Un chanteur de metal américain fait un salut nazi et le Hellfest refuse de le déprogrammer malgré la demande de la région. Le Hellfest et les metalleux sont-ils racistes ? D’après Nicolas Bénard, chercheur en histoire et spécialiste du metal, rien n’est moins sûr.
Publicité
Le metal est-il raciste ? C’est, en substance, la drôle de question que les profanes n’osent pas poser à leurs amis metalleux. Le 22 janvier, Phil Anselmo, chanteur iconique du genre, hurlait “White power !” et effectuait un sieg heil plus que contestable à l’issue d’un concert privé, à Los Angeles. Des actes captés par le smartphone d’un spectateur, qui ont fait le tour du monde en un temps record.
Publicité
Le scandale s’invite jusque dans les colonnes des journaux français (pourtant si taiseux sur le metal habituellement…) lorsque le président de la région des Pays-de-la-Loire se saisit de la polémique pour demander l’annulation du groupe d’Anselmo sur les planches du Hellfest 2016. S’ensuit un échange de courtoisies fleuries entre les deux parties par communiqués interposés : les uns accusent le festival de programmer un groupe raciste, les autres rejettent la subvention régionale pour rester maîtres de leurs choix de programmation.
L’affaire prend de l’ampleur, et pour cause : cette bouche qui éructe un slogan suprémaciste blanc et ce bras qui se dresse bien droit en guise de grotesque salut nazi sont ceux du chanteur actuel de Down et surtout ancien frontman de Pantera, un groupe de metal américain emblématique. Il est décrit comme “un des cinq piliers du metal des années 1990” par Nicolas Bénard, auteur de différents ouvrages sur la culture metal. C’est justement ce chercheur de l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, spécialiste du metal que Konbini a souhaité interroger pour s’y retrouver.
Publicité
K | Pouvez-vous nous rappeler qui est Phil Anselmo ?
Nicolas Bénard | Phil Anselmo est l’ancien chanteur de Pantera. C’est un groupe de metal américain très célèbre dans le genre, qui est ancien mais a connu le succès au début des années 1990. Stylistiquement, il évoluait dans un genre hybride entre thrash metal et power metal avec beaucoup de groove – c’était un groupe original.
Malheureusement, Pantera a connu des difficultés au début des années 2000 et tout espoir de reformation s’est envolé avec l’assassinat de son guitariste Dimebag Darrell, sur scène, en 2004. Depuis une dizaine d’années, Anselmo est le chanteur de Down, groupe formé avec plusieurs musiciens de la scène de la Nouvelle-Orléans.
Publicité
Pantera brandissait souvent le drapeau confédéré. Déjà tendancieux, non ?
Pantera vient d’un État confédéré, le Texas. Il faut se détacher de la vision qu’on a du drapeau sudiste en France car cette culture nous échappe : pour certains, comme pour Pantera, il s’agit d’une revendication régionaliste, comme si en France vous affichiez le drapeau breton, corse, catalan, etc. Ils revendiquent leur attachement à une terre historique et le seul outil dont ils peuvent se prévaloir, c’est celui-là. Ça ne va pas plus loin pour le groupe. D’ailleurs Abraham Lincoln était un raciste ; l’histoire, ce n’est pas aussi simple.
“Ce n’est pas plus condamnable que quand le prince Harry se déguise en nazi lors d’une soirée costumée”
Le Hellfest a décidé de refuser la subvention de la région et refuse de se plier aux exigences des élus qui somment le festival de déprogrammer Down. Qu’en pensez-vous ?
Publicité
La région s’est fait botter le cul et elle le cherchait. Maintenant, même si le Hellfest peut dire “allez vous faire foutre”, son organisateur, Ben Barbaud, est sans doute déçu d’avoir eu à le faire. Mais il n’a pas eu le choix face à un tel étalage de politique politicienne. On ne peut pas discuter avec les gens qui ont des préjugés sur le Hellfest et qui ne sont jamais venus au festival. Ces 20 000 euros, Ben Barbaud les trouvera bien ailleurs.
Bon, alors Phil Anselmo, il n’est pas raciste ?
Bien qu’il n’y ait que lui qui puisse répondre, non, il n’est évidemment pas raciste. C’est un Américain issu de la classe moyenne des États du Sud, des régions rurales, caractérisées par une désintégration sociale particulière. Il y a sans doute autour de lui des mouvements extrémistes de tout bord mais lui est loin de tout ça : c’est un artiste doublé d’un “redneck”, alors il boit beaucoup… et fait des conneries, comme le soir du 22 janvier. Mais ce n’est pas plus condamnable que quand le prince Harry se déguise en nazi lors d’une soirée costumée.
