et puis on s’en met déjà tellement plein la gueule, particulièrement quand on est dans le flou… C’est cool d’être sympa avec soi-même de temps en temps. Promis, ça va aller (rires). Et surtout, ça vaut le coup.
Est-ce que tu vois le fait d’avoir connu le succès un tout petit peu plus tard [Jeanne avait 34 ans à la sortie de Be Sensational, ndlr] comme une bénédiction ? Celle d’être assez mature pour assumer tes choix dans l’industrie ?
Je pense surtout que ça n’aurait pas pu arriver avant. Aujourd’hui, je porte une grande confiance dans le temps : les choses arrivent quand on est prêt. À différents moments pour chacun, puisqu’on est tous différents… Mais si c’est plus tard que d’autres, ce n’est pas grave. C’est même tant mieux.
C’est l’industrie qui n’était pas prête à accueillir ta musique, ou toi qui n’étais pas prête à la créer ?
Je n’ai pas d’explication. Personnellement, je n’aurais pas pu le porter avant parce que je n’étais pas encore prête à me rencontrer moi-même. J’aurais été incapable de sortir un truc assez sincère pour que ça résonne un peu. Quant à l’industrie, j’ai tendance à penser que c’est elle qui s’adapte. Et au-delà de l’industrie, le monde en général : ce sont les choses qui évoluent autour de nous, pas l’inverse. Dans cette idée, il est donc important d’être lucide sur ce qu’on est et ce qu’on veut. Le reste suivra.
Après, ça ne veut pas dire que l’industrie n’est pas normalisante et que le système n’est pas super violent. Il y a de moins en moins de place pour les choses à la marge, comme dans tous les coins de la société… Et pour enfoncer les portes, il faut avoir les épaules assez larges.

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“On se rend seulement compte de la violence – physique comme psychique – que cause la norme de la sexualité”

“J’estime pouvoir faire l’effort de trouver l’endroit musical auquel j’appartiens en fonction de l’endroit duquel je viens”

Parmi tes goûts musicaux très éclectiques, tu saurais reconnaître un premier amour ?
La funk et le R’n’B, ça me fait danser quoi qu’il arrive. Pour moi, c’est irrésistible… Mais il faut que ce soit bien hein ! [Rires]. J’aime surtout les classiques : Prince, Missy Elliott, Justin Timberlake… La musique afro-américaine et tous ses développements, du jazz jusqu’aux albums de Kanye West. Life Of Pablo par exemple, c’est fantastique : ça te retourne et ça te déconstruit.

C’est assez étonnant que tu cites le R’n’B, parce que tu n’aimes pas trop l’utilisation des vibes…
Je n’aime pas les vibes quand je sens que le chanteur ne peut pas faire autrement, ou que c’est devenu une habitude. Pour Beyoncé par exemple, on sait qu’elle sera toujours aussi puissante sans les effets de voix. Whitney Houston et Aretha Franklin l’ont inventé, donc elles ont tous les droits. Ça dépend juste de qui s’en sert au final…

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Si le R’n’B est la musique qui te porte le plus, pourquoi t’être tournée vers la pop/électro ?

D’abord parce que j’aime ça. Quand j’écris de la musique, j’essaie qu’elle me fasse du bien à moi d’abord. Il se trouve que ça s’est retranscrit en pop, ce qui n’est pas illogique parce que j’aime chanter et danser. L’influence électro, c’est venu quand j’ai commencé à sortir et identifier en soirée les artistes qui me touchaient et m’inspiraient : Schwefelgelb, Paula Temple, Boy Harsher, Tzusing… Je ne suis pas pointue, mais je m’intéresse, je décortique, j’apprends.

Ensuite – et c’est une question que je me posais déjà avec le jazz – probablement parce que le R’n’B est une musique afro-américaine. C’est ma culture parce que c’est ce que j’aime, mais ce n’est pas ma culture.
Tu verrais ça comme de l’appropriation culturelle ?
Disons que j’estime pouvoir faire l’effort de trouver l’endroit musical auquel j’appartiens en fonction de l’endroit duquel je viens, tout en faisant une musique qui me plaît. J’adore Justin Timberlake et il fait ce qu’il veut ! [Rires]. Mais si ma musique sonnait comme celle de la communauté afro-américaine aujourd’hui, ça n’aurait aucun sens. Je ne me sentirais pas légitime. C’est un peu l’idée derrière la chanson “Both Sides” : être consciente de mon privilège et savoir rester à ma place.

Mais l’électro, c’est une musique afro-américaine aussi à la base !
C’est vrai ! Après, la musique interagit partout : Duke Ellington était très influencé par Ravel et Debussy par exemple. Personne n’est dans une cage de verre, on s’inspire tous les uns les autres et c’est une bonne chose, tant que ça reste sincère et personnel.
Radiate, le deuxième album de Jeanne Added, est sorti le 14 septembre dernier. La chanteuse sera en concert au Trianon (complet), le 3 avril 2019 au Zénith de Paris et en tournée dans toute la France.