“Pour ne plus entendre les sirènes” : en Ukraine, la résistance par la rave photographiée par Andréa Sena

Publié le par Lise Lanot,

© Andréa Sena

Des photos en noir et blanc, prises au flash pendant des raves clandestines pour "ne plus entendre le bruit des sirènes".

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En 2020, après deux années passées à photographier, en autodidacte, “des conflits sociaux en France”, Andréa Sena se lance dans son premier projet documentaire. Pendant deux ans, elle se lance dans “une étude des nuits clandestines à Paris en temps de Covid-19”. La photographe ravive son intérêt pour la fête sous toutes ses formes à l’été 2023, dès son arrivée en Ukraine où des contacts connus lors d’un séjour précédent lui parlent “d’une fête légale”, de jour, à Lviv (dans l’ouest de l’Ukraine).

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“La communauté était principalement underground et queer, mais de jour. […] Pendant cette fête, j’ai fait la connaissance d’une personne qui organisait des soirées clandestines. Après lui avoir montré mon travail anonyme sur la pandémie du Covid-19 à Paris, nous avons mis en place une collaboration avec comme but d’exposition un projet humanitaire.”

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© Andréa Sena

Pendant deux mois, Andréa Sena participe à des soirées clandestines à Lviv et à Odessa. “Mon quotidien était très différent de ma première visite en Ukraine, en 2022. Après un an de conflit, la manière de vivre évolue à mesure que le conflit s’étend dans la durée”, raconte l’artiste.

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Au milieu des raves qu’elle écume, et malgré l’effervescence ambiante, Andréa Sena capte des scènes presque intimistes, avec des gens qu’elle ne connaît pas : “Être étrangère à ce milieu m’a permis dans certains cas une connexion plus directe avec les personnes que je photographie pendant les soirées. [Après avoir passé] le contrôle d’accès, aucun danger n’est palpable et la confiance est instaurée. Le monde LGBTQIA+ inspire de plus en plus à créer des espaces sûrs et bienveillants à l’international.”

© Andréa Sena

Pour prendre ses images, Andréa Sena convoque une démarche “particulièrement instinctive”, elle raconte s’imprégner du lieu qui l’entoure et “observer beaucoup avant d’initier une prise de vue”, toujours au flash. “Étant dans une obscurité totale, la connaissance du cadre et le ressenti abdominal de chaque note de musique sont essentiels à une bonne photographie corporelle clandestine. L’image au flash, rapidement intrusive, fait que, généralement, une seule photographie est prise sur le moment.”

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Résister à 150 BPM

Monochromes, les images visent une certaine intemporalité qui se mue en célébration de la résistance. “Le milieu musical techno, avec ses vices, est résistance et elle se forme tout particulièrement quand elle fait face au risque de mort. Sur ce sujet en Ukraine, la réponse est claire : nous ne voulons plus entendre le bruit des sirènes et tant qu’à ne pas être encore enrôlé·e·s dans l’armée – en ce qui concerne les hommes –, face à Poutine, crions que nous vivons. Certains militaires participent à cette vie cachée ; d’autres la laissent s’organiser malgré le contrôle martial et le couvre-feu. Les traumatismes se soignent par la musique assourdissante et certaines personnes se laissent aller à la consommation de drogues afin d’exorciser la douleur d’un souvenir.”

© Andréa Sena

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Au-delà de la musique, ce “mouvement illégal de rave” est devenu “thérapeutique pour délivrer les expériences de l’est”, souligne Andréa Sena. “Au repos, des soldats en civil ont participé aux événements comme pour repousser l’agression en-dehors des terres, la souffrance et la mort d’ami·e·s.”

En transmettant à travers ses images plus “qu’une simple vision de la nuit, de ses vices ou d’autres caractéristiques identitaires”, elle partage une “forme de vie apolitique réglementée et punie” qui deviendra de plus en plus courante et vient confirmer “la déchirure d’un monde à l’agonie financé par la vie d’autrui”.

© Andréa Sena

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© Andréa Sena
© Andréa Sena
© Andréa Sena
© Andréa Sena

Le livre d’Andréa Sena Des larmes caucasiennes est disponible aux éditions Vérone. Le vernissage de son travail aura lieu à la librairie Libralire, située dans le 11e arrondissement, ce samedi 28 septembre de 17 heures à 20 heures.