Depuis 2018, les mouvements féministes s’attaquent, entre autres, à démanteler la culture du viol et à dénoncer les violences sexuelles – le procès de Dominique Pélicot (dans le cadre de l’affaire Mazan) qui fait l’actualité en est la triste illustration. Dans les années 1960, les féministes de la deuxième vague militent pour l’égalité sur les plans de la liberté individuelle et de l’indépendance économique : c’est l’accès à la contraception, l’égalité salariale, l’ouverture de métiers jusque-là masculins aux femmes…
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Ces luttes et ces victoires féministes qui ont jalonné la seconde moitié du XXe siècle, la photographe Janine Niépce (1921-2007) les a documentées. Ces précieux témoignages seront exposés à la Cité de l’Économie du 3 octobre au 5 janvier 2025, dans le cadre d’une saison 2024-2025 centrée sur le thème du travail. Retour sur la vie et l’œuvre de la photographe française, qui prend une résonance particulière alors que la nécessité des luttes féministes est toujours aussi prégnante.
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Des cours de photo par correspondance et un engagement dans la Résistance
Née en 1921 à Meudon dans une famille vigneronne bourguignonne, Janine Niépce étudie l’histoire de l’art et l’archéologie. En parallèle de ses années à la Sorbonne et pendant l’Occupation nazie, elle prend des cours de photographie par correspondance, s’engage dans la Résistance et développe des films pour les réseaux de renseignements, puis participe à la Libération de Paris en qualité d’agent de liaison.
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Diplômée en 1944, elle devient en 1946 l’une des premières femmes photoreporter et se rapproche vite du courant humaniste. Elle parcourt la France, des campagnes à la capitale en passant par la province, et documente ses évolutions et mutations sociétales, dans la sphère privée comme dans l’espace public. Elle photographie notamment l’arrivée de la télévision dans les foyers dans les années 1960, la disparition de certains métiers et le développement des transports en commun rapides. En 1960, elle est l’unique femme exposée aux côtés d’hommes (Doisneau, Lattès, Pic, etc.) dans “Six photographes et Paris” au Louvre.
Du papier glacé à la réalité
Des années 1950 à 1990, la photographe parisienne plonge dans le quotidien des femmes et met en lumière leur place dans la société comme leur désir de s’affranchir du foyer et de la maternité. Elle capture des éléments significatifs de leur émancipation : des femmes en terrasse, des femmes qui portent le pantalon ou les cheveux courts, des femmes qui fument…
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Au-delà des codes et des comportements masculins que les femmes s’approprient, Niépce s’intéresse à leur vie professionnelle qui, bien que restreinte, ne se limite pas au foyer : elles se font peu à peu une place sur les chantiers ou au sein de filières scientifiques ou juridiques jusque-là réservées aux hommes.
La photoreporter immortalise les femmes qui évoluent sur les chantiers ou dans des laboratoires entourées d’hommes, mais n’oublie pas les filières du soin à la personne, majoritairement féminines et de facto, sous-payées et dévaluées. “Pour la première fois, on ne voyait plus seulement des figures de rêve sur papier glacé, mais des femmes, les cheveux en bataille, surprises dans leur cuisine, un enfant dans les bras. […] Les hommes avaient l’habitude de photographier de belles femmes, posant pour des modèles de haute couture, mais rarement en train de faire la lessive !”, relate Janine Niépce dans son livre Les Années Femmes (publié aux éditions de La Martinière, en 1993).
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Les femmes dans leurs trajectoires
À plus large échelle, Niépce documente également les événements de mai 68 et les victoires féministes qui marquent des changements sociaux majeurs, à l’instar de l’accès à l’avortement et de la légalisation à la contraception. Elle prend le portrait de Simone Veil qu’elle admire, mais aussi de l’autrice Colette. “Je photographie les femmes dans leur trajectoire complète, de l’enfance à la vieillesse et dans tous les milieux. Lorsque les hommes photographient les femmes, ce qui les fascine, ce sont leur corps, leur beauté, et, depuis quelque temps, même leur laideur, c’est la mode ; en somme, toujours des femmes-objets”, dénonce-t-elle dans un entretien donné aux Cahiers du Grif.
“Janine, ma grand-mère, a toujours considéré le travail comme la pierre angulaire de l’indépendance financière et donc de la liberté des femmes. Elle y voyait aussi un fort vecteur d’émancipation et d’ouverture aux autres”, relate Hélène Jaeger Defaix, la petite-fille de la photographe. En 2000, à Visa pour l’Image, on fait état que Janine Niépce est en réalité la seule photographe à avoir documenté les avancées féministes de la seconde moitié du XXe siècle. “Rien n’est jamais acquis, et surtout pas pour les femmes”, disait-elle souvent. “Force est de constater que cette mise en garde reste pleine de sens”, se remémore la petite-fille de la photographe.
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“Janine Niépce, regard sur les femmes et le travail” est visible du 3 octobre au 5 janvier 2025 à la Cité de l’Économie, à Paris.
Konbini, partenaire de la Cité de l’Économie.