Houda Benyamina, réalisatrice de Divines : “les prix te permettent d’être libre”

Publié le par Charles Carrot,

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Avant la sortie du film, le mercredi 31 août, on a eu l’honneur de discuter avec la réalisatrice de Divines, un premier long métrage couronné à Cannes et sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs.

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Quelques mois après son impact remarquable sur le public et les jurés du 69e Festival de Cannes, où le premier long métrage de Houda Benyamina a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs pour mieux rafler la Caméra d’or pour sa mise en scène virtuose, Divines débarque enfin en salles le 31 août. Konbini a beaucoup aimé le film : multipliant les scènes mémorables, croisant intelligemment ses thématiques, c’est à la fois une histoire d’amitié qui fait vrai et une vertigineuse fuite en avant, portée par un casting toujours dans le ton.

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Après une interview avec les trois actrices principales du film, on a pu discuter un moment avec Houda Benyamina, qui nous a parlé de ses influences et de son parcours. Au programme : l’idée de base de Divines, ses projets futurs, les meilleurs longs métrages qui ont la banlieue française pour décor, Leonardo DiCaprio dans The Revenant, et le cosmos.

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Konbini | Comment t’es venue l’idée de base de Divines ? Et comment a-t-elle évolué au fil du temps ?

Houda Benyamina | Alors… À la base j’avais un autre projet, mais il était beaucoup trop gros pour un premier film. En parallèle, je me suis toujours posé beaucoup de questions sur les émeutes de 2005 : pourquoi il y avait eu cette colère, et pourquoi il n’y avait pas eu de verbes derrière. À l’époque j’ai vécu les choses de l’intérieur, j’ai même failli descendre et brûler des poubelles… Mais bon voilà, j’étais un peu plus âgée que les gamins qui étaient là-bas, qui avaient 16 ou 17 ans, et puis moi j’avais le cinéma, donc j’arrivais à canaliser mon émotion.

Cela dit ce n’était pas l’envie qui manquait, et je me suis toujours demandé pourquoi ce cri de colère était resté sans écho. Aucune intelligentsia n’en est sortie, on n’a pas eu notre Malcolm X…
À côté de ça, je suis tombée sur un documentaire avec deux filles qui dansaient le coupé-décalé dans une cellule pendant une garde à vue. J’ai vu ces deux gamines et je me suis dit que ça aurait pu être moi, et ça m’a inspiré une histoire sur cette jeunesse, sur tout cela.

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De quoi parle le “gros projet” que tu as mis de côté pour Divines ? Est-ce que ce sera ton prochain long-métrage ?

Oui, tout à fait. C’est une grande histoire d’amour sur fond politique.

Pourquoi tu trouvais que c’était trop “gros” pour un premier film ?

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Oh, tu sais… Parfois il faut savoir rester humble, hein. Divines est un plus “petit” film à côté. Pas dans le propos, mais dans la manière de filmer, alors que mon prochain projet sera un peu un film d’époque, avec des scènes pendant la guerre… Il aura une ampleur plus large. Pour le dire autrement, Divines est un film plus “simple”, moins complexe, il a moins de budget. On l’a fait à 2 millions d’euros, alors que je pense qu’on aura besoin de davantage pour le prochain, et un budget, ce n’est pas rien à gérer.

Est-ce que ça prouve quelque chose, le fait que l’on puisse remporter la Caméra d’or à Cannes avec un film à 2 millions d’euros ? Est-ce que c’est la victoire des idées sur l’esbroufe technique ?

On avait quand même une grande ambition en termes de cinématographie ! Je dis que c’est une film à 2 millions, mais en production value, on était plutôt à 5 millions ! Parce qu’on était avec une équipe de dingue, on travaillait avec des gens qui ont beaucoup donné de leur personne, mes techniciens, les collaborateurs artistiques…

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Et puis oui, on avait une vraie ambition en termes de mise en scène : ce n’est pas de la caméra à l’épaule dans un décor unique, il y a du feu, des scènes d’action… On avait de tout, des cascades physiques, des cascades pyrotechniques, des cascades de voltige…

Tu n’as pas eu des difficultés à financer toutes ces scènes justement, avec cette variété dans l’action ?

Ce n’était pas facile pour mon producteur, parce qu’on lui a beaucoup reproché que c’était un “énième film de banlieue” — alors qu’un “énième film parisien” ne dérange personne. Il a fallu qu’on se batte, on a été en guerre avec les financiers pour leur prouver qu’il s’agissait avant tout d’une grande histoire d’amitié. Parce que dès qu’ils voyaient les scènes de deal, le shit, tout ça, pour eux c’était stéréotypé. Ils n’avaient pas la vision globale de ce qu’on essayait de faire.

