Pourquoi l’interdiction aux moins de 18 ans de Terrifier 3 est historique, problématique (et justifiée ?) en même temps ?

Publié le par Arthur Cios,

(© ESC Éditions / Shadowz Films / Factoris Films)

C’est une première en France pour un film d’horreur depuis Saw 3 en 2006.

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C’est suffisamment rare pour que ça soit l’objet de discussion ici et là. Après une sortie sur la plateforme Shadowz pour le premier, puis en salle pour le deuxième, Terrifier et Art le Clown devaient revenir sur nos écrans géants pour traumatiser les aficionados à l’approche d’Halloween. Sauf que tout ne se passera pas comme prévu.

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Moins d’une semaine avant la sortie salle de ce Terrifier 3 ce 9 octobre, les distributeurs (ESC Éditions, Shadowz Films et Factoris Films) ont dévoilé un communiqué pour expliquer que le film venait d’écoper d’une interdiction en salle pour les spectateur·rice·s de moins de 18 ans par la Commission de Classification, même si ce dernier préconisait au départ une interdiction aux moins de 16 ans.

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Une première pour une sortie salle d’un film d’horreur depuis Saw 3 en 2006, et une décision qui pose bien des questions.

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Dont la première est :

Qu’est-ce que cela signifie réellement ?

Dans une économie restreinte de celle du cinéma aujourd’hui, perdre les 16-18 ans est concrètement un grand manque à gagner. On sait, grâce aux récentes études du CNC, que si 85 % des 15-24 ans sont allés au moins une fois au cinéma en 2023 en France, c’est en grande partie pour soit pour de l’action (plébiscitée à 86 %), soit pour de l’horreur (77 %).

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Il faut comprendre que l’association entre l’éditeur ESC et la plateforme de streaming Shadowz est récente, qu’ils n’ont sorti à date que quatre films en salle (Terrifier 2, The Sadness, When Evil Lurks, et Terrifier 3, donc). Leur modèle est donc fragile, et encore plus fragilisé par cette décision.

D’autant plus que normalement, les exploitants sont plutôt frileux à l’idée d’exploiter des films limitant à ce point le public. Cela veut dire moins d’entrées potentielles pour eux, et un film “extrême” qui peut provoquer des réactions des spectateur·rices — même si, sur les sorties précédentes d’ESC, “jamais la moindre d’entre elles n’a occasionné le moindre débordement en salles” comme le rappelle le communiqué de presse.

Là où l’interdiction aux moins de 18 ans tombe comme un couperet, c’est que les distributeurs étaient sereins sur le fait qu’ils n’écoperaient que d’une interdiction aux moins de 16 ans. Comme c’était le cas pour Terrifier 2, et comme le Comité avait préconisé lors du premier visionnage consultatif.

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Victor Lamoussière, responsable distribution cinéma & marketing vidéo pour ESC, nous explique ainsi :

“Le premier visionnage par le comité avait eu lieu en début de semaine dernière. En effet, il nous avait mis en confiance, et nous avions commencé à rassurer les exploitants.

Cependant, ce premier avis n’a qu’une valeur consultative. Compte tenu de sa violence, le film a en toute logique été renvoyé en commission plénière, commission indépendante, pour second visionnage. Et c’est là qu’a été décidée l’interdiction aux moins de 18 ans.

Nous avons l’habitude que nos films soient renvoyés en plénière. Notre surprise vient du fait que jusqu’à maintenant, jamais nous n’avions constaté un tel écart entre l’avis du 1er comité de visionnage, et la décision de la commission. Nous pensions que le film recevrait ‘au pire’ une interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement, comme ce fut le cas pour The Sadness.

Le -18 nous paraît sévère.”

Victor explique malgré tout que les distributeurs ont accepté cette décision, et n’ont pas fait de recours (“nous n’aurions eu le résultat du recours que mardi soir, alors que nos enjeux de programmation se sont joués entre vendredi et ce soir” explique Victor). Si la décision est aussi tardive, c’est parce qu’ils ont reçu le film tard de la part des Américains, ce qui fait que l’envoi en comité s’est aussi fait sur le tard.

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Que symbolise cette punition ?

La présidente de la Commission de la classification, contactée par nos soins à travers le CNC, n’a pas eu le temps de répondre à nos questions. Ils nous ont néanmoins communiqué la décision, qui s’appuie sur l’article R211-12 du Code du cinéma et de l’image et de l’image animée :

La Commission propose une mesure d’interdiction aux mineurs de moins de dix-huit ans pour ce film violent et gore mais qui a la particularité de multiplier les scènes sadiques d’une extrême violence avec la volonté d’associer le spectateur à une forme de glorification de la violence présentée sous un jour favorable de nature à troubler gravement la sensibilité du public avec néanmoins un propos narratif qui l’apparente à un film d’horreur à l’esthétique gore justifiant l’interdiction aux moins de dix-huit ans.

