“Les chiffres ne mentent pas”. Une infographie réalisée par Thump démontre le sexisme qui règne dans le monde de l’électro. Nous avons interviewé plusieurs DJ afin de connaître leur avis sur la question.
Alors que l’audience de la musique électronique ne cesse d’augmenter et que les recherches tendent à montrer que le public est paritaire, les artistes féminines triment encore pour se faire une place et sortir de l’ombre de leurs homologues masculins. “Les chiffres ne mentent pas” selon Thump et les DJ nous l’ont confirmé. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir du talent. Miss Kittin, Ellen Allien, Louisahhh!!!, Alice Cornélus et Fei Fei en sont les témoins.
Il semblerait que les femmes sont bien souvent délaissées par les programmateurs musicaux et beaucoup de festivals viennent confirmer cette tendance par leur line-up. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir des artistes de qualité à disposition. Celles qui marchent dans les pas d’Anja Schneider, Xosar ou Clara 3000 ne manquent pas. Bien au contraire, leurs pages foisonnent sur les réseaux sociaux et chaque jour qui passe est témoin d’une nouvelle révélation musicale.
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Les femmes, grandes exclues des programmations ?
Sexisme, machisme, indifférence ? Je pense qu’il faut aussi poser la question à ceux et celles qui sont responsables de la programmation des festivals, des clubs et également aux rédacteurs des magazines qui font bien souvent l’impasse sur les créations sonores, les projets artistiques des femmes.
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Alors pour contrer ce phénomène, il existe plusieurs initiatives telles que les line-up 100% féminins qui fleurissent dans le monde de la nuit. Avec pour objectif la mise en avant des talents féminins, ces soirées semblent à première vue être l’occasion rêvée de prouver au monde que les femmes aussi ont du talent. Des réseaux comme Guérilla Girls fondé en 1985, female:pressure à Berlin ou encore Les femmes s’en Mêlent qui propose “un festival militant, solidaire, défricheur et indispensable et 100% féminin” s’inscrivent clairement dans cette lignée.
Pour Alice, ces événements sont importants car ils permettent de rappeler que les femmes sont bien présentes, qu’elles ont du talent, qu’elles produisent et qu’elles veulent aussi vivre de leur art. “Arrêtons de faire comme si elles n’existaient pas et que l’HIStory soit aussi HERstory parce que le monde évolue comme dans la réalité avec des hommes et des femmes !” ajoute-t-elle tout en regrettant que la parité ne soit pas quelque chose de naturel.
Aussi, selon Pierre-Marie Oullion, programmateur des Nuits Sonores, booker des femmes juste pour faire illusion de parité n’est pas non plus la solution :
C’est une question qu’on s’est souvent posée. Mais je trouverais ça dommage qu’on se donne ça comme critère de programmation d’avoir des femmes. On programme plus sur un historique, l’esthétique d’un line-up, une ouverture d’esprit.
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Nous devons tout le temps faire face à cela, pour les hommes c’est beaucoup moins compliqué, surtout qu’ils bossent en réseau et se pistonnent à tout va. Il faut vraiment être solide pour se faire respecter et accepter. Il faut être irréprochable et c’est beaucoup, beaucoup de travail. Les hommes continuent de croire que les femmes ne peuvent pas être meilleure DJ qu’eux, ils sont toujours en compétition.
Labels et agences, encore des efforts à faire
Il n’y a jamais eu autant de label qui se sont créés. C’est certainement une volonté de la part des artistes d’avoir une certaine liberté, mais je ne pense pas que ce soit spécifique aux Djettes. Il y a une constellation de labels qui font émerger de nouveaux sons, de nouvelles têtes, des labels à forte identité, c’est une époque merveilleuse.
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Les médias, acteurs du sexisme
Le sexisme ordinaire, un poids sur la carrière des femmes
Le plafond de verre n’est pas inhérent aux métiers traditionnels. Les femmes sont chaque jour remises en question à propos de leur légitimité même dans le milieu de la nuit. Même leurs salaires viennent nous rappeler que la domination masculine n’est pas morte, comme nous le rappelle Miss Kittin et Alice Cornélus. Le classement Forbes en est le témoin : parmi les 12 DJ les mieux payés, pas une seule femme à l’horizon. La culture électronique semble rester une affaire d’hommes dans bien souvent des cas.
“Être une femme dans l’électro est un vrai challenge”, nous confirme Fei Fei, DJ américaine que beaucoup de médias qualifient de “bad girl de l’EDM“. “Un vrai challenge pour être considéré non pas parce qu’on est une femme ou qu’on est ‘bonne’ mais parce que l’on apprivoise les platines et que le public se fait embarquer”.
Aussi, la musique électronique repose sur l’utilisation de la technologie, très longtemps accaparée par les hommes. Il n’y a qu’à voir les statistiques concernant les élèves ingénieurs, dont les classes sont composées en moyenne de 71,9% d’hommes en 2012-2013. Cette tradition à dominante masculine suffit déjà à exclure la possibilité pour les femmes de maîtriser les outils électroniques dans l’imaginaire collectif. C’est ce que nous confirme Alice Cornélius :
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Je suis étonnée d’entendre des propos d’un autre temps, comme lors du débat Game Boy is Over au festival Nemo 2013. Un homme du public a affirmé que pour lui, il y avait plus de femmes dans le milieu car les machines étaient toujours plus simples à utiliser !
Vers une évolution des mentalités
Il arrive que les femmes elles-mêmes soient imprégnées par le sexisme ambiant, c’est du moins ce que nous confie Louisahhh!!!, figure féminine du label Bromance :
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Je dois revoir mon propre jugement critique et parfois sévère au sujet des filles qui mixent et qui sont à la traine par rapport aux hommes qui m’entourent. Je ressens souvent une part de scepticisme envers d’autres filles du monde de la nuit. C’est triste. Je sens vraiment que l’on est culturellement formées pour se monter les unes contre les autres et en ce moment je ressens le besoin d’essayer d’être une femme parmi les femmes.
D’ailleurs, pour Alice Cornélus, le sexisme dans le monde de l’électro n’est que “le reflet de nos sociétés“. “Les femmes dans l’Art ont souvent été marginalisées, elle ont bravé les interdits et n’ont été que très rarement considérées à l’égal des hommes“, rappelle-t-elle.
Si les chiffres sont parfois alarmants, l’évolution des mentalités semblent en bonne voie. Ellen Allien a d’ailleurs choisi cette musique parce qu’elle s’y sentait bien en tant qu’artiste et femme. “Je pense que la place des femmes dans le hip-hop est pire. Dans le monde de l’électro, j’ai rencontré des gens modernes“, nous confie-t-elle. Et même si les hommes tendent toujours à dominer le milieu de la musique électronique, celle-ci reste optimiste :
On avait l’habitude de dire que les femmes ne peuvent pas être DJ ou produire de la musique… Maintenant aucun doute, elles peuvent le faire !
Article co-écrit avec Anaïs Chatellier.