En parlant de cela, qu’est-ce que tu penses de la représentation de la banlieue comme décor dans d’autres films ? Divines est parfois comparé à Bandes de filles de Céline Sciamma…

Je ne l’ai pas vu… Mais je peux te parler de films que j’adore. Tu as des mecs comme Bertrand Blier, qui a réalisé Un, deux, trois, soleil [sorti en 1993] : c’est juste ouf la manière dont il utilise les cités. Si tu ne l’as pas vu, il faut vraiment que tu le regardes, il dégage une poésie de dingue, une audace…

J’adore aussi Le Thé au harem d’Archimède [de Medhi Charef, sorti en 1985], et j’aime beaucoup Les Valseuses [de Bertrand Blier toujours, avec Gérard Depardieu, sorti en 1974]. C’est un film qui a ses deux gars issus d’une classe très populaire — or j’ai plutôt fait un film sur les pauvres que sur la banlieue.

Tu ne trouves pas Les Valseuses, dans lequel les personnages de Gérard Depardieu et Patrick Dewaere utilisent les femmes selon leur bon plaisir, affreusement sexiste ?

Nan, moi je ne trouve pas ! C’est une certaine époque, Bertrand Blier a été témoin d’une manière de faire, de l’instrumentalisation de la femme — c’est pour ça qu’il y a cette scène incroyable où les personnages vont téter le sein de la nana [Jeanne Moreau, ndlr]. Je ne pense pas que Blier était misogyne. Et quand bien même il l’était, son film est un chef-d’œuvre. Il raconte tellement de choses sur l’homme… Parfois c’est bien de ne pas être “poli”. Oui, il y avait une forme de machisme, de sexisme, d’instrumentalisation de la femme, mais il s’amuse de ces personnages-là.

En tout cas je trouve que ce sont des grands films de banlieue. Ah, et Mélodie en sous-sol [de Henry Verneuil avec Jean Gabin et Alain Delon, sorti en 1963], ça c’est l’un des premiers film de banlieue.

Je trouve marrant que tu aies cette tendresse pour Les Valseuses alors que Divines est clairement un film féministe, écrit pour mettre en avant ses personnages féminins avant tout, et qui opère un joli renversement des codes… Symboliquement, c’est comme cela que l’on perçoit la phrase “t’as du clito”, par exemple.

Oui, c’est très juste. Après, je n’ai pas essayé d’être “contre” quelque chose : j’ai simplement voulu témoigner de mon ressenti. Par exemple, quand j’étais dans un travail de prospection, de recherche sur le film, je suis allée voir les dealers en bas de chez moi que je connaissais, mais je suis aussi allée voir dans d’autres cités. Et je suis tombée sur une vraie gamine qui était dealeuse, je me suis dit que c’était intéressant…

Divines, c’est vraiment un film qui se veut en phase avec le réel. Qui n’est pas fantasmé. Bien sûr j’ai écrit un scénario, c’est une histoire romanesque, une tragédie, mais je voulais qu’il soit connecté avec le monde dans lequel on vit.

As-tu vu Dheepan de Jacques Audiard, Palme d’or 2015 à Cannes ? Qu’est-ce que tu as pensé de la manière dont le film représente la banlieue parisienne ?

Ce n’est pas un film qui m’a énervé, si c’est ce que tu veux savoir, mais j’ai trouvé que c’était une histoire un peu “fantasmée” justement, pas forcément ancrée dans la réalité. Et pourquoi pas : on a le droit de le faire. Mais ça ne m’a pas particulièrement touchée.

Comme Divines fait très vrai, tu n’as peur qu’on le croie improvisé alors qu’il est très écrit, qu’il y ait une confusion du public entre tes personnages et leurs interprètes ?

Peut-être mais tu sais, c’est comme quand Isabelle Adjani joue un rôle, tout le monde la prend pour son personnage. Ou Gérard Depardieu quand il joue Cyrano… C’est pareil pour tous les acteurs. En tout cas ce sont de grandes actrices, pour moi elles sont à la hauteur de Robert De Niro, Harvey Keitel, Al Pacino — c’est le même niveau de jeu, il n’y a aucune différence.

Je me demandais aussi pourquoi tu avais choisi un tel titre. Pourquoi Divines ?

Parce que j’avais envie que ce soit quelque chose de lumineux, de positif, de beau. C’était aussi pour faire écho à la thématique du “sacré” qui traverse le film.

