Près de cinq ans séparent Antidote de Pourvu qu’il pleuve, son troisième disque, et il faut dire que les attentes sont plutôt hautes. En quinze morceaux, qui ont largement pris leur temps pour nous parvenir, Shay dégaine une artillerie lourde, guidée par sa plume bien trempée, son cœur de loveuse et son caractère de (jolie) garce.
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Celle qu’on présentait comme la protégée de Booba sur son premier disque “PMW”, en 2016, confirme ici son indépendance. Elle n’a finalement besoin de personne d’autre qu’elle-même pour faire trembler l’industrie et créer l’événement, et si le rap français aussi a ses reines, on ne peut que croire Shay quand elle nous dit qu’elle leur sert de modèle.
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Jolie garce et fière de l’être
“J’ai fait d’l’argent, mais j’ai gardé tout l’seum / […] L’album n’est pas sorti à temps / Vraie pétasse sait se faire attendre”, avoue sans vergogne l’une des rappeuses les plus épiées et controversées du game. On ne va pas se mentir, on les a entendus, les bruits de couloir, ceux qui grossissent les traits de son mauvais genre, de sa moue boudeuse ou de son caractère difficile, qui auraient mené à des faux départs et tout autant de dates de sortie repoussées.
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Sauf que plutôt que de nier ou d’esquiver ses détracteur·rice·s, Shay l’assume : oui, elle est bel et bien la jolie garce dont vous avez entendu parler, et elle en fait même son business. Les textes, tous coécrits par la rappeuse, baignent autant dans l’egotrip que dans le libidineux et le second degré, et ça fait forcément beaucoup d’effet. En cinq ans, sa plume et sa verve n’ont rien perdu de leur impertinence, et ça fait plaisir à entendre.
De Nabilla à Rihanna, Aaliyah, Lil’ Kim ou Cruella et ses mille et une chattes, Shay name drop plusieurs reines pour célébrer leur esprit bad bitch mais ne peut s’empêcher de tacler les autres femmes de l’industrie – balle perdue pour Vitaa. Certain·e·s diront de son féminisme qu’il est imparfait, d’autres qu’il est stratégique, et beaucoup jugent regrettable son érection en porte-drapeau féministe. Mais de quoi on parle, ici ?
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Oui, son féminisme est peut-être à deux vitesses, tantôt vocal, tantôt questionnable, mais ça ne regarde finalement qu’elle. Qu’on se le dise, sa simple présence dans une industrie aussi hostile à ce qu’elle représente est un acte découlant du féminisme. Savoir si elle, en tant que personne, est féministe, ce n’est finalement qu’un détail. Et si on approchait le nouvel album de Shay comme on approche celui des rappeurs, qu’on érige en rois sans trop se soucier de leurs idéaux ou leurs engagements – surtout quand ils sont douteux ?
“Nouvel album, nouveau flow, p*tasse”
Avec “Partie Hier”, qui se présente comme un clair-obscur divisé par un beat switch impeccable, la Bruxelloise offre une master class d’ouverture. Voilà comment on commence un album. Le titre, semblable à un manifeste de sa ligne de pensée et de conduite de ces dernières années, constitue sa meilleure intro d’album à ce jour. On commence fort.
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La volonté mainstream se fait ressentir, et ce n’est pas une mauvaise chose. “Sans Coeur”, “Jolie Go”, “17”, “Poison Ivy” et l’excellent “T mimi” (une din-gue-rie) nous le prouvent : il y a à boire et à manger pour tout le monde, et il faut s’attendre à voir plusieurs des tubes du disque s’inviter sans mal dans vos playlists de soirée ou la voiture de vos crushs.
C’est sur les sonorités les plus simples qu’elle s’autorise à nous parler d’amour, sans tabou. En témoigne “Shooter” avec son interpolation du classique “Dilemma” de Nelly et Kelly Rowland, qui va vous sourire, sur lequel elle chante “mon cœur perdu en zone de transit, tout s’emmêle, comme un shooter, t’as tiré dans l’mille”. Quand les instrus se font plus sophistiquées et déstructurées, à l’instar de “Santa Fe (Bad Gyal)”, elle troque le romantique pour le frontal : “Fuck ta pétasse qu’est dans sa semaine, t’as rien d’spécial, j’rappe, j’te fais fantasmer”. Parfois loveuse, parfois gangster, parfois chienne, parfois classy.
