Le peintre et sculpteur colombien Fernando Botero est décédé à 91 ans, a annoncé vendredi le président colombien Gustavo Petro. “Fernando Botero, le peintre de nos traditions et de nos défauts, le peintre de nos vertus, est mort”, a tweeté le chef d’État. “Le peintre de notre violence et de notre paix. De la colombe mille fois rejetée et mille fois placée sur son trône”, a ajouté le président Petro, en référence à l’un des animaux emblématiques de l’artiste.
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Selon sa fille Lina, l’artiste est décédé à Monaco, où il résidait, à 9 heures du matin. Son état de santé s’était dégradé ces derniers jours et il est mort des suites “d’une pneumonie”. “Il est le plus colombien des Colombiens parce qu’il portait la Colombie dans son cœur en permanence. Non seulement parce qu’il se tenait au courant de l’actualité colombienne, sensible aux besoins et aux domaines dans lesquels il pouvait apporter son aide, mais aussi parce que la Colombie et ses souvenirs ont nourri son œuvre artistique”, a-t-elle déclaré.
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“Il a continué à peindre jusqu’à la fin et encore samedi”, a-t-elle ajouté, précisant que son père “souffrait de la maladie de Parkinson depuis plusieurs années”, qui ne lui apportait pas “de tremblements” mais “il lui était difficile de marcher, de communiquer et d’avaler”. Dès vendredi matin à Bogota, des badaud·e·s se sont rassemblé·e·s devant l’une des œuvres du maître, l’imposant Homme à cheval, à l’entrée d’un parc proche du centre historique de la capitale, a constaté un photographe de l’AFP. Les visiteur·se·s se pressaient également avec un intérêt redoublé devant les œuvres exposées au Musée Botero, à deux pas de la place de la Candelaria, dans une bâtisse coloniale espagnole abritant une centaine de ses œuvres.
“Métier exotique”
Fernando Botero, né en 1932 à Medellín, dans une famille modeste, est considéré comme l’un des plus grands artistes du XXe siècle. Célèbre pour ses personnages aux formes voluptueuses, le peintre et sculpteur a mis en pratique l’art de la générosité, tant dans ses œuvres qu’en militant pour une culture accessible à tou·te·s. “Je pense souvent à la mort et cela m’attriste de quitter ce monde et de ne plus pouvoir travailler parce que je prends beaucoup de plaisir à mon travail”, avait confié le maître à l’AFP lors d’un entretien à l’occasion de ses 80 ans en 2012.
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Ce fils d’un représentant de commerce s’est initié très tôt à l’art. À l’âge de 15 ans, Fernando Botero vendait déjà ses dessins de tauromachie aux portes des arènes de Bogota. “Quand j’ai débuté, c’était un métier exotique en Colombie, qui n’était pas bien vu et n’offrait aucun avenir. Lorsque j’ai dit à ma famille que je comptais me dédier à la peinture, ils m’ont répondu : ‘Bon d’accord, mais nous ne pouvons pas t’aider’“, racontait l’artiste colombien le plus coté au monde. Après une première exposition individuelle à Bogota dans les années 1950, il part pour l’Europe, séjournant en Espagne, France et Italie où il découvre l’art classique. Son œuvre est aussi influencée par l’art précolombien et les fresques du Mexique, où il s’installera plus tard.
Sa carrière décolle dans les années 1970 lorsqu’il rencontre le directeur du musée allemand de New York, Dietrich Malov, avec lequel il organisera plusieurs expositions à succès. “Totalement inconnu, sans même un contrat avec une galerie de New York, j’ai alors commencé à être contacté par les plus grands marchands d’art du monde”, racontait-il. Les dimensions hors du commun de son art, qui deviendront sa marque de fabrique, se révèlent en 1957 dans le tableau Nature morte avec mandoline. Il peint alors l’ouïe centrale (ouverture) de la mandoline trop petite, en comparaison avec la taille de l’instrument.
