Pourquoi The Bear s’est retrouvée dans la catégorie “Meilleure comédie” aux Emmy Awards ?

Publié le par Delphine Rivet,

© FX

La zone grise de la dramédie…

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Ce lundi 15 janvier s’est tenue la 75e cérémonie des Emmy Awards qui récompensent le must-see de la télévision américaine. Chaque année, il y a des favoris indiscutables. Et ce soir-là, ce sont Succession et The Bear qui ont presque tout raflé, respectivement dans les catégories “drame” et “comédie”.

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Une fois passée la joie de ce palmarès satisfaisant, certain·e·s n’ont pas manqué de s’interroger : mais que faisait The Bear dans la catégorie “comédie”, face à Abbott Elementary ou encore Ted Lasso, deux séries calibrées pour nous faire marrer ? Non pas que la fiction avec Jeremy Allen White ne soit pas drôle – ses personnages le sont parfois à leurs dépens, et c’est toujours savoureux –, mais son écriture et sa réalisation ciselées provoquent davantage des crises d’angoisse existentielles que des fous rires.

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Voici donc quelques pistes de réflexion qui pourraient justifier ce choix.

L’épineuse question de la durée

Traditionnellement, les séries américaines diffusées sur les networks (ce sont eux qui ont longtemps donné le ton) sont divisées ainsi : les comédies ont des épisodes de 30 minutes au total (26 minutes si on enlève les intermèdes publicitaires) et les “dramas” durent grosso modo une heure (soit entre 40 et 50 minutes sans compter la pub). Personne, jusque-là, n’était jamais en dehors des clous, ce qui permettait à l’Académie des Emmys un tri plutôt facile : les séries dont les épisodes duraient moins de 30 minutes entraient dans la catégorie “comédie”, et au-delà, c’était du “drama”.

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Sauf que depuis l’émergence des plateformes, la durée n’est plus un indicateur fiable. S’il n’y a plus de pub ni de grille horaire à respecter à la seconde près, la liberté est totale. On a aussi vu monter, cette dernière décennie, une certaine appétence pour un genre intermédiaire : la dramédie. Des chroniques du quotidien, des morceaux de réel, où les petits et gros tracas de la vie sont ponctués d’une douce ironie.

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Le curseur entre humour et gravité se balade à loisir, comme dans la minisérie Acharnés, la grinçante Barry ou encore la formidable Atlanta. Le genre de la dramédie, de plus en plus plébiscité, est aussi un sacré casse-tête pour les cérémonies de remise de prix comme les Emmys. Si la durée n’est plus un élément déterminant, ni le ton de sa narration, où caser ces fictions ?

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L’hypothèse du choix stratégique

En 2021, les Emmys ont un peu baissé les bras face à cette problématique. L’Académie laisse désormais les studios et producteur·rice·s décider du meilleur placement. Et c’est sans doute – c’est en tout cas l’intuition de beaucoup de critiques spécialisé·e·s – ce qu’il s’est produit pour The Bear. Parce qu’à bien y réfléchir, Succession nous a aussi donné de grands moments de comédie (c’est aussi, si vous voulez notre avis, la signature des grandes séries dramatiques).

Oui mais voilà, la série de Jesse Armstrong était le rouleau compresseur de la catégorie “drama” cette année, comme les précédentes. Personne n’imaginait qu’elle puisse repartir les mains vides pour son ultime saison. Les producteur·rice·s de The Bear avaient très certainement conscience qu’en faisant entrer cette dernière dans la course pour la meilleure série dramatique, elle n’aurait aucune chance. Et c’est là que la flexibilité des nouvelles règles des Emmys s’est trouvée fort utile.

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Qu’on l’admette ou non, le genre dramatique est, à notre grand désespoir, plus valorisé par l’industrie culturelle que la comédie. Aussi, en mettant The Bear face à la pourtant très drôle et pertinente Abbott Elementary, autre favorite du groupe, elle avait une chance de se distinguer. C’est injuste, mais c’est aussi ça, la compétition.

La réponse de l’équipe de The Bear

Évidemment, cette théorie, partagée par beaucoup d’observateur·rice·s du milieu, n’est pas la raison officielle donnée par l’équipe de The Bear. Après chaque prix, les récipiendaires passent dans la press room où les questions des journalistes fusent. Naturellement, celle sur la place de The Bear dans la catégorie “comédie” a été soulevée.

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Voici donc la réponse de la production :

“Je pense que la série est comme la vie : parfois c’est drôle et parfois on est dans le réel, et ce qu’on essaye de faire, c’est raconter des histoires qui sonnent vrai. Chaque épisode dure à peine 30 minutes, donc ça rentre dans la case ‘Comédie’.

Nous, tout ce qu’on essaye de faire, c’est de raconter la vérité et faire ressentir des émotions aux gens. Alors si le public rit, pleure ou a la moindre réaction, on ne contrôle pas ce qu’il se passe après ça. Tout ce qu’on peut faire, c’est faire de notre mieux pour raconter les meilleures histoires.”

La frontière entre drame et comédie de plus en plus poreuse

Le meilleur argument, c’est finalement celui d’Ebon Moss-Bachrach, qui joue Richie : “Ces concepts de comédie et de drama, c’est un peu dépassé.” Peut-être, en effet, qu’il ne faudrait qu’une seule catégorie, celle de la meilleure série. Car, comme on le disait plus haut, ces dernières années, on a vu émerger des fictions proches du réel, avec des histoires, des personnages et des émotions toujours plus proches de nous.

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Reste que la comédie est un genre qui dépérit. Ou, du moins, la comédie dans sa forme originelle – comme la sitcom traditionnelle qui a pratiquement disparu des écrans – a connu de telles mutations et a tellement été diluée dans d’autres sous-genres qu’elle peine à tirer son épingle du jeu. Lorsque Ted Lasso, pour ne citer qu’elle, a rencontré son succès critique, c’est surtout sa capacité à nous cajoler plus que celle de nous faire rire qui a été saluée.

L’art de l’écriture dramatique a toujours une aura, légitime ou non, de noblesse, là où la comédie serait systématiquement ramenée à son rôle de “divertissement” (qui n’est pourtant pas un gros mot). Donc oui, il y a sûrement eu un choix délibéré des équipes de FX de mettre The Bear à l’abri du rouleau compresseur qu’est Succession pour se donner les meilleures chances de gagner.

Mais, s’il est légitime de s’interroger sur l’évolution des remises de prix à mesure que l’industrie et l’art des séries changent, The Bear et ses cuistots névrosés méritent chacune de leurs récompenses !