Fin avril, les artistes invité·e·s à participer à la biennale d’art contemporain de Venise déposaient leurs valises pour découvrir le pavillon dédié à leur pays pour les six mois à venir. En arrivant à Venise, à l’occasion des trois premières journées du festival dédiées à la presse, les artistes congolais Eddy Ekete, Aimé Mpane et Steve Bandoma ont eu la surprise de découvrir que leur pavillon n’existait tout simplement pas.
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“Le pavillon était fermé, personne ne nous avait prévenus. On a récupéré les clefs dans une boutique située juste à côté du lieu. On est rentrés dedans, c’était délabré, on ne pouvait pas exposer une œuvre là-dedans. Il n’y avait même pas de toilettes, on ne pouvait clairement pas y accueillir des gens. C’était au moment de l’ouverture à la presse, on a snobé tout le monde parce qu’on ne savait pas comment s’en sortir”, nous explique Eddy Ekete, joint par téléphone.
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Le problème viendrait du cocurateur de l’exposition, l’Italien Michele Gervasuti, qui aurait gracieusement proposé au gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) un lieu pour son pavillon, le Palazzo Canova, avant de finalement exiger une somme trop importante pour la location de l’espace, rapporte The Art Newspaper. Eddy Ekete se désole de la désorganisation de l’initiative, autant du côté du gouvernement que des curateurs.
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Mettre en valeur l’art et la situation politique
Pour cette première invitation à la biennale de Venise, les artistes espéraient mettre en valeur la création artistique congolaise et la situation “très compliquée, autant socialement que politiquement”, souligne Eddy Ekete, en RDC. Les meurtres et violences subies en RDC sont notamment dus à l’exploitation occidentale des mines situées à l’Est du pays. L’exposition présentée à Venise devait justement s’appeler “Lithium”, un nom que les artistes ont préféré modifier en “Vibranium”, un nom inventé, “inspiré du Wakanda [le pays fictif de Black Panther, ndlr], pour désigner un minerai qui n’existe pas, en référence à ceux enfouis dans le sol sous le Congo, qui envoient des vibrations au peuple congolais”.
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Bien décidé à “ne pas rester invisible”, le trio s’est installé à l’entrée de la biennale, près d’un kiosque fermé : “On a pris deux rouleaux de cellophane et on a enroulé le kiosque avec un lampadaire à 3-4 mètres du kiosque. On a créé un endroit qui s’appellerait le Congo.” Les trois artistes y ont présenté des performances, permettant de mettre en lumière leur travail et la présence de leur pays à la biennale. Eddy Ekete portait “un costume en matière de minerai avec des diodes tandis que [son collègue] tirait des lingots d’or en bois, créés avec un bois noir très lourd qui vient du Congo.”
“Dans chaque lingot, il y a des chiffres qui correspondent à des trous de minerais au Congo. Quand tu tapes les chiffres sur une carte, cela t’amène à un trou où on creuse les minerais. Mon collègue tapait sur sa brouette et criait : ‘Le Congo n’est pas à vendre’. Quand les Palestinien·ne·s qui étaient présent·e·s [et avaient été interdit·e·s de pavillon, ndlr] ont vu la performance, ils et elles ont commencé à crier : ‘Free Congo, Free Congo’, ils et elles étaient solidaires et chantaient comme s’ils et elles connaissaient notre problème.” Jusqu’à aujourd’hui, les œuvres ne sont toujours pas exposées, enfermées dans une “capella” loin des regards du public.
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“C’est comme si le bordel du pays nous avait suivis jusqu’ici”
“Il faut qu’on se dépêche, je ne sais pas à quel moment on va pouvoir ouvrir, tout le monde nous attend là-bas. On a peur de ne pas être réinvités à la prochaine édition. C’est comme si le bordel du pays nous avait suivis jusqu’ici”, se désole Eddy Ekete. La présence de la RDC aurait pourtant été cruciale, elle aurait permis une mise en lumière des conflits qui agitent le pays et convoquent des années de violences. Plus tôt ce mois-ci, Rachel Sematumba, trentenaire du Nord-Kivu, déplorait auprès de l’AFP que, depuis sa naissance, “l’année du génocide au Rwanda, jusqu’au M23 [Mouvement du 23 mars, ndlr] d’aujourd’hui, il n’y a eu que ça à Goma, la guerre”. Rappelons que le M23 est un groupe armé créé en 2012 par des officiers des forces armées congolaises, entré en rébellion contre le gouvernement.
Le 20 juin dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU condamnait “les récentes attaques du M23 et d’autres groupes rebelles dans l’Est de la République démocratique du Congo, s’inquiétant de leur impact sur la situation ‘explosive’ dans la région”, rapportait l’AFP. Les membres du Conseil ont exprimé leur inquiétude quant à “l’intensification des attaques systématiques” des Forces démocratiques alliées (ADF), groupe affilié à l’organisation État islamique, et “de l’offensive en cours du M23 vers Kanyabayonga [ville stratégique dans le Nord-Kivu, ndlr], qui a déplacé 350 000 personnes sur la dernière semaine et provoqué la suspension des opérations de distribution alimentaire et les services hospitaliers”. L’art, en tant qu’engagement poétique et politique, aurait peut-être permis de sensibiliser une partie du monde à ces atrocités peu relayées dans les médias occidentaux.
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