Ainsi, “entre le petit détail et la générosité du tracé extérieur, une nouvelle dimension apparaît, plus volumétrique, plus monumentale, plus extravagante”, expliquait-il. Mona Lisa à l’âge de 12 ans, peint en 1959, était une autre de ses œuvres majeures exposée au Museum of Modern Art de New York. Pour l’artiste, le qualificatif de “gros” ne convenait pas à ses personnages. Amoureux de la Renaissance italienne, il se disait “défenseur du volume” en art moderne. Sa sculpture, également marquée par le gigantisme, a occupé une place très importante dans sa carrière, développée essentiellement à Pietrasanta, en Italie. Il a partagé pendant des années sa vie entre ce coin de Toscane, New York, Medellín et Monaco où il est décédé. Malade dans les dernières années de sa vie, “il a continué à peindre jusqu’à la fin”, a confié sa fille Lina.
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Art pour tous
L’artiste, qui disait ne jamais savoir ce qu’il allait peindre le lendemain, s’est inspiré de la beauté, mais aussi des tourments de son pays, marqué par un conflit armé de plus d’un demi-siècle. Son œuvre met en scène guérillas, séismes, maisons de passe. À travers les époques, son art a fait la satire de l’Église catholique dans les années 1950-60, s’est moqué de l’aristocratie colombienne et des dictateurs en Amérique latine dans les années 1970-80 et a dénoncé les guérillas, paramilitaires et trafiquants de drogue en Colombie dans les années 1990.
En 1995, une bombe placée au pied de sa sculpture L’Oiseau avait tué 27 personnes à Medellín. Cinq ans plus tard, il avait fait don d’une réplique baptisée L’Oiseau de la paix. Fernando Botero a également peint La Mort de Pablo Escobar, le célèbre narcotrafiquant abattu à Medellín par les forces de sécurité qui avaient mis sa tête à prix. Achevé en 1999, le tableau raconte la poursuite du fugitif de taille colossale sur les toits de Medellín, montrant ainsi l’influence d’Escobar.
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L’artiste a aussi été un grand mécène, avec des donations estimées à plus de 200 millions de dollars. Il a donné aux musées de Medellín et de Bogota nombre de ses œuvres, et des dizaines de tableaux de sa collection privée, dont des Picasso, Monet, Renoir, Miro… Ses œuvres sont aussi visibles en plein air dans de nombreuses villes du monde, l’artiste estimant que les expositions dans les espaces publics sont un “rapprochement révolutionnaire” de l’art avec le public. Une idée qu’il avait étrennée en 1992 sur les Champs-Élysées à Paris, puis près du Grand Canal de Venise et face aux pyramides d’Égypte. Ses statues ont aussi voyagé jusqu’en Chine en 2015.
Marié à trois reprises, la dernière fois à la sculptrice grecque Sophia Vari décédée en mai, l’artiste a énormément souffert de la mort de l’un de ses enfants, à l’âge de quatre ans, dans un accident de voiture. Son œuvre, de plus de 3 000 tableaux et 300 sculptures, démontre son insatiable appétit de créer. La seule idée d’abandonner les pinceaux “me terrorise plus que la mort”, disait-il.
La Colombe de la paix, une œuvre à la fois emblème et otage
Plus qu’une sculpture, La Colombe de la paix, œuvre du défunt artiste colombien Fernando Botero, est à la fois emblème de l’histoire récente du pays et otage de ses profondes divergences politiques. En septembre 2016, alors que la Colombie est sur le point de signer un accord de paix historique avec la guérilla des FARC, autrefois le groupe rebelle le plus puissant des Amériques, Fernando Botero offre au président de l’époque, Juan Manuel Santos (2010-2018), la sculpture en bronze d’environ 70 centimètres de haut.
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Caractéristique du style de l’artiste friand des formes de corps voluptueuses, la colombe gironde est blanche au bec doré. C’est la deuxième œuvre offerte par le peintre sculpteur au palais présidentiel, après la Mère supérieure sous le gouvernement de Belisario Betancur (1982-1986). Pour l’artiste né en 1932 c’est un “cadeau à mon pays pour exprimer mon soutien et ma solidarité avec ce processus qui apportera un avenir d’espoir et de rêve”.
Symbole de liberté, cette sculpture va se retrouver prisonnière de la polarisation du pays invité à se prononcer sur les accords conclus entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) à l’issue de quatre années d’âpres négociations. “C’est une sculpture qui va inspirer des millions de Colombiens à dire oui à la fin de la guerre”, se félicitait M. Santos lors d’une cérémonie de remise de l’œuvre.