Selon Victor, cette dernière phrase justifie “le fait que le film n’ait pas été classé X”. Sauf que derrière tout ça se cache une réalité.

Le film est l’un des plus violents que l’on ait pu voir. Certes, The Sadness était aussi terrible, et beaucoup plus premier degré comme nous le rappelle Victor. Mais il y a deux scènes ici (qu’on ne spoilera pas), qui malgré l’aspect grand guignolesque, pourraient justifier cette classification. Une qui représente une violence sexuelle comme on en a jamais eu sur nos écrans géants, et une impliquant des enfants dans un supermarché qui, dans le contexte actuel, peut être (très) difficile à regarder.

Cependant, se pose la question de la sanction en elle-même. Le film est-il l’un des plus extrêmes à sortir en salle ? Possiblement. Bien plus que Saw 3, par ailleurs. Sauf que les mœurs, notre rapport à l’horreur, et la violence des images du septième art ont changé. Depuis 2006, des films bien plus crus et difficiles que le troisième Saw sont sortis sans ce couperet du moins de 18 ans.

La distinction entre – de 16 ans et – de 18 ans peut paraître de plus en plus artificielle à ce sujet-là. Aux États-Unis, soit un film est PG-13, comprendre qu’un accompagnement parental pour les moins de 13 ans est recommandé, soit il est R-Rated (les moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte) voire NC-17 (interdit aux moins de 17 ans). Pas d’entre deux. On pourrait sérieusement questionner la pertinence d’un tel distinguo.

Dans les années 1970-1980, la sentence était monnaie courante — et parfois pour des films désormais cultes comme Orange mécanique, Psychose, Massacre à la tronçonneuse, Taxi Driver, et plus encore. Elle a commencé à se faire plus rare, pour le cinéma d’horreur sortant en salle en tout cas, à partir de la fin des années 1980. Pour l’horreur, puisque côté pornographie, des films comme Baise-Moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, Nymphomaniac – Volume 1 de Lars Von Trier ou Love de Gaspar Noé, tous trois sortis dans les années 2000-2010, avaient eu la même sanction. Mais disons qu’à part Saw 3 en 2006, et Saw 3D qui a eu une interdiction aux moins de 16 ans pour sa sortie salle, réévalué à moins de 18 ans cinq ans plus tard, cela n’existe plus. On pouvait espérer que le CNC considérait cette classification caduque. Visiblement pas.

Est-ce une punition symbolique ? Est-ce une forme de censure ? Nous n’avons pas pu poser la question au CNC pour l’instant.

Selon le distributeur, dans le communiqué, c’est très clair :

“L’histoire du cinéma de genre, ses excès et ses outrances, sont intimement liés à l’histoire même du cinéma. Restreindre son accès aux spectateurs sera toujours une décision grave au message inquiétant, isolant les auteurs en les éloignant de leur public.”

Est-ce si mauvais pour le film ?

Tenir éloigné le public du film était évidemment la grande crainte des défenseurs de l’horreur, des distributeurs et du film. Sauf que la décision du CNC ira peut-être finalement dans le sens de Terrifier 3.

Le film va sortir sur 114 copies, soit 22 de plus que Terrifier 2. Les 92 copies de ce film “relevaient du miracle à l’époque” explique Victor, puisqu’il faut rappeler que c’était la suite d’un film sorti directement en VOD et jamais en salle, qui durait 2 heures 20, et interdit aux moins de 16 ans. Pourtant, malgré l’interdiction aux mineurs, le film sera présenté dans plus de salles.

Cela reste moins que les 130 à 150 copies que visaient ESC et Shadowz avant que le CNC ne tranche.

Un résultat plus qu’honorable, qui est “à la fois un miracle, et en même temps le fruit de l’énorme boulot de notre programmatrice Marie, qui a réalisé un véritable travail de fond auprès des exploitants, afin de les rassurer au maximum” comme le raconte Victor. Ce résultat peut aussi s’expliquer par une mobilisation de fans du genre, en ligne et dans les salles (certaines séances étant déjà complètes un peu partout en France). Pour certain·e·s, voir le film en salle sera aussi, et peut-être même avant, une manière de défendre l’art, l’horreur, et les acteurs en jeu pour cette sortie.

Tout n’est pas tout rose pour autant, comme l’explique Victor :

“À noter cependant que quelques salles se sont retirées, nous avons évidemment perdu des séances ainsi que plusieurs salles dites de profondeur (souvent des salles de municipalités). Et surtout, nous savons que nous marchons sur des œufs : au moindre débordement, le film sera déprogrammé. Mais nous avons confiance en nos spectateurs. […]

Il s’agit de films de niche, réservés à des cinéphiles passionnés et avertis, qui respectent les films, notre travail, et le travail des cinémas.”

Reste à savoir ce que le bouche à oreille fera — et si le nombre d’entrées dépassera celui de Terrifier 2, qui avait terminé sa course proche des 71 000 entrées.