Des clubs de strip-tease aux sommets des charts américains : le pari réussi de Cardi B

Publié le par Naomi Clément,

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“Bodak Yellow”. Depuis la sortie de ce puissant single, Cardi B est devenue la nouvelle coqueluche de la scène rap US. Retour sur une fulgurante ascension.

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Comme chaque année depuis 1984, les MTV Video Music Awards, dont la 34e cérémonie s’est déroulée ce dimanche 27 août à Inglewood, en Californie, ont eu droit à leur lot de performances flamboyantes. Parmi elles, celles d’un Kendrick Lamar majestueux, d’un Gucci Mane en Gucci, mais aussi celle, peut-être moins impressionnante mais tout aussi attendue, d’une Cardi B déchaînée. Enveloppée dans un habit de lumière composé d’un body étincelant et d’une paire de bottes Saint Laurent assortie, la rappeuse de 24 ans a en effet ouvert la soirée en interprétant “Bodak Yellow”, l’un des tubes les plus écoutés de cette année 2017.

Grâce à ce puissant banger, classé troisième au Billboard Hot 100 à sa sortie en juin dernier et désormais considéré comme le titre de hip-hop féminin le plus vendu de l’histoire, Cardi B est aujourd’hui vue comme un poids lourd du rap américain, légitimée par de nombreux magazines dont le réputé Noisey, qui affirmait récemment que “‘Bodak Yellow’ ne marquait que le début du règne de Cardi B”. Un règne qui, pour beaucoup, était encore impossible à imaginer il y a seulement quelques mois.

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“Tu fais juste quelques lap dances, et puis voilà”

De son vrai nom Belcalis Almanzar, Cardi B est née d’un père dominicain et d’une mère originaire de Trinidad. Élevée dans le Bronx, elle biberonne à la bachata, au reggaeton et au dancehall, avant de se prendre de passion pour le rap new-yorkais des années 1990 et 2000. Postée devant MTV, elle se délecte des clips d’artistes telles que Lil’ Kim ou Remy Ma, qui feront non seulement naître son amour du hip-hop, mais également son goût prononcé pour la performance. Scolarisée au Renaissance High School for Musical Theater and Technology, l’adolescente, alors âgée de 16 ans, s’épanouit en interprétant avec une assurance précoce les plus gros tubes du moment sur la scène du lycée, immortalisée par une caméra VHS.

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Deux ans plus tard, en parallèle de ses études à l’université, la jeune femme travaille à l’Amish Market, un supermarché du Lower Manhattan dont elle se fait bientôt renvoyer pour se reconvertir, sans transition aucune, dans un tout autre milieu : celui des clubs de strip-tease. Une décision qui, selon elle, l’aurait aidée à s’échapper de la pauvreté et des violences domestiques infligées par son petit ami de l’époque. “À cette période, je vivais avec lui chez sa mère, aux côtés de deux pitbulls et de sa sœur qui n’arrêtait pas de voler le peu d’argent que j’avais – et ma weed, relatait-elle pour Complex en 2016. […] Le jour où je me suis fait virer [de l’Amish Market, ndlr], je me suis dit : ‘Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?’ Le manager du magasin m’a répondu : ‘Tu es jolie et tu as un corps de rêve. Pourquoi tu n’irais pas taper à la porte du Private Eyes, le club de strip qui se situe à deux pas d’ici ?'” Elle poursuit :

“Et là je me suis dit : ‘Oh mon Dieu, non, je ne veux pas être à poil !’ Quand j’étais plus jeune, je pensais que si tu bossais dans un club de strip-tease, tu étais obligée de coucher avec les clients. Le manager de l’Amish Market m’a répondu : ‘Non, tu fais juste quelques lap dances, et puis voilà.’ Il a vraiment été cool avec moi. Alors je me suis rendue au Private Eyes, et tout s’est super bien passé. En un jour, je me suis fait plus d’argent qu’en une semaine à l’Amish Market.”

Les premiers succès de Cardi B

Si la nuit, Belcalis Almanzar construit sa fortune en flirtant avec la barre de pole dance du Private Eyes, le jour, elle cultive sa notoriété virtuelle. Grande gueule, imprévisible et toujours prête à se mettre en scène, elle partage chaque jour sur Instagram des vidéos dans lesquelles elle conte, non sans humour (et sans jamais ménager son vocabulaire), les aléas de son quotidien, attirant rapidement des milliers de followers dans ses filets. “Quand j’ai commencé à faire des vidéos, en fait j’ai juste pris une caméra et j’ai commencé à raconter combien les mecs étaient ringards, et les meufs aussi, se remémore-t-elle, toujours dans les colonnes de Complex. Je faisais les mêmes blagues que je pouvais faire avec mes potes. Quand les gens me croisaient dans la rue, ils disaient : ‘Mais en fait, t’es la même que dans tes vidéos Instagram !’ Et moi, j’étais genre : ‘Bitch I know !’ Ce que je montre, c’est ce que je suis. Je n’essaie pas de faire le clown pour Instagram.”