Publicité
Phil Anselmo a fait cela pendant une soirée privée. Je n’essaie pas de lui trouver d’excuses mais ce n’est qu’une blague pourrie et ratée, adressée à ses potes, en gros. Il a publié deux vidéos pour s’excuser, s’est montré et a fait acte de contrition. Il faut passer à autre chose maintenant.
Plusieurs stars du metal américain comme Rob Flynn de Machine Head, Scott Ian d’Anthrax ou bien Corey Taylor de Slipknot ne sont pas de votre avis et se sont positionnés contre Phil Anselmo…
Oui, et c’est une surprise qu’il se fasse autant laminer au sein de sa propre famille musicale. Ces types supposés symboliser le danger et le refus de l’autorité auprès de leurs fans se sont tous ligués contre Phil Anselmo, qui est, si on veut, un pauvre bouseux con comme ses pieds, mais pas un raciste.
Tout le monde le dit : Phil Anselmo, c’est le bon gars que vous accueilleriez chez vous sans problème avec vos gamins. Or ces metalleux, ses potes, jouent là le rôle de SOS Racisme, du Crif, du père la morale, alors qu’ils ont tous des choses à se reprocher.
Y a-t-il un problème de racisme plus généralement dans l’univers metal, comme Corey Taylor de Slipknot le prétend dans les colonnes du Guardian ?
Non, il n’y a pas de problème de racisme dans l’univers metal. Déjà parce qu’on le constate dans le cas présent : la condamnation des actes de Phil Anselmo est assez unanime de la part des metalleux [Bien que le Hellfest refuse de céder à la région qui veut déprogrammer Down, son organisateur reconnaît un “injustifiable discours”, NDLR].
Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a sans doute une sous-représentation des minorités ethniques dans le metal… Mais comme on peut dire qu’il y a une surreprésentation des minorités ethniques dans le rap. S’il y a moins de minorités dans le metal, c’est pour des raisons sociologiques, culturelles, historiques qui n’ont rien à voir avec le racisme. Les propos de Corey Taylor ne reposent sur rien.
Un chercheur remarquera que parmi les milliers de concerts metal qui ont lieu chaque jour, aucun acte raciste n’est jamais reporté. Ce qui est étonnant si on prétend que le metal colporte vraiment une idéologie raciste, surtout dans notre monde très connecté. D’ailleurs le metal s’est déjà engagé contre le racisme à travers l’initiative Metalheads Against Racism, ou encore pour la lutte contre la famine en Afrique via le projet Hear’n Aid…
Pourquoi n’a-t-on pas entendu de réponse générale de la part des metalleux de France pour rappeler que le metal n’a rien à voir avec le racisme ?
Parce qu’il n’a pas vraiment de voix, en fait. En France, il y a en gros deux magazines : Rock Hard, qui ne se positionne que très peu, et Metallian, réalisé par des bénévoles passionnés. Il n’y a pas de voix, pas d’ambassadeur, pas d’association qui représente les metalleux. Ce qui est paradoxal c’est qu’il existe une profusion de sites Internet et les débats sont donc plus animés par des amateurs que des journalistes. C’est peut-être un manque de maturité professionnelle, mais ça n’arrivera pas tant qu’un gros investisseur ne financera pas un organe de presse metal exigeant, journalistique et de qualité.
Pour finir, Phil Anselmo, il est grillé ou pas ?
Je ne pense pas. J’espère qu’on aura les couilles de le laisser jouer, comme un prisonnier qui a payé. Il s’est excusé à deux reprises, il mérite le pardon s’il ne recommence pas. Imaginez : si tous les hommes politiques français qui disaient une connerie s’excusaient deux fois, ce serait formidable.
Phil Anselmo est un mâle alpha du metal, représente un univers hyperviril, traîne avec des bikers et organise un festival de cinéma d’épouvante. Ses excuses sur YouTube sont honnêtes, émouvantes et d’une certaine façon, même, courageuses.
Le dernier ouvrage en date de Nicolas Bénard est Katatonia – Sous un soleil de plomb, écrit à quatre mains avec le “prêtre metalleux” Robert Culat et paru aux éditions Camion blanc.