Depuis trente ans, l’artiste indonésien Agus Suwage se révèle dans des autoportraits tantôt drôles, tantôt grinçants qui retracent sa recherche d’identité à travers les troubles de l’histoire récente de son pays. L’automne dernier, le musée d’Art moderne et contemporain Macan à Jakarta consacrait une exposition à l’œuvre de l’artiste, “The Theater of Me”, avec plus de quatre-vingts pièces exposées.
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Ses autoportraits montrent sa quête identitaire et une vie d’artiste profondément influencée par les changements politiques en Indonésie, comme la chute du régime du dictateur Suharto en 1998 et les espoirs suscités par le renouveau démocratique qui a suivi. L’artiste de 63 ans se caricature, se représente en animal, en dictateur ou en objet et se joue des stéréotypes raciaux dans l’archipel d’Asie du Sud-Est.
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L’une de ses récentes œuvres, Self-Portrait and the Theater Stage, montre la tête de l’artiste déclinée en dizaines de versions ironiques ou grotesques : en flamme, en oiseau, en bouilloire, comme une satire de la versatilité du monde politique. “L’autoportrait est venu dès le début. Il a commencé à faire des autoportraits parce qu’il pensait que l’on doit savoir faire son autocritique avant de critiquer les autres mais aussi par pragmatisme économique : il pouvait ainsi utiliser son propre corps et n’avait pas à payer de modèles”, explique à l’AFP Aaron Seeto, directeur du musée Macan.
Ses installations, plus tardives, font la part belle à l’humour noir et testent la tolérance du public du pays qui compte la plus grande population musulmane du monde. Un squelette se baigne dans une baignoire de riz, une pyramide d’un millier de bouteilles de bière est surmontée d’un “ange gardien” en squelette et une statue aux traits de Frida Kahlo en croix est montrée percée de flèches.
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L’artiste, qui vient d’une famille sino-indonésienne de commerçant·e·s de Purworejo à Java, a dû changer en 1967 son nom d’origine, Oei Hok Sioe, à cause d’un décret de Suharto interdisant les noms à consonance chinoise. Dans sa jeunesse, il étudie le graphisme à l’Institut technologique de Bandung et commence une carrière dans ce domaine. Mais il se forme lui-même à la peinture. Et quand son colocataire, un photographe, lui tire le portrait, il utilise les clichés comme base de ses autoportraits.
À la fin des années 1990, Agus Suwage a traversé à Jakarta la répression des mouvements étudiants et une période des émeutes meurtrières, qui seront cruciales dans son évolution. Après avoir connu le succès et vu le prix de ses œuvres, acquises par plusieurs musées d’Asie et des États-Unis, s’envoler, Agus Suwage s’est aussi livré à une critique acerbe du marché de l’art.
Dans la série Toys ‘S’ US, il se représente comme un jouet en fil de fer pour montrer comment il s’est senti infantilisé et forcé à faire des tours. Dans Passion Play, il met des mannequins grandeur nature représentant ses collectionneur·se·s dans une grande cage.
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