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Son gars sûr Jo A Touch, producteur pérenne de la rappeuse depuis l’ère Antidote, fait fonctionner sa magie tout du long, partageant les manettes avec des faiseurs de tubes comme, entre autres, Karmen (ami et collaborateur de Mister V ou encore PLK) ou Heezy Lee (derrière “PMW” ou “Thibaut Courtois”) qui signe l’excellent “Baby Daddy”. Shay a clairement eu la vision en réunissant tous ces magiciens pour produire son nouveau bébé, et ça s’entend.
Malgré le manque de réinvention, Pourvu qu’il pleuve n’est pas non plus tout à fait prévisible. Le disque a le mérite de s’aventurer (même timidement) dans quelques nouvelles mouvances, en témoignent l’esprit mélodieux et afro de “Cash”, les sonorités nouvelle génération de “1000 à l’heure” et sa finesse de production cinq étoiles, et les battements subtilement Jersey club de “JGG”, qu’on regrette de ne pas voir s’inviter de façon plus affirmée quand on voit la qualité de ce banger qui ravira celles et ceux à qui l’ère éphémère de “DA” manque déjà.
Au rang des invités, Shay s’entoure des pointures du milieu, à savoir Niska, Gazo et SCH. Un casting prévisible, voire évident, sans pour autant être mauvais. Une fois encore, pas de surprise, mais de la qualité. Si son feat avec Niska a déjà fait ses preuves en tant que single, on se questionne devant celui avec Gazo : très bon titre, mais il ressemble tellement à un bonus de La mélo est gangx, dernier disque de Gazo et Tiakola, qu’on en oublie qu’on est dans un album de Shay.
Si elle ouvre seule son troisième album, c’est aux côtés de son collègue SCH qu’elle le clôture. Et ce genre de move est assez rare dans le rap pour être relevé. Sur une scène qu’on sait impitoyable pour les femmes, à l’heure où elles sont les grandes absentes des albums de leurs confrères, Shay décide non seulement de convier ces derniers sur son disque de retour mais partage carrément le dernier morceau symbolique de l’opus, le touchant “Paradis”, avec son ami marseillais.
“Paradis” fait redescendre la pression et convie le S sur un registre plus mélodieux que ses dernières sorties. De son côté, Shay offre à voir une facette vulnérable d’elle-même, trop rare, avec un texte touchant et vibrant (“J’ai parlé avec les anges, j’leur ai demandé : ‘C’est comment l’paradis ?'”) qui prouve que même la plus impertinente des jolies garces peut nous faire chialer. Très beau morceau, qui conclut le disque aussi finement qu’il a commencé.
Ce qu’on retient de l’album Pourvu qu’il pleuve de Shay
Cinq ans après son silence radio, si on doit avouer un regret, c’est certainement le manque de surprises. Sur Pourvu qu’il pleuve, Shay ne se réinvente que trop peu, préférant cultiver les codes qui ont déjà fait sa gloire. Heureusement, elle le fait divinement bien, et son absence d’expérimentation est pardonné par un niveau plutôt bluffant de production et de qualité, qui va donner du fil à retordre à quiconque voudra dire que cet album n’est pas une franche réussite en termes d’orfèvrerie. Shay est peut-être en retard mais, après tout, “vraie pétasse sait se faire attendre”. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne regrette pas d’avoir été patients. Welcome back, reine.
Les sons qui tirent leur épingle du jeu : “Jolie Go”, “JGG”, “T mimi”, “1000 à l’heure”, “Paradis”.
Les principales qualités : ses textes toujours aussi délicieusement impertinents, un niveau de production et de qualité rare dans le rap game, une belle variété de sons et d’influences (à boire et à manger pour tout le monde).
Le principal défaut : trop peu de réinvention et de surprises après une si longue absence.
Pourvu qu’il pleuve en une punchline : “J’porte mes couilles sans porter d’caleçon”.