Mais le 2 octobre, le “non” l’emporte de justesse dans les urnes. Après quelques modifications du texte initial, le pacte de paix est signé en novembre de la même année. La sculpture, comme l’accord, font depuis l’objet de controverses politiques. “Je ne pense pas qu’avec cette sculpture, l’idée de Botero était de prendre parti au-delà du soutien à un processus de paix qui est une nécessité en Colombie”, a déclaré à l’AFP Pilar Velilla, ancienne directrice du musée d’Antioquia, région d’origine de Botero, et proche de l’artiste.
La paix signée, le président Santos, lauréat du Prix Nobel de la paix en 2016, place la sculpture bien en vue dans la Casa de Nariño, où elle restera jusqu’au milieu de l’année 2018. En juin de cette année-là, le conservateur Ivan Duque, qui, en tant que parlementaire, avait soutenu le “non” au référendum, remporte le scrutin présidentiel. Et deux semaines avant son investiture, la sculpture est déplacée de son piédestal, sur décision du gouvernement Santos, pour être transférée au musée national afin, dit-on, de lui donner une plus grande visibilité.
En 2022, c’est Gustavo Petro, ancien guérillero, qui remporte la présidentielle pour devenir le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie. Pour sa cérémonie d’investiture le 7 août, le président élu demande que La Colombe de la paix et l’épée du héros national, Simon Bolivar, soient symboliquement à ses côtés. Mais la nuit précédant la cérémonie, le gouvernement Duque invoque des raisons de sécurité pour refuser leur mise à disposition. Devenu président, M. Petro publie le 1er septembre sur son compte Instagram une photo le montrant debout à côté de la sculpture qui retrouvait son emplacement initial, dans le salon Gobelinos de la Casa de Nariño. “Remise à sa place”, a-t-il écrit en légende de la photo.
En février 2023, Medellín a été l’un des principaux épicentres d’une mobilisation de la droite contre le gouvernement Petro. Sur le passage du cortège, un soutien local de M. Petro, candidat à la mairie, s’était dressé au côté d’une réplique de La Colombe de la paix, bouquet de fleurs en mains. Sous les menaces, il avait dû quitter précipitamment les lieux et la sculpture avait été jetée à terre. Gustavo Petro avait publié ce jour-là sur Twitter une photo de la sculpture vandalisée avec les mots : “Quel mal l’art et la paix leur font-ils ?”
Medellín en deuil
La presse colombienne saluait vendredi à l’unisson “le plus grand artiste colombien de tous les temps”, l’artiste “universel” ou planétaire, et sa ville natale de Medellín a décrété sept jours de deuil pour “rendre hommage au maître […] après une vie pleine d’œuvres et un héritage qui restera à jamais dans le cœur de tous les habitants” de la ville, a indiqué son maire Daniel Quintero.
“Nous regrettons profondément la mort du maestro Botero, un grand homme d’art, de culture, mais aussi un grand homme en raison de son amour pour Medellín, de son amour pour la Colombie, de son amour pour l’Amérique latine. Son œuvre, sa vie, son héritage resteront dans cette ville qu’il aimait tant et dans laquelle il a laissé tant d’œuvres”, a ajouté l’édile. “Nous regrettons profondément le départ de Fernando Botero, l’un des plus grands artistes de Colombie et du monde. Il a toujours été généreux envers son pays, un grand ami et un bâtisseur de paix passionné”, a déclaré sur le réseau X l’ex-président et Prix Nobel de la paix Juan Manuel Santos.
Divers hommages, avec fleurs et musique, auront lieu ce jour même sur la place Botero, où sont exposées 23 sculptures offertes par l’artiste à la Ville en 2002, et qui sont admirées par des milliers de touristes chaque année. Selon le service culturel de la municipalité, “il y aura également un mur où le public aura la possibilité d’écrire différents messages à l’artiste”. “Medellín s’habillera également en différents endroits du visage de Fernando Botero”, tandis que la Ville proposera “des conférences, des lectures et des actions visant à commémorer et à exalter la vie et l’œuvre” du sculpteur.
Toujours selon la municipalité, la dépouille “du maestro sera inhumée à Pietrasanta, en Italie, à côté de celle de son épouse Sophia Vari, sculptrice grecque décédée le 5 mai dernier” après 48 ans de vie commune. Un départ qui lui avait provoqué “une tristesse infinie” selon sa fille. Hommes politiques, de culture, médias… Partout en Colombie, c’était une pluie d’hommages pour l’artiste.