Depuis qu’il a commencé à peindre, l’artiste Gottfried Helnwein, âgé de 75 ans, tente de trouver des réponses face à l’indicible et aux atrocités commises durant la Seconde Guerre mondiale. Ce sombre chapitre de l’Histoire le hante et, en tant que peintre autrichien, il fut ballotté par le poids de ce passé. L’artiste, qui a reçu une éducation catholique stricte, dit peindre pour dissoudre sa frustration de ne pas avoir reçu de réponses à ses questions sur le génocide. “À l’école, on entendait qu’une chose en boucle : que l’Autriche était la victime numéro un d’Adolf Hitler, ce qui était bien sûr faux”, raconte-t-il dans les pages du Irish Times.
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“[Je vois l’art] comme le seul moyen de trouver des réponses à des questions que personne en Autriche n’était capable de me donner, par exemple, pourquoi après la guerre, notre république était dépeinte comme la première victime des nazis plutôt que comme celle qui les a engendrés”, analyse-t-il pour le Guardian. Ce cycle de la violence jalonne sa carrière à travers des figures d’enfants et de femmes sans défense, blessé·e·s, inertes ou sujet·te·s à des expérimentations médicales amorales.
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Mais Helnwein est surtout connu pour une œuvre réalisée dans les années 1960, lors de ses études à l’Institut expérimental de haute éducation graphique, qui choqua ses professeurs à tel point qu’ils décidèrent de l’expulser de l’école. “C’est à ce moment précis que j’ai compris pour la première fois qu’on pouvait changer les choses avec l’esthétique”, qu’on pouvait éveiller les consciences si on connaissait bien les points faibles de son public.
Cette œuvre, c’est un portrait d’Adolf Hitler composé avec son propre sang. “C’était l’époque des Beatles et des Stones, et tout le monde voulait porter des cheveux un peu plus longs, qui frôlent les oreilles sans les toucher. Mais si vous vous baladiez dans la rue comme ça, les gens vous criaient : ‘Hitler va revenir pour te gazer !’ C’était quelque chose de très courant à entendre venant de personnes âgées et des employés de chantier, qui nous jetaient des pierres”, raconte-t-il toujours à l’Irish Times.
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Pour cette œuvre dont nous n’avons pas d’images car elle fut immédiatement confisquée, il s’est tailladé accidentellement les paumes des mains au rasoir, en plein cours de dessin d’après modèles nu·e·s. Avec ce sang récolté, il s’est mis à dessiner frénétiquement le portrait du dictateur, qui a étudié ensuite dans la même école d’art que lui, l’Académie des Beaux-Arts de Vienne – sauf qu’Hitler y a été viré trois fois. Le personnel de l’Institut expérimental de haute éducation graphique y a vu une provocation et un danger pour la réputation de l’établissement.
“Je ne voulais pas faire partie de ce système”
Malheureusement pour l’artiste, ses travaux attirent d’abord l’attention des néonazis du coin, qui apprécient voir des portraits à l’effigie d’Hitler, sans tenir compte de la symbolique. “Je peignais tranquillement à l’Académie un dimanche, et il y a ce jeune homme, de 20 ans peut-être, qui débarque et dit : ‘Je suis à la recherche du peintre qui peint le Führer !’ La peinture était derrière moi, contre le mur, et je jure qu’il s’est agenouillé devant et a clamé : ‘Le Führer, le Führer, c’est fantastique !’.” Cette fois-ci, il s’agissait d’une peinture à l’huile, et non au sang.
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Loin de vouloir sacraliser Hitler, Gottfried Helnwein voulait transmettre, à travers cet acte d’automutilation, toute l’horreur que le dictateur avait infligée au monde. Celui qui a quitté son pays dès l’âge de 37 ans critique vivement cette Autriche post-guerre qui ne s’est jamais totalement dénazifiée, qui ne voulait pas affronter son passé, elle qui, aujourd’hui encore, réfute les œuvres volées pas les nazis, présentées dans ses musées.
Gottfried Helnwein, dès ses jeunes années, a toujours voulu déranger son pays en le confrontant à ses racines gangrenées : “Je ne voulais pas faire partie de ce système”. Dans les années 1970, apprend-on dans le Guardian, il s’est fait repérer par un galeriste en se baladant dans la rue déguisé en nazi, avec un bandage sur la tête et du faux sang coulant de sa bouche. “[J’ai quitté ce pays] pour beaucoup de raisons. Je suis né là-bas, ma famille y était, c’est mon langage mais je n’ai jamais senti que Vienne était ma maison. Vienne a une belle tradition culturelle mais l’atmosphère était si horrible que je sentais que si je continuais à y vivre, je deviendrais soit un terroriste soit je mourrais.”