Depuis le 17 février, le Palais de Tokyo présente dans ses espaces “Exposé·es”, une exposition qui s’interroge sur l’impact que l’épidémie du VIH a eu sur une génération d’artistes frappé·e·s directement ou non par ce fléau, “ce qu’elle a changé dans les consciences, dans la société, dans la création”. Le sida est abordé ici “non pas comme un sujet, mais comme grille de lecture pour reconsidérer un grand nombre de pratiques artistiques exposées à l’épidémie. La beauté vient comme recours face aux conséquences politiques et sociales des pandémies qui se superposent”, détaille le communiqué de presse.
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Jusqu’au 14 mai 2023, des projets touchants, intimes ou conceptuels sont mis à l’honneur et répondent de près ou de loin à l’ouvrage d’Elisabeth Lebovici, Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle (2017). “À l’opposé d’une commémoration, l’exposition brouille les temporalités, et porte un discours au présent, en demandant à des artistes d’interroger depuis aujourd’hui leur histoire et ce qui leur a été transmis du siècle passé.” Parmi ces projets, on retrouve celui de Georges Tony Stoll, ALLEZ ! TOUS ASSIS !, réalisé en 1999. Focus.
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Compter ses morts
Comme pour un bon nombre d’installations d’art contemporain, le sens de celle de Georges Tony Stoll, ALLEZ ! TOUS ASSIS !, n’échappe pas à la règle et peut nous paraître à première vue énigmatique et nécessiter une lecture plus approfondie. Son installation présente des chaises alignées les unes à côté des autres, sur lesquelles des manteaux et vestes d’hommes sont posés ici et là. Quelques autres chaises sont vides, de manière éparse.
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Et c’est dans ces chaises vides que réside toute la profondeur de cette œuvre, ces chaises vides qui font résonner l’absence de ceux emportés par le sida, de ceux qui ne sont plus, qui ne viendront plus s’asseoir et prendre place. Elles marquent les deuils de tous ces hommes “mais aussi les institutions, quelles qu’elles soient, et leur cadre disciplinaire”. “Quelqu’un n’est pas arrivé ou parti. Quelqu’un ne sera plus jamais là, c’est un travail de mémoire”, décrypte-t-il auprès de Connaissance des arts.
Lui-même séropositif, l’artiste français a vu ses proches mourir, abandonnés par les pouvoirs publics. Ces vêtements posés rappellent que chacun réserve sa place pour participer à la tragédie de cette épidémie, menacé à tout moment d’y passer. D’autre part, cette installation représente également les salles d’attente dans les centres de dépistage.
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“Je reste très en colère. Ces hommes me manquent et leur disparition est insupportable. Ce qui est insupportable est bien qu’ils n’aient pas vieilli avec moi, que nous ne soyons pas devenus ensemble de bons papis cochons. Ils sont là, autour de moi, non comme des ombres parce que je vois leur corps tout entier. Ils me supportent et parfois, j’ai le sentiment de me les trimballer. Leur regard sur mon travail me manque. Peut-être est-ce la mélancolie ?”, commente l’artiste auprès du Palais de Tokyo, conscient qu’il pourrait faire partie de ces absents.
C’est en juillet 1985 que Georges Tony Stoll a appris qu’il était “plombé”. Il se dit à ce moment que le virus devra vivre selon ses règles. Très vite, il commence à voir les hommes autour de lui “tomber les uns après les autres”, confie-t-il à Libération, et se demande quand viendra son tour. Son art devient militant et se teinte de ce drame. Il a besoin d’en parler, de témoigner, de s’exprimer. C’est 14 ans après son infection qu’il signe ALLEZ ! TOUS ASSIS !.
À Libération, il raconte : “C’était une période très bizarre, parce que je n’étais entouré que d’hommes plombés comme moi. Chaque fois que je rencontrais un homme, je lui demandais s’il était séropositif. […] Être en contact avec des mecs qui n’étaient pas séropositifs, cela ne m’intéressait pas. Je me suis carrément enfermé dans cette réalité-là.”
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