Pourquoi les intelligences artificielles foutent le bordel dans le monde de l’art ?

Publié le par Lise Lanot,

© Trust De Brécy

On l’appelle "la bataille des IA" et elle oppose des scientifiques qui s’écharpent à propos d’une œuvre à l’authenticité discutée.

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En début d’année, une étude menée par une équipe scientifique de l’université de Bradford semblait mettre fin à quarante ans d’interrogations concernant la peinture De Brécy Tondo. Le propriétaire, depuis 1981, de cette Vierge à l’enfant était persuadé d’avoir acheté une œuvre de Raphaël – parce que les visages de Marie et son petit ressemblent, selon lui, à ceux visibles sur La Madone Sixtine du peintre italien en question. Face à cette affirmation, les spécialistes s’écharpaient, certain·e·s estimant qu’il s’agissait plutôt là d’une façon pour le tout nouvel acquéreur de faire monter la cote de l’œuvre.

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Voyant que “personne n’était parvenu à lier [le tableau] à Raphaël de façon concluante”, l’équipe dirigée par le professeur Hassan Ugail avait “utilisé une reconnaissance faciale assistée par intelligence artificielle afin de comparer le Tondo à la Madone”. L’algorithme (à l’origine créé afin “d’identifier des criminels internationaux sur des vidéos un peu brouillées de caméras de sécurité”, notait alors Hyperallergic) avait comparé les deux œuvres et conclu “sans nul doute” que les deux œuvres avaient été créées “par le même artiste”. Les similarités entre les deux Madones étaient évaluées à 95 %, et 86 % entre les deux enfants.

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De Brécy-Tondo. (© De Brécy Trust)

L’annonce avait ravi l’équipe de l’Université de Bradford, qui s’était réjouie de ces conclusions et de la façon dont ces dernières “illustrent la valeur croissante de la preuve scientifique dans l’attribution d’une peinture” autant que le propriétaire de De Brécy Tondo, qui se retrouvait soudain en possession d’une œuvre à la cote drastiquement augmentée.

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Mais voilà, quelques mois plus tard, l’entreprise suisse Art Recognition, spécialisée dans l’authentification d’œuvres d’art grâce à l’IA, a décidé de mener sa propre étude, dirigée par la scientifique Carina Popovici. La chercheuse a annoncé que la probabilité que l’œuvre n’ait pas été réalisée par Raphaël était de 85 %, rapporte le GuardianCette annonce contradictoire est une bonne nouvelle pour les spécialistes de l’art qui s’inquiétaient de voir les intelligences artificielles devenir argument d’autorité.

Selon Michael Daley par exemple, directeur de l’organisation ArtWatch UK, qui veille aux bonnes pratiques de conservation et d’exposition des œuvres d’art, il est clair que si les deux De Brécy Tondo et La Madone Sixtine sont si semblables, c’est justement parce que la première est une très bonne copie, forcément réalisée par quelqu’un d’autre. Si Raphaël lui-même avait voulu se copier, “il aurait introduit des modifications ou des déviations par rapport à son propre travail”, a-t-il éclairé auprès du Guardian.

La valeur croissante donnée à la preuve scientifique et artificielle dans l’attribution d’une peinture interroge d’autant plus lorsque ces preuves servent des propriétaires privé·e·s et, surtout, leur compte en banque. Ce qui a déjà été surnommé “la bataille des IA” devrait freiner la confiance, grandissante, accordée aux intelligences artificielles et à leurs conclusions. Finalement, le plus beau serait sans doute de ne jamais savoir qui a peint l’œuvre, mais de continuer à en profiter – enfin, le plus beau pour tout le monde, sauf peut-être pour son propriétaire.

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