“Pour gagner, il nous faut des mecs forts et musclés.” Cette réflexion d’un autre temps est tirée de l’émission de téléréalité Les Marseillais vs le Reste du Monde vs les Motivés, actuellement en diffusion sur W9. La compétition produite par Banijay, appelée aussi Le Cross, se résume ainsi : trois familles, trois chefs, trois hommes. Les femmes peuvent, au mieux, prétendre au titre de Première dame. Sous leurs airs de mecs tchatcheurs, les candidats, épaulés par les productions, affichent les pires codes de la virilité et du machisme. “Torse plein”, ils se montrent jaloux et possessifs envers les femmes dont le corps en maillot de bain est exposé à longueur d’épisodes.
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Depuis deux décennies, le petit écran ressert la même masculinité toxique. “La téléréalité n’est pas déconnectée de la vie réelle, mais elle exagère les normes pour des impératifs d’audimat”, indique Illana Weizman, sociologue et autrice de Ceci est notre post-partum (éditions Marabout). Plus télégéniques, les comportements toxiques permettent de faire des séquences, autrement dit du “buzz”. Si un mec hétéro veut percer sur les réseaux, il doit enchaîner les conquêtes, voire les superposer. Dans Le Cross, Alan Brncic ira jusqu’à dire à son ex-copine, Clarysse Pereira, “heureusement que je t’ai trompé” lorsqu’elle refuse de le suivre sur les éliminations. Trois jours plus tôt, il se vantait d’avoir été infidèle “entre cinq et dix fois” lorsqu’ils étaient ensemble.
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Après avoir agi comme des cafards, ils tentent – de façon systématique – de reconquérir la femme blessée. Et ça marche. “Dire qu’elles ont réussi à dompter les bêtes, c’est très valorisant pour les candidates”, souligne Illana Weizman. Exemple avec Carla Moreau, mariée à (et en instance de divorce avec) Kevin Guedj, ex-pilier des Marseillais. Avant de peser 3,3 millions d’abonnés sur Instagram, Carla a campé le rôle de la vierge effarouchée, régulièrement trompée par “le jaguar”. Elle a 18 ans quand elle intègre le tournage des Marseillais : South Africa (2016), lui en a 26. En téléréalité, la différence d’âge est renforcée par l’arrivée ininterrompue de “nouvelles” présentées comme de la chair fraîche face à des hommes d’une trentaine d’années.
Dans Le Cross, Angèle Salentino comprend dès la première heure de tournage qu’elle doit entretenir une relation amoureuse, et de préférence avec l’une des starlettes du programme. “C’est mieux pour toi si tu vas avec le plus ancien”, lui aurait-on sous-entendu. À l’écran, le couple se déchire. Moins connue que le Marseillais, Angèle suscite moins d’empathie de la part des téléspectateurs. “Faire passer les femmes pour des bimbos écervelées, c’est une façon de les déshumaniser”, analyse-t-elle. Ce qui les rend d’autant plus inaudibles lorsqu’elles rapportent des faits de misogynie ou d’agression de la part d’une grosse tête de la télé. “Certains candidats violents et misogynes vont être repris dans les programmes et leur comportement est rarement sanctionné”, déplore Jeremstar, ex-blogueur de la téléréalité et auteur de Survivant des réseaux sociaux (éditions Hugo Doc).
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En 2021, Angèle Salentino lance le mouvement #boycottlesanges, pour dénoncer le harcèlement dont elle dit avoir été victime sur les tournages des Anges de la téléréalité et des Vacances des Anges, deux émissions produites par La Grosse Équipe et diffusées sur NRJ12. Ces dernières années, l’omerta s’est levée et plusieurs candidats ont été accusés de violences verbales ou physiques envers des femmes. En mai 2022, Mediapart révèle que l’un des tauliers de téléréalité, Illan Castronovo, est visé par deux plaintes pour violences sexuelles. Ce qui ne l’empêche pas de se retrouver à l’affiche d’Un dîner presque parfait sur M6, en août dernier. Avant lui, c’était une autre grosse tête, Julien Guirado, qui était accusé de violences conjugales sur son ex, Marine El Himer, en mai 2020. Blacklisté des programmes phares de W9, il revient par la petite porte en 2021 dans l’émission Love Coaching animée par Aissa Moments, où il parle d’une relation “violente” et “destructrice”.
En mai dernier, le petit monde de la téléréalité est de nouveau éclaboussé par des accusations de violence. Une vidéo fuite sur la Toile dans laquelle on voit Hicham, participant de la JLC Family, penché sur une jeune femme assise par terre. Il lui crie dessus, semble frapper contre un mur, puis attrape sa tête avec ses deux mains. Dylan Thiry et Ahmed Thaï sont hilares tandis qu’un autre regarde. Ces trois personnalités étaient sur les tournages des Princes et les princesses de l’amour (W9) et de La Villa des cœurs brisés (TFX). Ils ne sont pas programmés dans d’autres émissions.
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Selon Haneia Maurer, aperçue dans Les princes et les princesses de l’amour, le vent est en train de tourner pour certains : “La guerre des vues pouvait à l’époque faire fermer les yeux, car on ne savait pas qui croire ou quoi faire dans des situations gênantes. Aujourd’hui, la télé a évolué. Elle est beaucoup plus encadrée.” C’est aussi ce que sous-entend Anais Elias, “prétendante” dans la même émission. Sans prononcer son nom, elle parle des difficultés rencontrées avec son “prince”. “Il me parlait tout le temps super mal et me méprisait”, rembobine la jeune femme. Celle qui ne dirait pas non à une nouvelle téléréalité dit avoir été soutenue par la production, qui a évincé le candidat en question.
Preuve de la lassitude des téléspectateurs, Les princes et les princesses de l’amour a été déprogrammé par W9 et le même sort devrait être réservé aux Marseillais. À en croire les audiences qui s’essoufflent, les carcans patriarcaux ne semblent plus faire rêver les internautes qui ont besoin de changement. De là à obliger les productions à revoir leurs copies ? Sur ce sujet, Banijay Productions n’a pas souhaité nous répondre. “Les codes sont les mêmes depuis le début des années 2000, ça manque de représentation normale”, insiste Jeremstar. La preuve avec le succès de la Star Ac’, télécrochet bienveillant repris par TF1. La masculinité toxique en télé deviendrait-elle has been ?