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Cette authenticité brute, appréciée par une imposante communauté et décryptée par de nombreux médias, finit par propulser la New-Yorkaise aux portes de la téléréalité. En 2015, elle intègre le casting de la sixième saison de Love & Hip Hop, une émission diffusée depuis 2011 par la chaîne VH1 qui chronique les vies de différentes personnalités américaines plus ou moins impliquées dans le hip-hop. Car, malgré son parcours en pointillé, teinté de lap dances et de selfies, Cardi B n’a jamais renié son premier amour : le rap. “En fait, j’ai toujours été effrayée à l’idée de suivre mes rêves, car si j’échouais en suivant mes rêves, je ne pourrais plus rêver, confiait-elle récemment à The Fader, qui l’interrogeait quant à la discontinuité de sa carrière. C’est plus facile de se contenter de peu.”

L’avènement par le hip-hop

À l’automne 2015, encouragée par son manager, Cardi B matérialise ses ambitions musicales en dévoilant, aux côtés du Jamaïcain Popcaan, un remix entraînant du titre “Boom Boom” de Shaggy. Un essai concluant, bientôt suivi de Gangsta Bitch Music, vol. 1 : une première mixtape qui, à travers des titres comme “Foreva” ou “On Fleek”, exhibe tout le potentiel de l’artiste naissante. En février 2017, un mois après avoir délivré le second chapitre de cette mixtape (Gangsta Bitch Music, vol. 2), la rappeuse décroche son premier contrat professionnel en rejoignant les rangs du géant Atlantic Records. Une signature qui lui permet de donner vie au titre qui deviendra la clé de sa légitimité : “Bodak Yellow”.

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Avec ses couplets incisifs et sa production infusée à la trap d’Atlanta, ce single connaît en effet un succès immédiat. Placé en pole position du classement “Hot Rap Songs” de Billboard, il permet à son interprète d’opérer une ascension fulgurante, passant instantanément du statut de quasi-inconnue à celui de nouvelle sensation de la scène hip-hop américaine. Interrogé par le New York Times, Trevor Anderson, manager des charts R’n’B et hip-hop chez Billboard, analysait justement : “Nous n’avions pas vu un morceau d’une inconnue atteindre les charts si rapidement depuis Meghan Trainor.”

“Beaucoup de gens détestent le fait qu’on dise que je suis féministe, mais mon exemple encourage les femmes à faire de l’argent, pas à devenir strip-teaseuses”

Mais c’est à des artistes comme Nicki Minaj ou Foxy Brown que Cardi B est le plus souvent comparée. Tout comme elles, la New-Yorkaise s’impose grâce à une image charismatique, parfois provocante, mais surtout à travers un rap percutant, dans lequel elle n’hésite pas à tirer dans les pattes de celles et ceux qui se mettraient en travers de son chemin. “Quand j’ai commencé à rapper, j’écoutais surtout des morceaux de Khia et Trina, des morceaux agressifs, de combat. Et cela fait longtemps que je n’avais pas entendu des morceaux de ce type, expliquait-elle à Hollywood Unlocked en juin dernier. […] En ce qui me concerne, je suis consciente du fait que certaines jeunes femmes ne peuvent pas s’offrir de Louboutin ou de voitures rutilantes, donc je ne vais pas forcément rapper sur ces sujets ; mais je sais que ces filles-là sont en embrouille avec d’autres filles. Et c’est sur cela, sur ces choses réelles du quotidien, que je veux rapper.”

Repris en chœur par une infinité d’Afro-Américaines, de SZA à Erica Buddington (cette professeure basée à Brooklyn dont la vidéo est devenue virale), “Bodak Yellow” semble ainsi être devenu, en un claquement de doigt, l’hymne inattendu de tout un pan de la jeunesse féminine américaine. Pour la violence acerbe de son verbe, sans doute, mais aussi peut-être pour ce qu’incarne finalement son auteure : une femme audacieuse, qui ne renie rien de ce qu’elle a été par le passé, et qui veut se forger un avenir dans un milieu largement dominé par les hommes. “Une professeure enseignant à l’université a écrit un essai de onze pages démontrant point par point les raisons pour lesquelles, selon elle, je suis féministe, assurait notre artiste pour XXL Magazine en début d’année, avant de conclure :

“Beaucoup de gens détestent le fait qu’on dise que je suis féministe, notamment parce que je ne suis titulaire d’aucun diplôme. Mais le fait est que j’inspire mes sœurs, je leur donne envie du faire du fric. Mon exemple encourage les femmes à faire de l’argent, pas à devenir strip-teaseuses. Non : je leur dis clairement de trouver un domaine qui leur est propre, et d’exceller dans ce domaine dans le but d’en tirer un maximum de profit.”

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