Depuis le 17 février, le Palais de Tokyo présente dans ses espaces “Exposé·es”, une exposition qui s’interroge sur l’impact que l’épidémie du VIH a eu sur une génération d’artistes frappé·e·s directement ou non par ce fléau, “ce qu’elle a changé dans les consciences, dans la société, dans la création”. Le sida est abordé ici “non pas comme un sujet, mais comme grille de lecture pour reconsidérer un grand nombre de pratiques artistiques exposées à l’épidémie. La beauté vient comme recours face aux conséquences politiques et sociales des pandémies qui se superposent”, détaille le communiqué de presse.
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Jusqu’au 14 mai 2023, des projets touchants, intimes ou conceptuels sont mis à l’honneur et répondent de près ou de loin à l’ouvrage d’Élisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle (2017). “À l’opposé d’une commémoration, l’exposition brouille les temporalités, et porte un discours au présent, en demandant à des artistes d’interroger depuis aujourd’hui leur histoire et ce qui leur a été transmis du siècle passé.” Parmi ces projets, on retrouve série forte de la photographe Nan Goldin. Focus.
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Récit d’un amour brisé et d’une amitié rompue
“Je n’ai cessé de photographier les gens que j’aime, mais la photographie ne les a pas empêché·e·s de mourir.” Au fil de sa carrière, Nan Goldin n’a cessé de livrer des documentations intimes qui racontaient son pays et son époque. Parmi celles-ci, l’impact que l’épidémie du sida a eu sur son existence et celle de ses proches.
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Durant la fin des années 1980, la photographe immortalisait son amie Cookie Mueller, diva du New York underground, qui avait récemment appris sa séropositivité. Elle l’a photographiée jusqu’à ce que la mort brise leur amitié de longue date. “Mon art était le journal de ma vie. J’ai photographié les gens autour de moi. Je ne les considérais pas comme des personnes malades du sida. Vers 1985, j’ai réalisé que beaucoup de gens autour de moi étaient séropositifs.” L’exposition de sa série Cookie Portfolio, organisée autour de ces images, a réuni des dizaines de milliers de personnes.
Séropositif au moment où il découvrait cette série, Gilles Dusein, fondateur de la galerie Urbi et Orbi qui représentait entre autres Nan Goldin, voulait lui aussi laisser une trace. Ce danseur de formation, qui avait collaboré avec l’artiste Michel Journiac, mesurait l’importance de sensibiliser le public à la maladie. Dans les années 1990, son partenaire Gotscho et lui ont donc autorisé l’activiste états-unienne à documenter son quotidien de malade, se mettant à nu à la manière des récits d’Hervé Guibert.
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Ce sont ces images tendres et dignes qui sont exposées au Palais de Tokyo, des images qui secouaient alors les pouvoirs publics et dénonçaient le manque de soins ainsi que le silence médiatique autour de cette épidémie ravageant les communautés les plus précaires et marginalisées.
Avec ses images brutales et crues, Nan Goldin éveillait les consciences sur l’ampleur que prenait ce virus, osait montrer au public la réalité du sida, que les gouvernements préféraient dissimuler et que la frange catholique du pays stigmatisait.
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Il est difficile de regarder ces photos sans avoir le cœur serré. Les deux amants posent dans un acte politique : une arme tatouée sur son torse, un baiser échangé sur un lit d’hôpital, sa main dans la sienne, le corps émacié par le sida, les couloirs jaunis, l’attente inéluctable, le deuil. C’est avant tout le témoignage d’un amour brisé et d’une amitié rompue par la mort que livre ici Nan Goldin.