Son beat est mondialement connu. Qui n’a jamais eu envie de se déhancher sur son rythme cadencé ? Même en cachette ? Né à Porto Rico dans les années 1990, le reggaeton s’est répandu vitesse grand V en Amérique latine. Si ce style musical s’invite dans la playlist des boîtes de nuit françaises, il reste le grand absent des émissions culturelles. “Le reggaeton est méprisé pour des raisons classistes, car c’est une scène musicale inventée par les jeunes les plus pauvres des Caraïbes”, estime Víctor Lenore, journaliste espagnol pour le média Vozpópuli. Parmi les reproches récurrents essuyés par la musique latine : ses propos sexistes et dégradants envers les femmes qui y sont souvent réifiées.
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Inutile de chercher très loin pour lire, dans les textes des chansons, des rimes misogynes, prônant la culture du viol. “Je suis amoureux de quatre bébés, elles me donnent toujours ce que je veux, elles baisent quand je veux et ne protestent jamais.” Ces paroles sont interprétées par l’enfant chéri de la musique latine, Maluma, dans son titre “Cuatro Babys“ en 2016. Une poignée de secondes après, l’artiste colombien continue : “Elles sont toutes de nationalités différentes, mais elles crient toutes de la même façon.” Le jeune homme est entouré des quatre danseuses à moitié dénudées, comme si elles étaient à sa disposition. Une image qui est monnaie courante dans les clips de reggaeton. En 2010, c’était le titre “La Muda“, (la muette) de Kevin Roldan, Cali et El Dandee qui faisait scandale. Et pour cause : le trio fantasme sur une femme d’autant plus sexy qu’elle est incapable de parler.
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“La plupart des musiques sont misogynes”
Mais le reggaeton est-il vraiment plus sexiste que d’autres genres musicaux anoblis par la critique ? “On a commencé à avoir ce débat en Amérique latine en 2014, car il y avait un stigmate important autour du genre musical. À l’époque, beaucoup de féministes disaient aimer danser le perreo, un style de danse issu du milieu reggaeton, qui implique de bouger ses fesses ou de twerker”, explique Catalina Ruiz-Navarro, féministe colombienne, autrice du livre Las mujeres que luchan se encuentran (Grijalbo). Pour l’éditorialiste d’El Espectador, les critiques envers cet univers sont davantage une expression du racisme. “La plupart des musiques sont misogynes car elles expriment toutes des idées liées au patriarcat. Cependant, on n’entend pas de critiques envers d’autres genres. Que dire des Beatles lorsqu’ils chantent ‘Run for your life’ ? Je reprends les paroles : ‘Je préfère te voir morte, fillette, que de te voir avec un autre homme.’ Bizarrement, on préfère se scandaliser contre le reggaeton”, s’agace Catalina Ruiz-Navarro.
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D’autant qu’un tournant semble s’opérer pour rendre le reggaeton plus grand public. “Il est devenu plus mainstream avec des artistes blancs, éduqués et dotés de beaucoup de privilèges. Ça change beaucoup de choses”, reprend Catalina Ruiz-Navarro. En témoigne le chanteur portoricain Bad Bunny, artiste le plus écouté sur Spotify dans le monde “qui défie la masculinité traditionnelle dans sa musique”, complète-t-elle. Dans ses clips aux décors colorés, des sujets de société sont régulièrement abordés, à l’instar du harcèlement sexuel. Preuve que le genre musical évolue, ses chansons ne tournent pas autour du sexe ou des femmes. Son titre “Yo Perreo Sola”, comprendre “je twerke seule”, sorti en 2020, montre le chanteur danser en jupe entouré de néons Ni una menos, du nom des collectifs latino-américains qui luttent contre les féminicides. Pour la communauté LGBTQIA+, il rendrait hommage à Alexa Negrón Luciano, une femme trans assassinée à Porto Rico le 24 février 2021.
Une audience féminine
Certes, le genre musical peut sembler accaparé par les hommes, mais de nombreuses femmes ont réussi à se hisser au sommet des charts. L’une des pionnières est Ivy Queen, de son vrai nom Martha Ivelisse Pesante. Elle s’est imposée dans le milieu au début des années 2000. Dans sa chanson “Yo Quiero Bailar”, en 2003, elle revendique son droit à danser sans se faire importuner. “Dès le début du reggaeton, on pouvait voir des messages féministes. Toutes ses paroles parlent de la domination des femmes et de leur désir”, souligne Catalina Ruiz-Navarro.
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Après elle, de nombreuses artistes se sont réapproprié cette musique, jusqu’à la transformer. “Les Portoricaines enterrent pour de bon le boys’ club de l’urbano”, s’enthousiasmait le magazine Rolling Stone en février dernier, citant Villano Antillano ou RaiNao. Parmi les piliers, Karol G, 30 ans, l’une des plus grandes stars de la pop d’Amérique latine, chante le désir féminin ou encore la sororité. Dans ses spectacles, la Colombienne est majoritairement accompagnée de femmes. Elle est connue pour avoir inventé un nouveau terme avec son titre “Bichota”, issu de “bicho” qui désigne le sexe masculin, une façon de désigner la puissance des femmes. Dans son sillage, on retrouve également l’Américaine Becky G ou encore Anitta, l’une des artistes les plus influentes du Brésil. Toutes se servent du reggaeton pour glorifier les différentes sexualités, prôner la liberté et le respect.
Jusqu’à dire que le reggaeton est une musique destinée aux femmes ? “La plupart des concerts de reggaeton sont remplis d’un public féminin. Je trouve très condescendant que certaines personnes qualifient d’antiféministe un son que des millions de femmes apprécient”, insiste Víctor Lenore. Par ailleurs, ce courant musical permet de bouger librement et de se réapproprier son corps et sa sexualité. Pour le danser, les femmes n’ont pas besoin d’être en couple, elles peuvent être seules ou entre copines. “Dans le reggaeton, les mouvements du corps sont très importants. C’est un espace où on peut exprimer notre sexualité de façon sécurisée. Il y a moins d’agressions sur un dancefloor que dans la queue aux toilettes”, conclut Catalina Ruiz-Navarro.