Pour revenir à la plus fameuse réplique du film, “t’as du clito”, est-ce que tu t’attendais à ce qu’elle soit autant retenue quand tu l’as écrite ? 

En fait… Oui. Je savais que c’était nouveau, qu’on ne l’avait pas entendue ailleurs. D’ailleurs, avant que le film sorte, je voulais garder aussi longtemps que possible la surprise autour de cette réplique. On a toujours dit “t’as des couilles”…

C’est une phrase que tu avais entendue avant ?

Ah non, je l’ai totalement inventée. Tu vois, moi j’adore les dialogues : “Tu frappes, tu caresses”, “Faut visualiser” [ce sont des répliques du film, ndlr]. Tiens, il y a une réplique souvent retenue qui n’est pas de moi d’ailleurs : “On dirait un Big Mac au milieu du ramadan.” C’est Déborah [Lukumuena, l’interprète de Maimouna] qui l’a inventée.

En tout cas, je savais que “t’as du clito” ça allait interpeler. L’idée c’était que les gens puissent se dire “ah mais ouais, c’est normal” [que cette alternative féminine à “t’as des couilles” existe] et que la phrase soit utilisée couramment. Même au-delà de la France, dans le monde entier.

Quelles étaient tes inspirations cinématographiques pour Divines ?

Il y en a beaucoup. Mean Streets de Martin Scorsese, Il était une fois en Amérique [de Sergio Leone], un peu de Spike Lee pour le côté plus politique… J’aime plein de choses. Je dis toujours que j’ai mes maîtres. Je les admire et je les étudie, je décortique — puis je m’assois dessus, j’oublie ce que j’ai vu et j’essaie de créer de manière organique.

Tu as ces références classiques, que l’on sent dans le film, et en même temps tu as ce générique Snapchat par exemple… Tout le film est traversé par ce genre de paradoxes, dans son utilisation de la musique également.

J’étais vraiment focalisée sur une recherche de la vérité, concentrée sur mes enjeux narratifs et mes thématiques. Or l’une de ces dernières, la plus grande, c’est le sacré. Il fallait que j’incarne ce thème par la musique, et on l’a incarné par la peinture aussi — on a même fait des reconstitutions de tableaux avec ma chef décoratrice.

L’idée du générique Snapchat, ce n’était pas de réaliser quelque chose de nouveau ; c’était dans la même logique. Dès l’écriture, j’ai dit à Romain [Compingt, scénariste du film] qu’il fallait intégrer Snapchat quelque part parce que c’est ce que les jeunes utilisent. Mais je n’avais pas envie de l’intégrer de manière purement informative. Je n’aime pas le gratuit, il faut que les choses aient un sens, qu’elles soient ancrées, motivées, qu’elles participent à la narration. Avec Snapchat, il y a une forme de mise en scène de sa propre vie, dont on s’est inspirés. Il y a donc une forme de mise en abyme, et ce générique sert en même temps à en apprendre beaucoup sur les personnages de Dounia et Maimouna, sur leur amitié.

[Les deux questions suivantes contiennent des SPOILERS sur l’histoire du film]

C’est clairement le dénouement du film qui fait le plus écho aux émeutes de 2005, et il est un peu délicat à interpréter. Est-ce que cette fin n’a pas un petit côté déterministe, est-ce qu’elle n’a pas tendance à dire qu’on ne peut pas échapper à son destin ?

Pas déterministe non, parce que tout ce qui arrive à Dounia, c’est elle qui le met en place depuis le début. Donc elle est vraiment maître de son propre destin. Mais il y a un côté tragique, oui. Dans la tragédie grecque, quand Antigone décide d’enterrer son frère, elle sait qu’elle signe son arrêt de mort. Dounia, à partir du moment où elle met le doigt dans l’engrenage du business de Rebecca, de la drogue, elle sait qu’elle devra faire face aux conséquences de ses actes.

En même temps, ce sont des actes qu’elle voit comme unique échappatoire, comme seule manière de réussir… Comme si ce choix était le seul possible, rationnellement parlant. Je me pose la question du message envoyé par le film : qu’est-ce que Dounia aurait dû faire pour que cela ne se termine pas en tragédie ?

À certains moments du film, Dounia fait les mauvais choix : par exemple, si elle était restée au spectacle auquel Djigui [le danseur dont elle tombe amoureuse] l’avait invitée, le dénouement aurait été différent. Mais il n’y aurait pas vraiment eu de film si elle faisait les bons choix…

Son objectif est beaucoup plus puissant que son réel besoin, qui est d’être aimée et d’aimer. Sauf qu’elle est tellement en prise avec sa colère et son besoin de dignité qu’elle pense que le seul moyen d’obtenir cette dignité, c’est l’argent. Sa colère et sa misère ne lui laissent pas faire les bons choix, mais c’est aussi sa responsabilité à elle.

