Depuis le confinement qui nous a permis d’explorer le catalogue Netflix sous toutes les coutures et le succès à la fois mainstream et critique (Golden Globes, Emmy Awards) de Squid Game en 2021, il n’est plus rare de voir apparaître des titres de séries coréennes dans le top 10 de la plateforme. Les succès les plus récents, à savoir Business Proposal, The Glory, All of Us Are Dead ou Juvenile Justice, ont d’ailleurs cumulé des dizaines de millions d’heures de visionnage hors des frontières de la Corée du Sud.
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Conscientes de l’enthousiasme suscité par ces dernières, les autres plateformes (Disney+, Apple TV…) se sont elles aussi mises à produire du contenu original coréen. Si les genres sont différents, allant de la romance au thriller, en passant par la série de zombies, quelques éléments communs permettent d’expliquer ce succès, notamment en Occident.
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Alors, au-delà de la qualité visuelle, du marketing et des algorithmes, qu’est-ce qui nous séduit dans les K-dramas ?
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Un traitement frontal des inégalités
Antoine Coppola, professeur de cinéma à l’université Sungkyunkwan de Séoul, nous rappelle que les séries qui connaissent un véritable succès en Occident sont des séries produites en liaison avec des plateformes américaines (Netflix, Apple TV, Disney+, etc.). Les dramas produits localement par des chaînes de télévision s’exportent quant à eux depuis plus de 20 ans dans les pays d’Asie, touchant surtout les initiés au niveau global. En 2002, la série romantique Winter Sonata séduit le public japonais et initie les débuts de ce qu’on nomme “la vague coréenne”, aussi nommée “Hallyu”.
Si ces séries trouvent leur public au-delà de la Corée, c’est en partie grâce à leur traitement frontal des problèmes de société tels que les inégalités sociales, la corruption, le harcèlement scolaire, l’endettement, la concurrence acharnée ou la pression au conformisme. Des problèmes souvent exacerbés en Corée du Sud, pays qui a connu la colonisation, la famine, la guerre et une croissance fulgurante qui a renforcé les inégalités (le pays possède le taux de suicide le plus important des pays de L’OCDE).
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“Avec la critique de la société du spectacle, ces séries dénoncent directement, sans trop tourner autour du pot, comme souvent dans les séries occidentales, le capitalisme moderne et son idéologie de la compétitivité”, nous explique Antoine Coppola, qui ajoute :
“Dans Squid Game, la plupart des joueurs sont d’emblée endettés à vie et le jeu est la métaphore de la compétition à mort dans la vie réelle. Dans All of Us are Dead, l’enjeu de chaque épisode est de faire prendre conscience aux lycéens qu’ils doivent se serrer les coudes au lieu de suivre leur éducation qui les conditionne à être égoïstes, envieux, avides de réussite pour dominer les autres. En cela, il y a une forme critique du pouvoir en général qui trouve facilement des échos partout dans le monde au quotidien.”
Ophélie Surcouf, autrice des livres K-Pop culture et Pourquoi la Corée ? nous explique que la normalité des personnages qui ne sont pas des super-héros et ne sont pas non plus déconnectés de la réalité, à l’instar d’Emily in Paris, participe à cet attachement :
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“Au lieu de le faire à l’américaine avec des personnages qui ont la volonté de sauver le monde, les Coréens y apposent quelque chose de plus intimiste, se concentrant sur des histoires personnelles et misant sur des mécaniques de revanche sociale qui créent quelque chose de cathartique.”
Cette exploration directe des sujets de société liés à l’exploitation capitaliste est permise par la plus grande liberté qu’offrent les plateformes de streaming aux auteurs coréens qui ne trouvent pas forcément autant d’opportunités avec des productions locales plus frileuses.
Une certaine vision de l’amour et de la masculinité
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Un type de série, plus local, a aussi su trouver son public international, bien avant le succès des plateformes, grâce au travail des fans déjà initiés aux productions coréennes. Ces œuvres, souvent romantiques (mais pas que) mêlent aux péripéties de la vie moderne la mythologie du pays et insufflent des valeurs plus traditionnelles. Le respect des aînés, l’esprit de collectivité et l’optimisme sont mis en valeur mais la représentation de l’amour et de la masculinité pourrait être une des raisons de leur succès.
Dans son essai Intimacy Beyond Sex: Korean Television Dramas, Non Sexual Masculinities and Transnational Erotic Desire, la chercheuse Min Joo Lee, qui a étudié des femmes occidentales venues en Corée motivées par une vision de la masculinité mise en scène dans les dramas, s’interroge sur les représentations à l’œuvre dans ces derniers. Elle nous explique :
“Les protagonistes performent souvent une sorte de masculinité idéalisée. Ils sont loyaux, dévoués, beaux et en forme physiquement. Des universitaires ont théorisé qu’une telle masculinité apparaît à la télévision coréenne avec la montée du pouvoir de consommation des femmes. Les spectatrices sont celles qui s’engagent le plus dans les activités de fans liées aux dramas. Les producteurs essayent donc de satisfaire leurs désirs en dépeignant une masculinité idéale qu’ils pensent que les femmes voudraient voir.”
Conjointement à la mise en scène de ces qualités romantiques et esthétiques, l’absence de sexualité à l’écran peut sembler attractive auprès d’un public occidental jeune et féminin (mais pas que) qui suffoque dans un contexte local de masculinité virile et hyper-sexuelle. Ainsi, les protagonistes “non sexuels” semblent plus romantiques et moins menaçants. Notons que cette vision renforce les stéréotypes orientalistes racistes de l’homme coréen, plus largement asiatique, moins virils et sexuels.
Min Joo Lee illustre son propos avec le drama Goblin: The Lonely and the Great God, une des séries romantiques les plus populaires de ces dernières années. Elle décrit notamment la scène de la nuit de noces des deux protagonistes durant laquelle ils s’allongent habillés sur le lit et se regardent dans les yeux avant que la protagoniste ne s’endorme sous le regard amoureux de son mari. Ce n’est pas la sexualité qui crée l’intimité, mais un sentiment d’attention pour l’autre.
La chercheuse explique que ce sont les régulations de diffusions strictes qui limitent les représentations de la sexualité (sensationnalistes) dans les médias coréens. Ainsi, “Si un programme ne respecte par les règles de la KCSC, [la Commission des Standards de Communication en Coréen, ndlr], les producteurs sont punis.” Antoine Coppola ajoute que les dogmes néo-confucianistes qualifient l’amour de fantaisie dangereuse. Cela influence donc les représentations ou leur absence et participe à rendre la sexualité taboue.
Ophélie Surcouf rappelle aussi que ce type de drama a tendance à être boudé par la critique à cause de son vernis romantique, mais qu’ils sont nombreux à connaître le succès grâce à leur qualité d’écriture :
“J’ai l’impression qu’en Occident, notamment en France, on va valider un contenu qui critique quelque chose, que le visionnage est justifié par un certain intérêt intellectuel. C’est une des raisons pour lesquelles on se moque des contenus plus pop, mais les auteurs coréens sont très forts pour créer des séries romantiques avec une écriture grandiose du point de vue psychologique ou des dialogues comme c’est le cas de My Liberation Notes.
Business Proposal et L’Alchimie des âmes ont fait leur apparition dans les top 10 de Netflix car finalement, ce qui marche, ce sont les bons contenus, quel que soit le genre.”
Ce qu’on peut affirmer, c’est que la création sérielle coréenne semble avoir de beaux jours devant elle.