Quand Divines a été présenté à Cannes, il était tout juste terminé et il restait tout le montage son à faire. Est-ce que tu as eu des contraintes de temps pour finir le film ?

Pas du tout, et d’ailleurs je disais à mon producteur que j’en avais rien à foutre de Cannes. Ce que je voulais avant tout, c’est atteindre la vérité de mon film. Après, je te parle du montage image ici, parce que le montage son c’est moins important, il y a plein de gens qui montrent leur film sans qu’il ne soit mixé.

J’ai eu la chance d’être entourée par des personnes incroyables, qui ont donné beaucoup de leur foi et de leur énergie. Un réalisateur tout seul, c’est bien mais c’est rien en fait. Tu dépends des gens autour de toi, qui donnent de leur sensibilité, donnent du sens.

Est-ce que tu as l’impression que l’accueil du film à Cannes t’a ouvert des portes, t’a permis d’envisager des projets auxquels tu n’osais pas penser avant ?

Non. Non mais ce qui est bien à Cannes c’est que ton travail est reconnu, il est mis en avant… Les prix, c’est bien parce que ça te permet d’être libre. C’est pour cela que c’est important d’en recevoir.

Tu vas te retrouver à travailler avec des acteurs célèbres par la suite ? Je pose cette question parce que Divines a été très bien reçu, alors qu’il ne présente aucune tête d’affiche. On peut le voir un peu comme un pied de nez à l’industrie cinématographique…

Tu as peur que je me perde en faisant des films avec des acteurs connus ?

Non, pas du tout, c’est juste qu’on dirait que tu n’en as pas… besoin ?

Tu sais, moi je n’ai pas de science de la chose. Peut-être que demain il va y avoir un acteur que je kiffe de ouf… Mais c’est un peu vrai, là je suis en train de réfléchir au rôle principal masculin de mon prochain film et je me demande qui va l’interpréter.

Je peux travailler avec des acteurs connus. Il faut juste qu’ils soient capables de jouer comme s’ils étaient inconnus. Comme s’ils n’étaient rien, qu’ils devaient réapprendre leur métier. C’est ça le plus important : le rapport au travail, à l’humilité. Je ne pourrais pas travailler avec des gens qui n’ont pas la même urgence que moi face au film, je ne pourrais pas être avec des gens qui cachetonnent…

Prends Leonardo DiCaprio : c’est DiCaprio, tout le monde le connaît, mais quand il bosse avec Alejandro Iñárritu pour The Revenant, c’est ouf ! Même si le scénario n’est pas extraordinaire, ce n’est pas le meilleur film d’Iñárritu, la prestation de DiCaprio est dingue. Il avait encore quelque chose à prouver, et dans ces conditions, ça ne m’aurait pas dérangé de bosser avec un DiCaprio.

Il y a des acteurs comme ça qui me font kiffer, comme Tom Hardy, comme Robert Pattinson… Pattinson je trouve que c’est un mec sous-exploité. Je suis sûre que tu peux en faire un truc de ouf. Mais s’il arrive avec sa caravane, c’est sûr qu’il ne pourra pas faire un truc avec moi. Faire des films pour moi, c’est un métier comme celui de boulanger : tu te lèves à six heures du matin, tu pétris ta pâte… Donc demain, si je travaille avec quelqu’un de connu, il faudra que l’on revienne à quelque chose de simple.

Tu ne feras jamais des gros blockbusters ?

Oh que si, j’ai très envie de faire des blockbusters. J’ai envie de faire un film sur le cosmos, j’aimerais bien faire un truc sur un super-héros un jour, une super-héroïne…

Je suis un peu surpris, je ne pensais pas que tu me citerais autant de références américaines ! On a souvent l’impression que les cinémas français et américains, ce sont des mondes séparés…

Je n’ai pas de barrières. J’aime le cinéma américain et je trouve qu’on sait aussi faire de belles choses en France : j’adore Maïwenn et j’aime beaucoup Jacques Audiard tiens, aussi, Un prophète, De battre mon cœur s’est arrêté… On a quand même des grands cinéastes ! Le gars qui a fait L’Inconnu du lac aussi [Alain Guiraudie], je suis hyper fan, Valérie Donzelli avec La Guerre est déclarée… Je trouve qu’on est durs avec notre cinéma, alors qu’il existe un beau cinéma français.

Propos recueillis le 23 août 2016.